Wendy, la bande dessinée de Walter Scott traduite par Catherine Brunet, est parue en octobre 2019 chez Mécanique Générale. Sa forme, à l’image des personnages de l’œuvre, est dynamique et montre la complexité affective entourant la vie de jeunes adultes issus du milieu artistique, déchirés entre la sincérité de leur démarche, les impératifs pécuniaires et les partys.
Si les jeunes adultes gravitant autour du milieu artistique montréalais recherchent indéniablement l’authenticité, le style de l’œuvre ne semble jamais peiner à l’atteindre. De fait, la forme épouse le rythme de la narration en racontant les errances urbaines caractéristiques de la vie des nouveaux adultes. Tant le dessin que la mise en page fluide expriment la frénésie de personnages qui se cherchent indéniablement. En ce sens, sont rapidement rendus visibles les excès et les comportements toxiques (trahisons, violences verbales, etc.) qui viennent souvent contrebalancer les insatisfactions d’une vie qui ne peut que sembler médiocre à des personnages aspirant à une réelle carrière artistique, à de vraies amitiés solides et au grand amour.
La taille et la forme des cases s’adaptent de manière à suivre les aléas émotionnels d’une nouvelle génération d’adultes, tandis que les courbes du dessin, en particulier au niveau des bras viennent souvent accentuer la charge émotive de façon très efficace, à la manière de la série télévisée Adventure Time (2010-18). Ce faisant, l’œuvre réussit à capturer la puissance des émotions, qui passent autant d’une joie sincère et presque enfantine à un désespoir beaucoup plus adulte. Dans les deux cas, le style de la ligne claire à sa pleine maturité rend le visage très expressif et immédiatement lisible. Cela rend le·la lecteur·trice beaucoup plus empathique envers ces personnages qui peuvent se montrer passablement égoïstes et très peu authentiques: il serait en effet difficile de ne pas partager toute leur détresse existentielle et la sincérité de leurs sentiments.
À première vue, le portrait de la génération actuelle que l’on présente semble peu flatteur, les jeunes adultes ne réussissant souvent pas à atteindre leurs idéaux. Plusieurs d’entre eux n’hésitent pas à trahir leurs ami·e·s et leurs valeurs pour avoir des relations sexuelles avec quelqu’un de sinon inaccessible ou tenter d’assurer leur avenir professionnel. L’auteur dresse un portrait juste de la génération à travers les nombreuses imperfections des personnages, ce qui les rend bien plus vraisemblables. Malgré tout, à l’intérieur du récit, ces derniers se montrent également ouverts, critiques, plutôt bienveillants et capables de s’adapter, mais aussi de se relever après une chute – sans jamais non plus incarner parfaitement ces qualités et devenir infaillibles à tous ces égards. La diversité des personnages, particulièrement au niveau de l’orientation sexuelle, n’a jamais besoin d’être soulignée à l’intérieur du récit, s’intègre parfaitement à celui-ci, à l’exception de quelques remarques racistes à l’encontre d’une artiste appartenant aux premières nations canadiennes pour discréditer son travail. Le tableau de ces vies semble des plus authentiques: les lieux sont d’ailleurs familiers (des appartements, les rues montréalaises, des bars, etc.) et les activités, convaincantes: «Wendy su’l party» qui s’est complètement saoulée; des travaux et des demandes académiques faits à l’ordinateur aux ami·e·s qui se téléphonent, cruisent, fument, boivent des cafés, clavardent… Au travers des excès, des tromperies et de quelques jeux de pouvoir, la forme de l’œuvre insiste surtout sur le déchirement légitime vis-à-vis des idéaux à l’âge adulte où il convient de savoir se réinventer (ainsi que sa démarche) et l’importance de l’amitié (féminine) malgré les imperfections indéniables de chaque personnage et des trahisons qui viennent ponctuer leurs relations.
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Walter Scott, Wendy, Montréal, Mécanique Générale, 2019
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Article par André-Philippe Lapointe, Doctorant en études littéraires, UQÀM