Children of God est une comédie musicale de Corey Payette sur le thème des pensionnats autochtones. Coproduite par les productions Urban Ink et le Centre Segal, la pièce était jouée au Segal du 20 janvier au 10 février 2019.
La musique adoucit les mœurs. Dans sa comédie musicale Children of God, Corey Payette explore la blessure des pensionnats autochtones, et célèbre la résilience des survivants. Ontarien d’ascendance oji-crie, il joue un rôle fondamental dans le projet: il signe la musique, les paroles, le livret et la mise en scène.
Children of God s’offre aux yeux du public 11 ans après la création de la Commission de vérité et réconciliation, qui a collecté les témoignages des anciens pensionnaires. Payette conçoit ainsi sa pièce dans un contexte politique où l’heure est à poser des actes pour rendre la réconciliation tangible. Children of God est une coproduction des productions Urban Ink, spécialisées dans les œuvres d’artistes autochtones ou interculturels, et du Centre Segal, engagé dans la vie culturelle de la communauté juive. Après chaque représentation, une discussion entre l’équipe créative et le public a lieu, afin d’échanger sur l’œuvre, mais aussi de réfléchir à ce que l’on peut faire au quotidien pour changer le regard de la société sur les Autochtones. De plus, des panneaux d’information sur les pensionnats sont placés dans le hall d’entrée du théâtre.
Les répercussions des pensionnats sur les Autochtones ont déjà été mises en scène, notamment dans la poignante pièce Where the Blood Mixes de Kevin Loring, traduite par Charles Bender et jouée par la troupe de Menuentakuan sous le titre Là où le sang se mêle au théâtre Denise-Pelletier il y a un an. C’est en revanche la première fois qu’une comédie musicale s’empare du sujet.
Ce genre est doublement approprié: d’une part parce que la musique facilite la transmission d’une expérience si dure qu’elle en est presque indicible (au cinéma, on pense au calvaire de Selma dans le Dancer in the Dark de Lars Von Trier), d’autre part parce que la comédie musicale est en affinité immédiate avec la tradition autochtone, selon laquelle une histoire se doit d’être contée avec de la musique et de la danse.
La pièce raconte l’histoire d’une famille oji-crie. Tom (Dillan Chiblow) et sa sœur Julia (éblouissante Cheyenne Scott) ont été arrachés à leur mère Rita (Michelle St. John) et placés dans un pensionnat du nord de l’Ontario. Deux fils narratifs s’entremêlent et se rejoignent à la fin: l’enfance de Tom et Julia au pensionnat dans les années 1950 et la situation de la famille 20 ans plus tard, dans les années 1970.
L’époque du pensionnat évoque un système carcéral, avec des costumes gris de bagnard pour les enfants et les costumes noirs de Sister Bernadette et de Father Christopher, tandis que l’époque des années 1970 tranche par la couleur des costumes, l’apparente insouciance et liberté.
Les situations et l’évolution des personnages reflètent avec justesse le vécu des personnes qui ont connu les pensionnats. Le candide et attachant Tommy, qui écrit des lettres au Grand Chef et rêve de s’enfuir avec sa sœur, devient un homme qui essaye de remonter la pente après avoir été dépendant à la boisson et avoir perdu sa femme. Son copensionnaire Wilson, le petit malin du groupe, est devenu un riche homme d’affaires qui a planqué dans le fond de sa mémoire le souvenir du pensionnat. Si Father Christopher incarne la corruption de l’Église, Sister Bernadette apparait comme le pion d’une opération qu’elle ne comprend pas et qu’elle découvre petit à petit, horrifiée.
La réalité des pensionnats, avec leurs mesures cruelles – la mère empêchée de rendre visite à ses enfants, par exemple – et bien sûr les abus physiques et psychologiques, est parfaitement restituée. La musique et les scènes de tendre camaraderie entre les enfants viennent contrebalancer le poids des scènes plus dures.
Outre la performance habitée de Cheyenne Scott dans le rôle de Julia, les prestations de David Keeley (Father Christopher) et Sarah Carlé (Sister Bernadette) ressortent. Ils sont tous deux à la fois très bons chanteurs et comédiens, en effet rompus au genre du théâtre musical.
Les chansons alternent habilement solos et duos lyriques avec des morceaux en groupe plus rythmés. On retient le touchant duo de Tom et Julia, The Closest Thing to Home, le puissant solo de Julia, Runaway, et la chanson finale, en langue ojibwée, Baamaapii Ka Wab Migo (until we see you again), qui commence avec le tambour de Rita pour s’achever en un chœur triomphant.
L’ensemble est bien construit, juste, émouvant, et cathartique. Children of God est une pierre pour la réconciliation des peuples autochtones et allochtones du Canada. Hélas, alors que l’appareil promotionnel du Segal cite le Globe and Mail, qui a qualifié la pièce de « théâtre à voir absolument par tous les Canadiens » (traduction du communiqué de presse du Segal), aucun surtitre français n’a été prévu. Quid des Canadiens francophones ?
Comédie musicale sur les pensionnats autochtones, Children of God était jouée au Segal jusqu’au 10 février 2019.
Article par Magali Balles.