Dix-huit ans après la création du spectacle Moi, Feuerbach et plus d’une centaine de représentations plus tard, Gabriel Arcand se glisse de nouveau dans la peau du personnage sacré Feuerbach dans une mise en scène signée Téo Spychalski sur les planches du Prospero jusqu’au 8 février.
L’homme zéro, c’est Feuerbach, un acteur au passé glorieux qui a été oublié à la suite d’une longue pause de sept ans dans sa carrière. Ce trou dans sa vie est béant et renferme une grande fragilité qui se dévoilera par fragments tout au long de la pièce. Pour masquer ce dont le théâtre l’a dépouillé, l’homme se cache derrière mille visages différents, mais son armure imaginaire ne peut résister au temps.

L’action de la pièce débute quand le comédien décide de reprendre sa carrière là où il l’avait laissée. Dans un décor inachevé, au milieu d’une scène en pleine construction, il se présente pour passer une audition avec un metteur en scène de grande renommée. Ce dernier ne se présentera jamais et c’est à son assistant que reviendra le rôle du juge intransigeant. L’audition se transforme alors en une longue attente où l’acteur se livre à un dialogue de sourds avec l’assistant metteur en scène. Une incommunicabilité qui mettra en lumière le choc de deux générations et de deux cultures théâtrales différentes.
Téo Spychalski peut être fier de signer à nouveau la mise en scène de cette œuvre remarquable. Puisse le duo Arcand-Spychalski longuement perdurer. Le spectateur est pendu aux lèvres de Feuerbach du début à la fin. Arcand semble être né pour jouer ce rôle: il nous épate par son jeu criant de vérité et sa justesse tranchante. Seul bémol à ce bijou théâtral, l’imposant Feuerbach fait ombrage à Alex Bisping qui peine à se démarquer dans le rôle de l’assistant. Son jeu manque décidément de subtilité et de finesse. Le faire jouer aux côtés d’Arcand met en relief le manque d’évolution psychologique du personnage.

Le théâtre de la Veillée présente de nouveau ce spectacle, presque vingt ans après sa création. Le plus étonnant est que le texte n’a pas perdu une ride de son actualité. Il aborde, avec une rare lucidité, le rapport de l’acteur au metteur en scène, l’apport des humains au jeu et à la production et le métier éphémère d’acteur. Si l’universalité du texte traverse le temps, il n’en est pas de même pour la notoriété de l’auteur qui peine encore à se faire connaître de ce côté-ci du continent. On dit de Tankred Dorst, écrivain et dramaturge allemand, qu’il est le Goethe du XXe siècle en Allemagne. Dès lors, Moi, Feuerbach est à la hauteur d’être surnommé le Faust de Dorst.
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Moi, Feuerbach de Tankred Dorst, présenté du 21 janvier au 8 février au Prospero. M.E.S. Téo Spychalski.
Article par Ariane Brien-Legault – Passionnée d’art, de culture et de l’être humain dans toute sa complexité, Ariane Brien-Legault est rédactrice en chef du pupitre cinéma pour l’Artichaut, journaliste-pigiste à NIGHTLIFE.CA, chroniqueuse à CIBL et l’auteure du blogue EXO. Elle étudie actuellement en Communications journalisme à l’UQÀM.