Avec Le combat du siècle, Stéphane Picher signe son deuxième recueil de poésie, le premier à paraître aux Éditions du Passage, à travers lequel il inscrit une étonnante tendresse au sein de l’apprentissage de la masculinité. Au cours des trois parties qui forment ce recueil, Picher s’appuie sur la boxe, le baseball et la pêche afin de repenser les relations père/fils. En filigrane se dessine une profonde réflexion sur la nature de la transmission et de la poésie.
Au fil de ma lecture, Le combat du siècle me ramène à une époque révolue, celle de mon enfance et de ces fins de semaine passées au chalet malgré moi. Comme le père mis en scène dans le recueil, le mien aime pêcher la truite et quand je repense à ces étés, ce sont les odeurs des arbres, la chaleur du soleil sur ma peau, mais aussi, comme l’écrit Picher, «Nos cœurs papier journal, tachés de sang de truite» (p.14) qui me sont resté. Si je me permets de mentionner ma jeunesse, c’est que le recueil se présente avant tout comme une incursion dans les souvenirs d’enfance. Ces souvenirs, parfois enfouis profondément, sont à la base de notre mémoire et donnent l’impression d’un monde à part à explorer.
Cette remémoration se déploie sur trois parties et prend un ton parfois amer, parfois sentimental. La première section, «Le braconnier», raconte ces moments d’enfance passés en nature à pêcher, à cueillir des petits fruits et autres souvenirs qui nous échappent. «Le combat du siècle», ode à la boxe, met en scène les conflits qui naissent dans la relation au père. Finalement, avec «Hesitation pitch» le baseball devient un langage par lequel père et fils communiquent et met en relief les non-dits qui semblent inhérents à ce type de relation. Chacune des parties est accompagnée d’une citation en exergue: Marcel Pagnol, Mohammad Ali et Larry Zirlin. Poètes, écrivains, athlètes, ceux-ci donnent le ton aux poèmes qu’ils accompagnent. La force de l’auteur est de nous montrer les lieux insoupçonnés où peut se cacher la poésie.
La plume de Stéphane Picher est épurée, mais témoigne d’une grande finesse. L’auteur énonce une impossibilité qui réside au sein de la masculinité, celui de l’abandon de soi, peut-être seulement accessible par la boxe ou le baseball, où enfin les corps peuvent parler d’eux-mêmes. En ce sens, Le combat du siècle joue souvent sur les sensations physiques pour conjurer la mémoire familiale. Le sport permet aux corps de s’exprimer, là où la poésie ne peut se faire entendre.
Je n’ai pas oublié le délavé au-dessus de nos têtes.
Mon corps aquatique, des nœuds au centre pour
tenir en laisse les petites bêtes de la peur. De la
sueur au bout de mes doigts trop maigres; une peau
fine comme de la poudre se détachant de moi.
Y a-t-il encore de la place sur mes parchemins
d’homme pour rire ou s’écrire, céder à l’ivresse
des après-midi? (p.23)
À travers les douze poèmes, les douze rounds, de la partie intitulée «Le combat du siècle», le corps du paternel devient le témoin, l’incarnation de cette mémoire: «son dos penché/est un regret de muscles» (p.37) ou encore, «ses bras d’épuisement/ont pris le gris rosé/de ses regrets.» (p.39) Une tension traverse le texte. D’une part, Picher éprouve le désir de dire le lien qui unit pères et fils, d’autre part, l’auteur reste aux prises avec une part d’indicible qui surgit dans l’impossibilité d’aller au fond des choses. Si, du premier abord, le recueil de Picher s’intéresse aux conflits intergénérationnels, il commente aussi l’échafaudage de la virilité qui repose sur une fragile fierté. Coup après coup, cette masculinité est déconstruite au fur et à mesure que l’auteur en révèle les failles.
Le combat du siècle remet en question cette retenue supposément propre à la masculinité. «Le combat du siècle est celui/des pères et des fils» (p.42), mais ne serait-il pas aussi ce conflit intérieur, ce déchirement entre l’expression d’un amour père/fils et le silence si souvent privilégié? Stéphane Picher montre de quelle manière le sport peut devenir le langage de prédilection là où les mots, ces «mots mâles» (p.35), échouent.
Stéphane Picher, Le combat du siècle, Les éditions du passage, 2018, 70p.
Article par Audrey Deveault.