Catherine Lemieux, écrivaine madelinienne vivant depuis plusieurs années en Autriche, publie sa troisième œuvre, Lourdes, en 2023, après Une affection rare en 2018 et La consumation en 2019. C’est après avoir œuvré au sein de la communauté universitaire en tant que chercheuse et chargée de cours qu’elle décide de la quitter en 2022. Ses études à l’Université de Montréal, à Paris, à Berlin et à Vienne lui ont permis de voyager dans plusieurs pays d’Europe. Ce sont notamment ces voyages et son implication dans le milieu universitaire qui ont contribué à l’élaboration de l’univers de Lourdes.
Chaque écrivain ayant son propre processus d’écriture, l’inspiration de Catherine Lemieux ne se porte pas vers une idée précise qui guide sa pensée, mais va plutôt en direction d’une discordance qui instaure une sensation désagréable dont elle doit se défaire : « Ce qui me porte à écrire, ce n’est pas une idée, mais plutôt une sorte de dissonance affective […] lorsque je sens comme une fausse note dans la parole de l’autre ou dans la mienne[1]. » Cette dissonance qu’elle énonce était pour elle très présente à l’université, milieu dont elle devait se défaire : « Le prétexte était une révolte que j’éprouvais depuis longtemps dans ce milieu-là. Un milieu dont j’étais complètement dépendante. […] J’écris toujours pour sortir de quelque chose. Dans le premier livre, c’était pour sortir de Québec. Dans celui-ci, on pourrait dire que c’est pour sortir de l’université[2].»
Lourdes raconte l’histoire d’une jeune femme du même nom, très curieuse, avide de connaissances, une nouvelle élève dans l’Université de T, un établissement fictif situé quelque part en Europe. Ayant quitté le continent américain en quête de révolution, elle trouvera refuge dans la figure de Razuvaeva, poétesse russe. Profondément admirative de cette poétesse, sa participation en tant que préposée au buffet du symposium La force féminine de Razuvaeva sera l’occasion pour elle de découvrir plus en profondeur le milieu littéraire universitaire. Chercheuse elle aussi, comme les autres membres du Laboratoire du Néo-Moi Féminisant, elle se concentrera dans ses recherches sur la soif du savoir, de manière à comprendre comment atteindre le savoir absolu.
Au cours de cette journée de colloque universitaire, Lourdes comprendra l’étendue de la mascarade dans laquelle elle joue le rôle d’observatrice. Admirative des étudiant.e.s et des chercheur.euse.s de l’Université de T à son arrivée, elle sortira peu à peu de sa désillusion pour comprendre les coulisses universitaires. La protagoniste devra naviguer à travers l’incompréhension que lui démontre Maurice envers son sujet de recherche, l’état de constante compétition planant au-dessus des autres chercheur.euse.s, et leur acharnement à décortiquer chaque parcelle d’une pensée. Empreinte d’un doute profond, elle désertera ce colloque dans lequel « une théorie de » militants acharnés de la bonne cause » […] [qui] carburent aux certitudes toutes faites, à la souffrance, au carriérisme, accros aux algorithmes et aux vidéos de chats. Soudés par une ferveur commune et aveugle pour » l’Atypique »»[3].
Avec un ton ironique, Catherine Lemieux fait de son récit une satire du milieu universitaire, où elle donne à voir l’acharnement constant de ses membres pour élucider le mystère des mots de façon à les réduire à leur simple signification. Je trouve cette œuvre pertinente et intéressante en ce qu’elle nous amène à nous questionner sur le rôle de l’université, la place qu’elle donne à la liberté de pensée et d’expression, les opportunités qu’elle offre, mais aussi le contrôle omniprésent qu’elle instaure et la prise de risque qu’elle étouffe.
[1] Christian Desmeules, « “Lourdes”: Catherine Lemieux, ni ange, ni démon », Le Devoir, en ligne, https://www.ledevoir.com/lire/798540/litterature-quebecoise-lourdes-catherine-lemieux-ni-ange-ni-demon, consulté le 31 décembre 2023.
[2] Idem.
[3] Idem.
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Catherine Lemieux, Lourdes, Montréal, Boréal, 2023, 368 p.
Article rédigé par Leila Arab