Enfin, une semaine de vacances se profile ! Que vous en profitiez pour voyager ou savourer l’air printanier qui se pointe le bout du nez, voici trois œuvres à côté desquelles vous ne voulez pas passer. Ces trois titres traitent tous de disparitions, mais de manière très différente. Publiés aux éditions Leméac, La maison en feu et Quartz, ces livres sont fort originaux et difficiles à déposer. De surcroit, ils sont de petite taille, donc très faciles à trimballer.
La banalité d’un tir de Mali Navia
« Quand je suis éveillée, les larmes restent à l’intérieur. Les laisser couler, c’est avouer qu’il ne reviendra pas[1]. »
Si, comme moi, vous ne l’avez pas lu lors de sa première parution, la réédition du roman de Mali Navia dans la collection « Nomades » de Leméac est l’occasion idéale de le faire.
Dans ce roman autofictionnel inspiré de la vie familiale de l’autrice, nous suivons Ana alors qu’elle remonte le fil de ses souvenirs jusqu’à un événement qui changera sa vie à jamais : la disparition énigmatique de son père. Cette jeune Québécoise d’origine colombienne raconte son enfance complexe alors qu’elle tentait de définir son identité. Comme son père, Ale, lui rappelait quotidiennement sa différence avec les autres enfants, Ana s’est repliée sur elle-même. Ale, s’éloignant de sa famille et éprouvant beaucoup de difficulté à s’intégrer, décide de retourner vivre en Colombie. Alors qu’Ana et sa sœur le visitent, Ale disparait sans laisser de traces. Malgré leurs recherches et suppositions, la famille sera laissée sans réponses.
Ce roman illustre combien une disparition, de surcroit très mystérieuse, peut être douloureuse. Celle-ci entraine d’énormes répercussions sur les proches, qui ne peuvent pas pleinement passer à travers leur deuil. Si, en terminant ce roman, j’ai trouvé difficile de ne pas avoir accès à toute la vérité, je n’ose pas imaginer comment se sentent les familles qui subissent ce supplice.
J’ai lu cette œuvre d’une seule traite tant j’étais investie dans ce drame inconcevable. La trame sonore suggérée en fin de livre m’a aussi aidée à pénétrer dans l’univers du récit. Elle nous laisse d’ailleurs entrevoir l’entrelacement des deux nationalités.
Comme par enchantement de Geneviève Dufour
« La mémoire n’arrivait pas à combler tous les interstices. C’était la marque d’une famille qui n’avait pas le luxe de se raconter, de s’enticher de souvenirs. Les choses et les gens finissaient sèchement[2]. »
Dans son livre, Geneviève Dufour nous fait découvrir quelques récits charlevoisiens sur la disparition. L’autrice possède un statut particulier lorsqu’elle visite Charlevoix puisqu’elle n’est considérée ni comme une touriste ni comme une résidente. C’est avec cette perspective qu’elle nous entraine au cœur d’ anecdotes, de souvenirs et de rumeurs vécus ou entendus dans sa région natale. Pendant notre lecture, l’autrice nous permet d’être témoins des histoires de son patelin, qu’elles soient vraies, embellies ou transformées au fil des générations.
Par sa plume poétique, Geneviève Dufour explore avec nous toutes sortes de disparitions : de coutumes, d’endroits, d’accents, de préjugés, d’opinions, de l’innocence. Maintenant installée dans la grande ville, elle revisite les histoires de la région charlevoisienne avec un regard nouveau, de l’extérieur. Nous prenons connaissance des réalités de vivre dans un endroit éloigné où il y a très peu d’habitants : tout le monde se connait, les commérages circulent à la vitesse grand V, les croyances sont plutôt conservatrices. L’autrice a d’ailleurs su bien rendre l’oralité distinctive des Charlevoisiens dans les dialogues, permettant d’entendre le franc-parler, l’accent et les expressions de ce coin de pays.
Michelin de Michel-Maxime Legault
« Je me suis lancé dans la culture pour fuir l’agriculture[3]. »
L’œuvre Michelin a été un grand coup de cœur! Rédigée par un auteur de Saint-Polycarpe, en Montérégie, elle nous entraine dans une histoire familiale complexe. Michel est passé près d’être nommé Michelin. Cet alter ego est tout ce que Michel ne sera jamais : un double qui se plierait aux normes, contrairement à lui.
Nous plongeons dans l’histoire d’une grande fratrie habitant sur une ferme. Les sept enfants ont tous des personnalités très différentes, mais Michel est sans aucun doute le mouton noir de la famille, le seul qui n’est nullement intéressé par la terre familiale et qui préfère de loin les lettres au travail manuel.
La plume de l’auteur est exquise, à la fois orale et comique. Lors de ma lecture, j’ai eu le sourire aux lèvres à plus d’une reprise – surtout lorsque j’ai pu imaginer le jeune Michel déguisé en E.T. à l’occasion de l’Halloween. Michel-Maxime Legault a une façon unique de nous faire découvrir son récit personnel. J’ai été captivée par les souvenirs de son enfance dans les années 80 racontés dans un langage familier. J’ai aussi bien aimé que nos univers se croisent alors que l’auteur s’adresse directement aux lecteur·rice·s.
Michelin m’a fait chaud au cœur. Même si leur enfant préfère la culture à l’agriculture, les parents de Michel ont néanmoins un amour inconditionnel pour leur fils dans le récit. Cet amour lui a permis d’échapper à la pression de vouloir se conformer et à la crainte de déplaire, qui le tourmentaient depuis son plus jeune âge.
[1] Mali Navia, La banalité d’un tir, Montréal, Leméac, coll. « Nomades », 2024, p.172.
[2] Geneviève Dufour, Comme par enchantement, Montréal, La maison en feu, 2024, p. 59.
[3] Michel-Maxime Legault, Michelin, Rouyn-Noranda, Quartz, 2024, p. 19.
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Dufour, Geneviève, Comme par enchantement, Montréal, La maison en feu, 2024, 112 p.
Legault, Michel-Maxime, Michelin, Rouyn-Noranda, Quartz, 2024, 93 p.
Navia, Mali, La banalité d’un tir, Montréal, Leméac, coll. « Nomades », 2024, 232 p.