Le festival Fantasia bat son plein! Pour sa première partie de sa couverture du festival, Julien Bouthillier a vu :
The Villainess – Jung Byung-gil
JoJo’s Bizarre Adventure : Diamond is unbreakable – Takashi Miike
Lowlife – Ryan Prows
Tilt – Kasra Farahani
Shin Godzilla – Hideaki Anno et Shinji Higuchi
Mohawk – Ted Geoghegan
The Honor Farm – Karen Skloss
—
The Villainess – Jung Byung-gil
Le festival Fantasia s’est ouvert cette année sur une bonne dose d’adrénaline avec la projection du thriller sud-coréen The Villainess, réalisé par Jung Byung-gil, dont les habitués se souviendront pour le non moins énergique Confession of Murder, présenté au festival il y a quelques années. Marchant sur les traces de ses compatriotes Park Chan-Wook, Bong Joon-Ho et Kim Jee-Woon, Jung semble destiné à une belle carrière internationale après le succès remporté par The Villainess au dernier festival de Cannes, où il fut projeté hors compétition.
Reprenant conceptuellement là où il nous avait laissés, Jung nous plonge de nouveau dans un univers de faux-semblant, de trahison, de passé trouble et, bien entendu, de vengeance. Sook-hee (Kim Ok-bin, vedette de Thirst), entraînée dès son plus jeune âge à être une machine à tuer, est capturée par l’Agence de Renseignement de Corée après avoir massacré à elle seule un gang complet de criminels impliqués dans la mort de son amant. Sous le regard sévère d’une sinistre et ambiguë cheffe du renseignement, elle est minutieusement transformée (très littéralement, grâce à une série de chirurgies esthétiques) en un agent dormant. En échange de 10 ans de service, on lui offre la liberté pour elle et son enfant à naître.
S’ensuivra une histoire quelque peu alambiquée, mais somme toute traditionnelle aux revirements attendus et au mélodrame affiché. Si The Villainess n’a pas les dialogues ou la maîtrise scénaristique de ses influences (Park Chan-wook, bien entendu, mais aussi Luc Besson, notamment Nikita et Léon), c’est dans la mise en scène que Jung Byung-guk fait la démonstration de sa maîtrise et de sa créativité. La scène d’ouverture, tournée à la 1re personne (nouvelle mode du cinéma d’action), va sans doute entrer dans la légende aux côtés de la fameuse scène du corridor de Oldboy (dont elle reprend les prémisses) : va s’enchaîner toute une série de séquences haute en énergie allant de la poursuite motorisée à la fusillade en passant par le duel au couteau dans un autobus lancé à toute vitesse. La fluidité et l’énergie cinétique de ces scènes (qui alternent entre plan-séquence virevoltant et montage rapide, mais précis) sont tout à fait remarquables, n’ayant rien à envier aux grands noms du cinéma d’action contemporain. C’est entre ces scènes d’action baignées dans l’ultraviolence qu’une narration plus laxiste devient manifeste : si la supervision de Sook-hee par un agent infiltré de l’agence, jouée sur l’angle de la rom-com, apporte une certaine légèreté (en sévère rupture de ton avec le reste du film au demeurant) au 2e acte du film, les séquences plus émotionnelles avec son amant et mentor tombent à plat. Thématiquement, le film creuse pourtant des sujets fertiles, notamment à travers sa représentation du mariage comme d’une tactique insidieuse employée pour surveiller ou contrôler Sook-hee, épiée à travers des caméras cachées par une série d’hommes consignant ses moindres faits et gestes : une allégorie sans équivoque (à noter que les collègues assassines de Sook-hee sont toutes des femmes). Ces thèmes sont toutefois laissés au second plan en faveur d’intrigues beaucoup plus standards d’amours trahis et d’enfants en danger. Jung Byung-gil a définitivement la maîtrise technique et esthétique pour prendre sa place aux côtés des illustres maîtres du thriller coréen, mais il lui manque encore la force scénaristique pour accompagner les furieuses montées d’adrénaline qu’il propose.

The Villainess – Jung Byung-gil
JoJo’s Bizarre Adventure : Diamond is unbreakable – Takashi Miike
Après un passage longuement attendu au festival l’an passé au festival, le légendaire Takashi Miike est de retour avec deux nouveaux longs métrages, dont le premier est JoJo’s Bizarre Adventure : Diamond is unbreakable, adapté du célèbre manga (dont les admirateurs étaient nombreux dans la salle, à en juger par leurs réactions enthousiastes). Le titulaire JoJo (Kento Yamazaki), en dehors de sa coupe de cheveux pour le moins iconique, a un talent caché : le « Stand », sorte d’incarnation fantomatique émanant de lui et ayant (entre autres) une force surhumaine et la possibilité de guérir les blessures. Suite à une série de meurtres dans la ville balnéaire où notre héros fait ses études, il doit se rendre à l’évidence : des possesseurs de Stands maléfiques sont à l’œuvre.
Jojo’s Bizarre Adventure : Diamond is Unbreakable est le 101e (!) film de Takashi Miike (qui, à 56 ans, ne semble pas prêt de ralentir le rythme). Déjà un habitué de l’adaptation de manga (Lesson of the Evil, Terra Formars, For Love’s Sake, As the Gods will, et bien sûr Ichi the Killer), Miike revient au genre avec l’expérience d’un vieux routier. À ce stade, la « formule Miike » est plus que rodée : esthétique à cheval entre la coquetterie rose bonbon et les explosions de violence sinistre, personnages décalés, sans oublier un humour bouffon, pour ne pas dire complètement barré. Mais la formule n’est pas sans ses irritants : les longueurs (un très long deux heures, avec un troisième acte proprement interminable), les dialogues mal assortis (malgré leur côté autoparodique assumé), la narration déficiente et les problèmes flagrants de caractérisation. Si Miike avait dans le passé réussi à créer des adaptations de manga aux visées plus universalistes (dont Ichi the Killer demeure la plus réussie), les néophytes à l’univers de JoJo, malgré leur bonne volonté, auront bien du mal à rester accrochés, malgré et en dépit d’une première heure presque entièrement consacrée (et de ce fait plombée) à une exposition parfois assez pataude.
Malgré le ridicule consommé de l’histoire (un Stand de robot géant luttant contre une armée de soldats, de tanks et d’hélicoptères miniatures – essayez de garder votre sérieux après ça, pour voir), Miike, de façon caractéristique, traite son sujet avec un sérieux presque absolu : les scènes de luttes finales sont envahies par une multitude d’allusions chrétiennes (jusqu’aux stigmates) suggérant une dimension presque spirituelle à une intrigue qui semble pourtant toujours sur le point de se confondre avec sa propre adaptation vidéoludique.

JoJo’s Bizarre Adventure : Diamond is unbreakable – Takashi Miike
Lowlife – Ryan Prows
« La vie que vous sauvez pourrait être la vôtre » – cet avertissement routier, détourné par Flannery O’Connor dans la superbe nouvelle du même titre (The life you save may be your own), ne pourrait mieux s’appliquer aux personnages meurtris et ravagés de Lowlife de Ryan Prows. Toxicomanes, ex-détenus, criminels cherchant à marcher sur le droit chemin, luchador rongés par la culpabilité : la violence et la misère sont frontales et crues, et seule l’union de fortune de cette équipée abîmée par les jours pourra amener un moment de clarté, voire la possibilité d’une rédemption dans un monde aux allures d’enfer.
Lowlife : la vie basse. Très littéralement ici, avec ce sous-sol infect où Teddy, un violent et crapuleux gangster (le Wrong Cops Mark Burnham, délectable dans ce rôle huileux et odieux à souhait) pratique le trafic humain (et quand ça ne suffit pas, le trafic d’organes) avec des immigrantes illégales capturées par les véreux policiers locaux. Son principal atout est El Munstruo (Ricardo Adam Zarate), un luchador condamné à vivre dans l’ombre de son célèbre père. Depuis plusieurs générations, les Munstruo ont été des héros populaires, redressant les torts et protégeant les plus vulnérables. Aujourd’hui, c’est à ces mêmes démunis qu’El Munstruo s’en prend, tombé de son piédestal et réduit à servir de chien de garde pour Teddy. Le seul espoir du luchador réside dans son fils à naître, qu’il croit destiné à redorer le blason familial et à accomplir ce que son père n’aura pas eu la force de faire.
À l’histoire tragique d’El Munstruo viendra se greffer celles de plusieurs autres personnages eux aussi confrontés à des problèmes similaires de corruption morale, de rédemption et de filiation. Les personnages de Prows, à l’instar de ceux de Flannery O’Connor, Cormac McCarthy ou Denis Johnson (dont l’influence invisible se fait sentir), sont souvent désespérés, grotesques, pathétiques — tout en étant empreints d’une humanité profonde qui les élève au-dessus d’une marginalité trop réductrice, pour en faire des figures quasi christiques — une vision frontalière du southern gothic. Avec une économie de moyens surprenante pour un premier long métrage, le cinéaste garde ses personnages et le récit (déconstruit en point de vue parallèle) solidement ancré, jouant d’humour sans jamais tomber dans la caricature.
Les ambitions de Prows d’élever son récit au-delà des écueils du film noir contemporain sont servies par un casting solide, notamment Nicki Micheaux, bouleversante, et Jon Oswald, qui vole la vedette avec son personnage d’ex-skinhead empoté, mais attachant. Malgré le pathos de leurs personnages, qui laisse la porte grande ouverte au cabotinage, les interprètes, superbement dirigés, offrent tous des compositions en tout point exemplaires. La direction photo n’est pas en reste, conférant une aura sordide, mais réaliste aux bouges, bouis-bouis et motel de passe peuplant l’univers du film. Premier long métrage exemplaire, Lowlife est la révélation d’un talent inattendu et qu’on n’espérait plus.

Lowlife – Ryan Prows
Tilt – Kasra Farahani
La vie de Joseph (Joseph Cross), au premier abord, semblera familière à plusieurs cinéastes : il y a quatre ans de cela, son documentaire Tilt, portant sur la rivalité entre deux joueurs professionnels de pinball, a été sélectionné dans un petit festival et a amassé un maigre, mais respectable profit. Depuis, il tente, avec des résultats mitigés, de reproduire son succès dans un deuxième documentaire, tandis qu’un « projet » encore plus titanesque se profile : la naissance de son premier enfant. Si le couple qu’il forme avec sa femme Joanne (Alexia Rasmussen), semble stable et heureux, au retour d’un séjour à Hawaï, le comportement de Joseph, d’abord maussade et renfermé, commence à prendre un tournant de plus en plus sinistre, alimenté, entre autres, par les déblatérations d’un certain politicien « outsider » en train de prendre la tête dans la course à la direction de son parti.
Surfant sur le terrain très fréquenté des films mettant en scène la psychose domestique (Antichrist, Honeymoon, mais aussi des classiques tels que A Woman under the influence et Knife in the Water), Tilt revisite l’histoire classique du couple sur le chemin de la désintégration morale et psychologique – à noter que le rôle du névrosé, souvent tenu par la femme (avec les implications qu’on imagine) est cette fois tenu par l’homme. Si ce renversement fait figure d’originalité, on peut toutefois déplorer que le film s’embourbe dans certains clichés du genre (notamment des scènes de rêve franchement superflues) et s’encombre d’effets horrifiques assez gratuits qui nuisent à ses ambitions autrement plus sérieuses.
La force de Tilt est dans ses détails : malgré le dépouillement de son intrigue et le petit nombre de personnages, le réalisateur Kasra Farahani (qui a d’abord travaillé comme directeur artistique) crée un univers vivant et riche, où chaque fragment semble annonciateur de la folie grandissante de Joseph (un inquiétant masque d’Halloween, des dessins représentant les personnages de la comédie italienne, etc.). En ce sens, ce n’est pas dans la psychologie qu’il faut chercher une explication au trouble de Joseph (dont les motifs sont suggérés davantage que montrés), mais bien dans le langage cinématographique lui-même : voilà non plus des mots, mais des faits.
Défendant son projet documentaire auprès de sa femme sceptique, Joseph argumente que son sujet, la création du mythe du rêve américain, est encore d’une actualité cruciale. On pourrait en dire autant de Tilt : tourné pendant la campagne électorale américaine, le film annonce avec une acuité surprenante l’imminente fracture sur le point de se creuser dans l’inconscient américain. Situé dans une Los Angeles tentaculaire et crépusculaire, Tilt baigne dans un climat anxiogène et paranoïaque — un examen clinique de la désintégration de l’ego (dans tout ce que le terme peut avoir de freudien) du « white liberal », dont les pulsions et frustrations (particulièrement par rapport à son impotence face à la domination capitaliste), cachées sous une bonne couche de vernis social, sont prêtes à crever à la surface à tout moment. L’inévitable explosion de violence, mise en parallèle à une paternité difficilement acceptée, annonce un futur pessimiste, une crise morale aux conséquences aussi douloureuses qu’inévitables.

Tilt – Kasra Faranhi
Shin Godzilla – Hideaki Anno et Shinji Higuchi
Le légendaire Godzilla est de retour — pas son replet cousin américain, mais bien la créature japonaise originale, Gojira. Après une longue absence des écrans japonais, le monstre à la fois craint et chéri (et désormais ambassadeur) a fait un retour triomphal sur sa terre natale, remportant un succès monstre (pardonnez-la) et raflant les prix du meilleur film et de la meilleure réalisation aux Oscars japonais. Ce retour du monstre est aussi un retour aux sources de la série : après s’être embourbée dans les méandres ridicules (mais amusant) des Godzilla vs Space Godzilla et compagnie, la série fait un retour à ses origines politiques plus sérieuses, adaptant Godzilla à la réalité du Japon contemporain, au lendemain du tsunami et de la catastrophe nucléaire de Fukushima. Très souvent, Shin Godzilla passe non pas pour un film de fiction, mais bien pour une reconstitution des faits : chacun des lieux et des personnages (près d’une centaine!) sont soigneusement identifiés, comme dans un documentaire. L’exceptionnelle direction photo contribue elle aussi à cette impression de réalité — plusieurs compositions sont d’ailleurs modelées sur les vidéos et photographies désormais iconiques du tsunami de 2011.
Le film suit les événements du point de vue des autorités, qui voient du jour au lendemain surgir la mythique créature dans les rues de Tokyo. L’action virevoltante (superbement montée) nous amène très littéralement dans les coulisses du pouvoir, sans oublier les rues de Tokyo, où Godzilla sévit. S’éloignant de l’héroïsme individuel des films de monstre des récentes années (Cloverfield, le Godzilla américain), Shin Godzilla montre plutôt l’héroïsme collectif d’une nation s’unissant pour vaincre la menace. Au-delà des militaires et autres premiers répondants, c’est l’héroïsme ordinaire des diplomates, scientifiques et autres employés d’état qui se trouve mis de l’avant. Les héros de Shin Godzilla ne sauvent pas d’enfants de maisons enflammées, pas plus qu’ils ne tirent du flingue ou conduisent des voitures à toute vitesse : leur bravoure est ramenée à une échelle humaine, évoquant le courage désintéressé des Fukushima 50[1]. De façon surprenante, ces êtres humains tout à fait banals — selon les standards du film d’action contemporain — volent presque (mais pas totalement) la vedette au héros de l’heure, qui ne s’en laisse toutefois pas imposer dans les séquences lui étant dédiées. La scène où son légendaire souffle nucléaire est déchaîné sur Tokyo est faite pour être vue sur grand écran.
En dehors de cette lutte des « gens ordinaires » contre le « Dieu incarné », Shin Godzilla expose sous un angle satyrique l’incompétence et le cafouillage des hautes figures d’autorité japonaises, dressant par le fait même un portrait très critique de la gestion de crise du gouvernement japonais lors de la catastrophe de 2011. La vieille politique partisane, plombée par la bureaucratie et la hiérarchie, est révélée comme inefficace contre Godzilla (dont le nouveau design et les mutations successives évoquent l’imprévisibilité de la catastrophe naturelle et nucléaire) — seul le mode d’organisation collaboratif et horizontal de l’unité spéciale de gestion de crise s’avérera de taille à lutter contre le monstre. Les réalisateurs Hideaki Anno et Shinji Higuchi ne se privent pas pour tourner en ridicule les bureaucrates et politiciens incompétents, écorchant au passage les Américains et leur politique étrangère, envoyant au passage quelques pointes pince-sans-rire à leurs remakes boiteux de la série. Face au Godzilla inachevé de Garreth Edwards, Anno et Higuchi ont accompli l’exploit (de plus en plus rare de nos jours) de prendre des risques et de proposer un film à la hauteur de l’intelligence de son public. Le résultat est probant : un film divertissant et prenant (comme un Godzilla doit l’être), mais aussi un digne successeur au chef-d’œuvre politique de Toshiro Honda.

Shin Godzilla – Hideaki Anno et Shinji Higuchi
Mohawk – Ted Geoghegan
Dans les États-Unis de 1814, déchirés par la guerre de 1812, nous suivons la fuite dans les bois d’un trio polyamoureux composé des Mohawks Oak (Kaniehtiio Horn) et Calvin (Justin Rain) ainsi que de l’agent anglais Joshua (Eamon Farren). Calvin, poussé à bout par les exactions des Américains contre son peuple, a incendié le campement d’un de leur bataillon. Les survivants, ivres de vengeance, se lancent à leur trousse, bien décidés à se faire justice eux-mêmes. Sur un sujet historiquement chargé (et dont l’actualité résonne encore de nos jours au Canada comme aux États-Unis), le réalisateur et co-scénariste Ted Geoghegan (découvert il y a quelques années avec le film d’horreur We are still here) aurait pu opérer un détournement longuement attendu des films de « cowboys et indiens », ouvrant le champ à une réflexion sur la violence du colonialisme. On ne retrouve hélas rien de tout cela à l’écran, pas plus qu’on n’y trouve un divertissement honnête. Après s’être ouvert de façon fort peu inspirante sur une conversation ampoulée et farcie d’exposition, Mohawk s’enlise presque aussitôt dans une véritable tourbière de clichés et d’invraisemblances, pour ne finalement réserver ses « punchs » que pour quelques scènes de brutalités de bon aloi, à défaut d’offrir un commentaire ou même une démonstration plus réfléchie sur le colonialisme et le génocide des Premières Nations. Ces problématiques complexes, douloureuses et d’une actualité terrifiante semblent ne servir que de prétexte à une histoire de poursuite dans les bois qui ne se distingue de la masse de productions similaires que par son contexte historique et sa distribution. La forêt, qui aurait pu prendre cette dimension de « personnage invisible », est filmée sans grande imagination et on peine à saisir le caractère mystérieux et labyrinthique que Geoghegan tente de lui insuffler quand bons comme méchants ont la faculté de se téléporter d’un bout à l’autre de celle-ci en un temps record, sans faire le moindre bruit et sans jamais se perdre (sauf quand le scénario finit par l’exiger).
L’actrice Mohawk Kaniehtiio Horn (originaire de Kahnawake – on a pu la voir dans la série Hemlock Grove) fait de son mieux pour apporter présence et force à son personnage, mais elle n’a manifestement pas grand-chose avec quoi travailler, entre une mise en scène sans envergure échouant à susciter la moindre tension et des partenaires de jeux inégaux. Le lutteur Jon Huber sort du lot avec une prestation intéressante et inattendue de géant pacifiste, tout comme Ezra Buzzington, imprévisible et violent dans son personnage de colonel revanchard, vague cousin américain du colonel Tavington de Jason Isaacs.
On voit bien les tentatives de Ted Geoghegan et de son scénariste Grady Hendrix de mettre en parallèle la violence réciproque des deux partis : une bonne vieille démonstration sur la violence engendrant la violence. Cependant, le dispositif est tellement gros et cousu de fil blanc qu’il est impossible de le prendre au sérieux — n’est pas Sam Peckinpah qui veut. En somme, malgré son potentiel thématique fort, Mohawk se révèle une banale série B, qu’on sent déjà prête pour le marché Netflix.

Mohawk – Ted Geoghegan
The Honor Farm – Karen Skloss
Aux yeux de nombreuses adolescentes américaines, le bal des finissants a des allures de conte de fées et prend, l’espace d’une année, une importance des plus capitales. Pour Lucy (Olivia Grace Applegate), la réalité se révèle pourtant décevante : plutôt que le prince charmant attendu, son partenaire de soirée se révèle être un jock lourdaud et alcoolisé qui a tôt fait de crever ses illusions sur l’amour et la moralité des hommes. Survient alors une camarade de classe, au volant d’un corbillard (!) qui lui propose une escapade en forêt avec d’autres adolescents, pour un trip de champignon magique et une visite à l’ancienne prison abandonnée, connue sous le nom de Honor Farm (et réputée être hantée).
Il y a quelques années, le festival Fantasia présentait l’extraordinaire Toad Road de Jason Banker, qui explorait l’adolescence à travers l’angle du film d’horreur psychédélique – The Honor Farm, réalisé par Karen Skloss (issue du milieu du documentaire, tout comme Jason Banker) peut être vu comme le pendant féminin aux visions infernales de Banker. Très bien filmé par Lee Daniel (directeur photo connu pour son travail avec Richard Linklater), Honor Farm propose une incursion dans l’univers turbulent et incertain de l’adolescence, sous l’angle du récit initiatique. La proximité de Skloss et de son sujet (sa fille adolescente a coécrit le scénario) se ressent, et Olivia Grace Applegate offre une prestation réussie dans le rôle-titre, qui compense les prestations plus inégales de ses partenaires de jeu dans des rôles parfois assez typés.
À l’instar de ses personnages, Honor Farm semble un film à la recherche de son identité, ne sachant pas sur quel pied danser d’un point de vue thématique et esthétique. Durant ses très courtes 75 minutes (15 minutes de plus auraient pu faire la différence pour clarifier de grands pans de la narration), on passe de la documentation naturaliste à la vision lynchienne en passant par un lourdingue intermède slasher à grand renfort de rituels sataniques. Skloss mélange toute une série d’ingrédients (parfois avec talent), mais le gâteau ne lève malheureusement pas. Les ruptures de ton entre les différentes séquences sont parfois assez sévères, et les occasionnelles réflexions pseudo-philosophiques de Lucy ne sont guères convaincantes, tout comme la mystérieuse créature à tête de cerf faisant des apparitions périodiques. La finale arrive comme un chien dans un jeu de quilles, sans qu’on ait l’impression que le film ait réussi à dire dans l’entièreté ce qu’il avait à dire. Si l’emploi (et détournement) des tropes du cinéma d’horreur comme tactiques narratives n’est pas un problème en soi (le film se veut une sorte d’anti-slasher), on aurait en fait souhaité qu’elles soient davantage assumées par Skloss, plutôt que reléguées à l’arrière-plan et ramenées de force pour quelques scènes éparses.
The Honor Farm est incontestablement un film ambitieux, mais malgré ses bonnes idées et ses qualités plastiques indéniables, il n’arrive pas à s’élever à la hauteur de celles-ci. Ce premier effort de fiction de la part de Karen Skloss déçoit à bien des égards, mais laisse en suspens plusieurs idées narratives et conceptuelles qui, on l’espère, se verront traitées de façon plus achevée dans un prochain long métrage.

The Honor Farm – Karen Skloss
Le festival Fantasia continue jusqu’au 2 août. Encore à la recherche de films à voir? Consultez notre survol de la programmation.
[1] Nom donné par la presse aux employés de la centrale Fukushima ayant contenu la catastrophe, bien souvent au péril de leur vie.