Le deuxième recueil de la jeune poète innue Natasha Kanapé Fontaine est un cri de papier. Manifeste Assi est un texte politique et poétique, un ensemble de poèmes qui alerte, interpelle et célèbre. Assi signifiant Terre en Innu, c’est donc à la fois une parole originelle et une conscience écologique qui se meuvent entre ces pages. Quant au Manifeste du titre, il ouvre le champ d’action de la poète: il s’agira ici de défendre une cause, de mener une lutte.
Si son premier recueil, N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures (Mémoire d’encrier, 2012), explorait son identité autochtone entre deux rives – Innue de Pessiamit grandie en ville -, Natasha Kanapé Fontaine nous offre là un texte qui bien que profondément ancré dans ses racines innues transcende l’évocation de son peuple. Ce livre est un manifeste, il évoque une urgence politique. Il est une parole des Premiers Peuples adressée au monde, une alerte. La préservation de la Terre en est son sujet principal.
La jeune poète expose avec évidence la vision autochtone d’une Terre-mère nourricière dont il faut préserver les ressources. La nature n’y est pas présentée comme un territoire imaginaire et utopique mais comme une source de vie qu’il ne faudrait pas assécher. Omniprésente, elle irrigue chaque poème. Le caribou, la toundra et les épinettes construisent un paysage onirique à l’image de la belle Côte-Nord. La voix poétique se nourrit de toutes ces évocations, les concentre en un discours dont la portée est terriblement actuelle: habiter la Terre c’est accepter qu’elle ne nous appartienne pas, c’est faire en sorte de la protéger.
Natasha Kanapé Fontaine est slameuse, et le rythme qu’elle insuffle à sa langue en témoigne. Les poèmes aux longueurs irrégulières sont scandés tout au long du recueil. Le rythme syncopé épouse les soubresauts d’une colère à dire: «Il y a dans le fondement du monde / une ecchymose.» (Manifeste Assi, p.9) Une douleur aiguise la parole de la poète. Elle est liée au vol des territoires, à la colonisation des Premières Nations, mais aussi aux effets dévastateurs des industries pétrolières sur la nature. Le Plan Nord est le grand ennemi à abattre et chaque mot semble lancé par une bouche frondeuse.
Les images qui naissent sous la plume de Natasha Kanapé Fontaine sont bien souvent inattendues et puissantes. Ces assemblages de mots brisent à leur façon les carcans coloniaux qui tendent à étouffer des récits de vies meurtries. Le livre est un objet éveilleur de conscience. Il crée des visions nouvelles: «Mon verbe subsiste de sauge mon bien-aimé / les temps viennent / où sortira le livre.» (Manifeste Assi, p. 65)
Toutefois, l’arme revendiquée est bien souvent l’amour. «Il me faut crier / que tu sois au plus haut des hirondelles / mon amour est une avalanche.» (Manifeste Assi, p 31)
Amour des siens, de l’Autre, de la nature, amour charnel comme celui qui anime les quelques poèmes nichés au cœur du recueil et qui se font le récit de nuits blanches. Le combat revendiqué par la poète est imprégné d’une sensualité à vif, comme si l’ardeur qui habitait les manifestations militantes et l’amour physique étaient les mêmes. Manifeste Assi palpite de ce puissant désir de vie que l’on possède lorsqu’on a tout juste vingt ans.
Militant et politique, Manifeste Assi est avant tout un texte poétique qui célèbre l’incandescence du verbe. Écrire c’est ouvrir d’autres possibles.
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Natasha Kanapé Fontaine, Manifeste Assi, Montréal: Mémoire d’encrier, 2014, 87 p.
Article par Alice Lefilleul – Doctorante en littérature Comparée. Chroniqueuse culturelle chez Touki Montréal.