CO-AUTEUR: JEAN-PATRICK REYSSET
Jeudi dernier, 15 mai 2014, le Conseil québécois du théâtre (CQT) présentait à ses membres son rapport sur la formation professionnelle. Rédigé à la suite d’une table ronde incluant différents acteurs du milieu (sauf apparemment ceux qui sont réellement impliqués dans la formation professionnelle en théâtre), cette étude devait répondre à certaines inquiétudes au sein de la communauté québécoise du théâtre. C’est pourtant l’inverse qui s’est produit lors de ce dévoilement officieux qui en a heurté plus d’un.
La salle était pleine pour cette présentation officielle du CQT. Majoritairement, on y retrouve des représentants des écoles de théâtre à travers le Québec: les cégeps Lionel-Groulx et St-Hyacinthe, l’Université Laval et l’UQAM, et même la directrice artistique de l’École Nationale de Théâtre du Canada. Chacun, à tour de rôle, prêt à bondir sur le Comité Formation professionnelle en théâtre, qui ne semble nullement avoir réussi à fédérer les enseignants et directeurs autour de ses recommandations, qui n’auraient finalement contenté que quelques compagnies de théâtre bien établies et politiciens populistes. «Un rapport inexact et erroné», disait l’UQAM. «Peu de rigueur et une obsession du nombre», reproche Lionel-Groulx. «Une conception de la formation professionnelle en théâtre centrée uniquement sur le jeu», renchérit l’Université Laval. Une certaine logique économique était bien sûr au rendez-vous, qui semble non seulement peu adaptée aux réels besoins du milieu, mais aussi lance une invitation aux divers paliers de gouvernements, à l’heure des politiques d’austérité, à couper dans la formation en théâtre et à mettre de nouveaux bâtons dans la roue déjà amochée du syndicalisme.
L’enjeu est complexe: beaucoup d’acteurs pour peu d’emplois et peu de public. La réponse que donne le Comité, elle, semble très simple: il faut former moins d’acteurs. C’est mathématique. Comment? En fermant deux écoles, pour peut-être en ouvrir une autre, sous une potentielle forme de troupe-école qui servirait de projet-pilote. Tout aussi mathématique. Jusque-là, tout semble logique. Par contre, le Comité semble avoir pris pour acquis certains éléments qui n’avaient rien d’évident pour les intervenants présents lors de la présentation du rapport.
Par exemple, on se demande pourquoi le rapport semble considérer la diminution de la fréquentation des théâtres comme une fatalité irréversible, déplorant l’échec des théâtres Jeune publique comme l’effort ultime pour développer un nouveau public. Aussi, on s’interroge sur les raisons qui ont motivé cette étrange proposition de fermer les programmes de formation professionnelle en jeu dans les cégeps et à l’UQAM, qui auraient des structures administratives trop lourdes. Rajoutons le danger qu’éliminer la permanence d’emploi dans les écoles de théâtre constitue pour une provocation nouvelle de la précarité de l’emploi. Ou encore la proposition encore plus étrange de fonder une troupe-école au Saguenay, qui, toujours aux dires des invités, n’est pas le lieu idéal pour former des interprètes en jeu, puisque la tendance y est à l’interartialité et aux performances audacieuses. Nous y reviendrons. Mais surtout, on semble crier haut et fort que la diminution du nombre d’écoles dans un système qui ne changerait pas serait un appel aux coupes budgétaires, surtout aux yeux d’un gouvernement qui semble préconiser les restrictions financières irréfléchies et les mesures d’austérité, en dépit des recommandation du Fond monétaire international (est-ce là une tendance des institutions québécoises, tant au gouvernement qu’au CQT, que de ne rien apprendre des études étrangères?).
En somme, le calcul ne semble pas être le même pour les membres du Comité et pour les membres du milieu présents à l’événement. Nous avons été par conséquent très surpris de constater qu’aucun enseignant, ni membre de la direction d’une de ces écoles n’a siégé sur la table ronde ayant mené à ce rapport. ( Le comité était formé d’Alexandre Cadieux, Jasmine Catudal, Frédéric Dubois, Maureen Labonté, Dominique Leduc, Annick Lefebvre, Etienne Lévesque, Gilles Marsolais, Hélène Nadeau et Stéphane Zarov.) Il faut croire que l’on craignait de les entendre se battre pour défendre leur part du gâteau, sans impartialité.
De tout cela, il faut prendre acte, certes. Il est vrai que le milieu théâtral est engorgé au Québec, qu’il y a trop de spectacles et trop peu de public actuellement, que les étudiants en théâtre gagnent à avoir des enseignants plus professionnellement dynamiques qu’assis sur la routine, que les régions pourraient être nourries de davantage de ressources et qu’il est parfois difficile de se retrouver avec autant d’écoles professionnelles administrées différemment.
Cependant, ce qui semble absolument impensable, c’est que la totalité des réflexions et recommandations de cette étude ne concernent que la fermeture de programmes et l’ouverture d’un programme calqué sur ce qui existe… sans véritablement remettre en question la manière que nous avons de former des artistes au Québec. La qualité de la formation n’est pas du tout interrogée, ni la diversité de celle-ci. À l’heure où les festivals des arts de la scène foisonnent de créations mariant théâtre, danse, musique, performance et poésie, on ne suggère nullement une réforme de la matière à enseigner. Comme si être un acteur aujourd’hui ne différait aucunement d’il y a 40 ans. On déplore la formation déficiente en mise en scène au sein des programmes de jeu, mais personne ne s’interroge à savoir s’il est toujours pertinent de définir la mise en scène telle que l’activité textocentriste qu’elle s’obstine à demeurer au Québec, malgré les percées d’alternatives un peu partout dans le monde. Et qu’en est-il de l’idée d’une formation prônant un équilibre entre la théorie et la pratique? Est-ce que tous les acteurs sans exception doivent à tout prix ignorer les écrits d’Artaud, Grotowski, Barba, Copeau, Meyerhold, Lesage, Dubois, pour ne nommer que ceux-là (qui ne sont jamais lus dans les «grandes écoles»), au péril de leur soumission à la création des autres?
Selon le rapport du Comité, il ne semble y avoir qu’une seule manière de tenir une bonne école d’art, et cette vérité infuse ne semble s’appuyer sur aucune recherche, ni citer ce qui se fait ailleurs dans le monde. L’idée reçue que la formation d’un acteur doit différer de la formation d’un créateur, que cet acteur doit avant tout apprendre l’interprétation du texte de quelqu’un d’autre, du personnage juste, de l’émotion juste, et que la consécration suprême de cette formation est la prestation aux Auditions du Quat’sous, où ce talent de pantin interprétatif devra surtout mettre en valeur un casting, une mise en marché de sa personne, pour des producteurs de séries télé, cette idée-là, personne ne se précipite pour la jeter par terre.
Le mandat du comité en était un de «réflexion sur la cohésion et la complémentarité dans la formation théâtrale au Québec, pour déterminer si cette formation répond adéquatement aux besoins, au développement et à l’écologie du milieu théâtral québécois». Échec total, donc, si l’on considère les besoins de manière qualitative (et non uniquement quantitative); le développement comme artistique (non économique); l’écologie comme diversifiée autant que renouvelée.
Suite à la présentation du 15 mai, et à l’accueil glacial que le milieu lui a donné, le CQT a visiblement suspendu le dévoilement public de son rapport. Espérons que la prochaine réflexion creusera plus profond. D’ailleurs, d’autres études concernant les autres programmes de formation professionnelle en théâtre (jeu anglophone, études théâtrale, enseignement et autres) devaient être poursuivies à la suite de ces premières recommandations. À quand une étude globale sur la formation de créateurs scéniques interdisciplinaires, ou encore une remise en question des critères actuels de la reconnaissance professionnelle en art?
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Présentation du rapport issu des travaux du comité Formation professionnelle du Conseil québécois du théâtre (CQT) le jeudi 15 mai 2014 au Théâtre La Licorne.
Article par Geneviève Boileau. Étudiante à la maîtrise en théâtre, Geneviève est d’abord et avant tout une voyageuse. Elle saute de pays en créations, d’océans en bouquins, et de saveurs en rituels. Fondatrice du Théâtre de l’Odyssée, elle en assure aujourd’hui la co-direction artistique. Siégeant sur le conseil d’admistration de l’Association des compagnies de théâtre (ACT) et sur le Comité Avenir du théâtre au Conseil québécois du théâtre (CQT), elle s’indigne régulièrement contre certaines pratiques et façons de faire au sein du milieu théâtral. Aussi, elle adore les Sour Cherry Blasters.