C’est à travers un archétype de clichés sur la masculinité, et malgré tout sur la féminité, que se déroule la pièce J’ai rasé mes jambes six fois and no sex happened. Mise en scène par un diplômé de l’UQÀM, Philippe Dandonneau, et interprétée par l’exubérante Claudia Chan Tak en présentatrice sexy et le sensuel Sébastien Provencher en mâle tourmenté, la production du théâtre La Chapelle s’inscrivait tout à fait dans l’habituelle programmation du diffuseur d’une relève expérimentale-trasho-comique.
La prémisse derrière la pièce de Dandonneau était réellement intéressante : depuis quelques années, la masculinité moderne est bousculée par divers facteurs tels qu’une plus grande égalité homme/femme, mais aussi, moins positivement, par la société de consommation et les stéréotypes contraignants qu’elle perpétue sur l’ensemble des individus. Les figures conventionnelles de l’homme véhiculées par la mode et par la culture populaire sont, selon Dandonneau, désuètes. Les trois interprètes, évoluant entre théâtre, performance et danse, avaient comme intention de questionner les lieux communs du genre et de s’en échanger les rôles.
Ce type de proposition est délicate, car remettre en question les codes esthétiques liés au genre ou au sexe revient souvent à les réitérer, parfois involontairement. Ici, le chorégraphe a décidé de ne pas faire dans la subtilité. Un humour un peu salace, ludique, parfois un peu simpliste et superficiel semble lier la pièce. Des tableaux se succèdent principalement sous forme de solo ou de duo. Les images sont parfois futiles, mais quelques scènes proposent des stratégies intéressantes comme celle du « duo de couilles » : irrévérencieuse, brutale dans sa vérité et drôle grâce à son interprétation assumée et provocante. Regardant le public dans les yeux lorsqu’il leur est possible, Dandonneau et Provencher, en t-shirt blanc et sans sous-vêtements s’agitent en imitant les danseurs et danseuses de twerk, révélant sans aucune pudeur, non seulement leurs parties génitales, mais aussi leur anus dans toute leur splendeur. Ceci peut sembler étonnant pour certains, mais cette scène est rafraichissante, drôle et originale. En agissant ainsi, ils libèrent des images taboues, souvent sexualisées, perçues comme impropres et vulgaires. Tous ces préconçus s’évanouissent au cours de cette performance exagérée qui permet au public de reconsidérer ses aprioris et d’en apprécier toutes les facettes visuelles.
Quelques autres bonnes idées sont amenées comme le duo masculin enduit d’huile s’inspirant des combats de lutte gréco-romaine, mettant en évidence un travail du corps dynamique et brutal. Dans un solo qui suggère une vision alternative au stéréotype du bûcheron québécois, Provencher, vêtu d’une chemise à carreaux chancèle dangereusement avec une hache à la main. Une séquence de portés, où la frêle Claudia Chan Tak fait office de porteur, et finalement la dernière scène où Dandonneau, dans une pose à la Vénus antique, se fait raser différentes parties du corps selon les jours de représentations (cheveux, pubis, barbe) démontrent une certaine ingéniosité.
Cependant, la proposition est mince et parfois un peu ordinaire, commune et grossière. L’intention n’est pas tout à fait claire, et, à la question « Ai-je pu observer ou saisir différentes formes de masculinité? », la réponse est malheureusement non. En 2014, sur cette même scène, dans sa pièce solo Winnin, Dany Desjardins réussissait à métamorphoser sa physionomie en une danseuse populaire de hip-hop. En début d’année, au théâtre Espace Libre, l’introduction de Ma(g)ma laissait présager la représentation d’une intéressante multitude de masculinités (qui n’aura malencontreusement pas lieu). Toutefois, défaire les codes de genre sur scène, mais surtout aborder la masculinité comme un concept pluriel et mouvant, scruté et fouillé par des danseurs, est une exploration trop rarement entreprise sur les scènes montréalaises.
J’ai rasé mes jambes six fois and no sex happened, une pièce de Philippe Dandonneau, était présentée du 21 au 25 novembre 2016 au théâtre La Chapelle.