En novembre dernier, David Beaudoin publiait son deuxième livre chez Annika Parance Éditeur. L’auteur y avait publié sa toute première œuvre, L’écueil des mondes, à l’automne 2021. Son recueil de nouvelles est paru dans la collection « Sauvage », qui donne une place aux auteur·rice·s de la relève dans une exploration des genres littéraires et des territoires sauvages qui peuvent s’y trouver. Son roman, La signature rouillée, apparait plutôt dans la nouvelle collection « Coûte que coûte » et entremêle « des textes qui mettent en valeur la diversité des littératures de l’imaginaire dans un mélange des genres, du fantastique à la science-fiction en passant par le roman noir, gothique, hallucinatoire, etc.[1] ».
L’écueil des mondes contient sept nouvelles, sept mondes à la fois complètement différents, mais unis par leur ambiance exotique, mystérieuse et érotique. David Beaudoin instaure dans chacune d’entre elles une atmosphère intrigante, parfois surnaturelle, parfois fantastique. Ce sont de petits univers où s’enchevêtrent des décors dépaysants, des amant·e·s maudit·e·s et des passés troubles. Chaque nouvelle est très bien construite et écrite de manière imagée. La plupart se terminent par une fin ouverte, qui laisse planer le mystère. Toutefois, certain·e·s lecteur·rice· aguerri·e·s seront en mesure de mettre le doigt sur des indices glissés dans le texte, qui permettent de mieux saisir le contexte et parfois même de présager la fin.
La signature rouillée raconte l’histoire d’Antoine G., un peintre québécois, plus précisément un restaurateur de peintures vivant à Paris. Celui-ci se fait proposer un contrat de travail par le musée Carnavalet au sujet d’une toile qui a été vandalisée. Cette dernière, représentant une scène historique, à savoir Le sauvetage des malades de l’hôpital de l’Ancienne Charité, aurait été signée maladroitement à un endroit bien précis. La scène montre le déplacement des malades d’un hôpital psychiatrique vers un autre lieu durant l’inondation de la Seine en 1910. Sur cette toile, portant une signature au feutre noir, est peint le déplacement d’une femme habillée tout en blanc. Antoine G. va étrangement sentir un lien fort se créer entre lui et cette mystérieuse femme qu’il tentera de connaitre. Il essaiera également de comprendre le motif du vandalisme effectué par un homme à l’allure bien étrange, passé inaperçu auprès du gardien du musée et absent des caméras de surveillance.
En plus de ces deux mystères entourant la toile, Antoine G. sera submergé par de multiples émotions qui le feront voyager dans son passé. Il découvrira la présence de pouvoirs bien étranges et hors de son contrôle qui l’aideront dans ses recherches concernant l’histoire de cette toile. À travers celles-ci, il en apprendra davantage sur sa propre histoire, mais également sur l’histoire des femmes et leur place dans l’art à l’époque de l’inondation de la Seine.
Empruntant les codes de plusieurs genres littéraires distincts tels que le polar, le fantastique ou encore le récit psychologique, cette œuvre est d’une originalité déroutante. Débutant avec une intrigue, La signature rouillée laisse planer un mystère qui ne se résoudra qu’à la fin de l’histoire, à la manière du roman policier. De même, le récit nous amène dans un univers surnaturel par l’atmosphère spectrale qui s’y dégage et l’invraisemblance des pouvoirs détenus par le peintre. La dimension psychologique est également au cœur de cette histoire profondément ancrée dans l’individualité d’Antoine G. par ses pensées.
Il est intéressant de relever l’existence de ponts entre cette œuvre et d’autres plus anciennes, leurs sujets similaires se faisant écho. En effet, l’art étant au centre du récit, il pose la dimension de la vivacité de l’art en nous faisant voyager dans des œuvres qui prennent vie, à la manière du Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde. De même, La signature rouillée nous amène dans un combat plus qu’actuel, celui du féminisme. La folie, pensée comme exclusivement féminine à l’époque, est remise en question par le peintre de manière implicite. Il se reconnait et se substitue même à cette femme, sujet central de l’œuvre, montrant ainsi que la folie n’a pas de genre. Enfin, avec son projet de rayonnement et de justice envers les femmes artistes se cachant derrière plusieurs toiles, approuvé par la directrice du musée, Madeleine Bernard, il montre que le féminisme n’est pas qu’un combat féminin, mais qu’il est multiple.
J’ai trouvé cette œuvre très riche, réfléchie, sensible et déroutante, autant par les sujets relevés que par les valeurs véhiculées au cœur du récit. Les figures féminines étant nombreuses, l’auteur montre l’importance de leur voix à travers le peintre et les défend, déterminé à montrer leur potentiel. Dans un souci de justice et d’égalité, David Baudoin prend la parole pour défendre les intérêts des figures longtemps considérées marginales à travers notre histoire commune, notamment les femmes et les personnes atteintes de troubles psychologiques.
[1] Annika Parance Éditeur, Service de presse
Beaudoin, David, L’écueil des mondes, Montréal, Annika Parance Éditeur, coll. « Sauvage », 2021, 168p.
Beaudoin, David, La signature rouillée, Montréal, Annika Parance Éditeur, coll. « Coûte que coûte », 2022, 170p.
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Article rédigé par Leila Arab et Mégane Therrien