Dans son second roman, Jeanne Dompierre réinvente le genre policier en l’abordant avec une perspective féministe. Le titre de son œuvre, Personnages secondaires, laisse deviner que la victime n’est pas au centre de l’histoire. L’autrice laisse tomber l’enquête policière habituelle pour se concentrer sur l’entourage de la victime. Ainsi, le crime en lui-même et le processus d’enquête n’y apparaissent pas. Ce sont plutôt les conséquences immédiates sur les proches d’une victime que Jeanne Dompierre met en évidence dans son roman.
« Ce qui me hante, c’est pas le fait que cette histoire-là soit unique en son genre, au contraire. C’est le fait que d’une certaine façon, elle pourrait pas être plus banale[1]. »
Alors qu’elles sortent d’un bar après une soirée arrosée, Chrystelle, Amaryllis et Sarah se séparent pour entrer dans leur appartement respectif. Cette nuit-là, Chrystelle disparait sans laisser de traces. Comment est-il possible de continuer à vivre normalement après la disparition d’une meilleure amie ? D’une fille ? D’une cliente ? C’est ce que tentent de déterminer celles qui ont été épargnées par le ravisseur. Amaryllis, Sarah, Esther – la serveuse, l’une des dernières à avoir vu Chrystell –, Sylvie – la mère de la victime – et Julie-Chloé – une journaliste intéressée par le true crime – se partagent la narration et laissent entrevoir leurs questionnements, leur culpabilité et leurs craintes résultant de cet événement.
Personnages secondaires est un véritable page turner. Le fait que le livre ne soit pas spécifiquement à propos du crime ni de l’enquête le rend d’autant plus intrigant. Les lecteur·rice·s n’ont donc pas un accès direct aux informations concernant la victime, mais plutôt à des bribes provenant des souvenirs des personnages. Certaines se repassent en boucle les dernières images de la victime, en font une fixation. D’autres préfèrent essayer de les oublier, noyant leur chagrin et leur sentiment de culpabilité dans l’alcool. Une chose est certaine, chacune d’entre elles est marquée à jamais par cette disparition.
En offrant la vision de celles qui restent, Jeanne Dompierre met à l’avant-plan les conséquences d’un crime sur les proches de la victime. Ici, l’autrice se concentre surtout sur les répercussions que vivent les femmes à la suite d’un enlèvement qui les touche personnellement. Elles se mettent dans la peau de la victime, font des cauchemars, retombent dans leurs pires souvenirs, rechutent dans leurs mauvais patterns, craignent sans cesse pour leur sécurité. Quelle femme n’a jamais tenu ses clés entre ses doigts en marchant dans une rue plongée dans la pénombre ? Quelle femme n’a jamais accéléré le rythme après avoir senti une présence derrière elle ? Quelle femme ne s’est jamais dissimulée sous des vêtements amples pour ne pas solliciter les regards ? Quelle femme n’a jamais tenté de se faire petite, voire de se rendre invisible, afin de ne pas attirer l’attention ?
Voilà la principale conséquence : la peur. La peur d’être suivie, la peur de ne pas être assez forte pour résister ou se défendre, la peur de ne pas être crue. La peur de ne pas pouvoir se fier à son instinct, de ne pouvoir avoir confiance en personne. Cette peur qui gruge l’énergie, celle qui se taille une place dans les réflexions à toute heure de la journée, celle qui s’immisce dans les cauchemars.
Ce ne sont pas les femmes qui devraient disparaitre, mais plutôt les sources du problème : la masculinité toxique, le harcèlement ainsi que la violence psychologique, physique et sexuelle.
[1] Jeanne Dompierre, Personnages secondaires, Montréal, Québec Amérique, coll. « La shop », 2023, p. 236.
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Jeanne Dompierre, Personnages secondaires, Montréal, Québec Amérique, coll. « La shop », 2023, p. 236.