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17-03-2025 Vol 19

La danse: une question de valeurs

Le 21 avril passé, je suis allée marcher en groupe pour souligner la Journée de la Terre. Au point d’arrivée, les discours s’enchaînaient au sujet de diverses causes environnementales. Un orateur s’élance : «On va vous réveiller!» Je ne me souviens pas de quoi il était question, mais je sais précisément ce qu’a été ma réaction.

Si vous avez un jour l’intention de me convaincre de quoi que ce soit, servez-moi des arguments. Concoctez-les comme vous voulez pour que je fasse les liens qui vous tiennent à cœur (ou qui sont dans votre intérêt), mais laissez-moi arriver à une conclusion. Avec un slogan qui annonce vouloir me sauver de mon ignorance, ce dont vous me convainquez, c’est de ne pas vous suivre.

Et donc, quand je lis une brève dans un journal pour annoncer l’événement Québec Danse 2013, j’ai la même réaction:

«Pour sa seconde édition, l’événement Québec Danse propose une centaine d’activités dans la province pour sensibiliser la population à l’importance, aux bienfaits et à toute la force de cette forme d’art.»  — Journal Métro, 25 avril 2013.

L’importance-pour-qui-les-bienfaits-pourquoi-et-de-quelle-force-parle-t-on ?

Bien que je comprenne qu’il s’agisse d’une courte annonce laissant peu de place à l’élaboration, je crois que son objectif est d’amener les gens à participer à l’événement ou du moins à s’y intéresser. Or, une telle affirmation rejoindra ceux qui sont déjà persuadés de l’importance de la discipline. Mais dans le but de convaincre un nouveau public, affirmer la valeur d’une cause comme si elle était universelle me semble voué à l’échec. Si je me fie à ma réaction par rapport à l’activiste environnemental qui voulait me tirer de mon sommeil, ceux qui ne sont pas déjà conquis n’ont pas besoin de verve, mais bien de contenu.

Alors de quelle valeur parle-t-on quand il s’agit de danse comme forme d’art?

Formation comprise, j’en suis à ma dixième année dans le milieu de la danse contemporaine montréalais. Jusqu’à tout récemment, ce qui garantissait la valeur de la discipline à mes yeux tenait aux besoins relationnel, spirituel et identitaire qu’elle comblait, d’abord par le biais de l’interprétation. Mais ce sont les mêmes besoins que je cherche à combler comme spectatrice. Je m’explique.

Face à une représentation de danse contemporaine, je souhaite d’abord être touchée, surprise, emportée, ou enfin vivre une réaction spontanée et sensible. Que la relation public/danseurs me mène à une simple étincelle de ce genre ou à une quasi-catharsis, je suis satisfaite de mon investissement. Puis, le rassemblement d’inconnus dans un lieu et un moment consacrés à une présentation artistique me semble souligner l’importance d’une dimension humaine loin de la gamme de valeur matérialiste/consumériste/productiviste. C’est l’occasion de s’inspirer, si l’envie s’en fait sentir, de certaines idées ou sensations qui pourraient concourir à mon inévitable besoin de sens, de spiritualité. Finalement, assister à un spectacle d’art vivant m’en dit beaucoup sur la société dans laquelle je m’inscris. En ayant accès à la vision artistique de quelqu’un d’autre sur un sujet de son choix, je suis appelée à réagir et à réfléchir malgré moi sur l’environnement qui soutient la création. Et cela nourrit mon identité: je dirais même que cela me force à actualiser ce que je crois être mon identité.

Comme n’importe quelle autre cause, la danse contemporaine doit rejoindre les valeurs de l’individu — déterminées par ses propres besoins et son expérience par rapport à la discipline — pour qu’il y adhère. Chercher à convaincre sans expliciter son offre revient à imposer un point de vue, peut-être pour se conforter quant à la valeur qu’on lui porte soi-même, ce qui n’encourage en rien le développement de public! Dans cette optique, c’est tout simplement à proscrire. Cela dit, je n’ai rien contre une envolée bien sentie, sans explication ni retenue de la part de son partisan…autour d’un verre.

Article par Jade Marquis – Ado émue par la culture pop des années 2000, Jade est devenue une intello de la danse. Au-delà du rouage des discours et des présentations dîtes artistiques, elle s’intéresse au contenu véhiculé.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM