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17-03-2025 Vol 19

La beauté de la mort et le chaos de l’amour. Une critique de l’album Pissing Stars d’Efrim Manuel Menuck

S’il a fallu deux ans à Efrim Manuel Menuck — guitariste des formations underground Godspeed You! Black Emperor et Thee Silver Mt Zion Memorial Orchestra, deux groupes issus du Mile-End montréalais — pour enregistrer ce deuxième opus, c’est bien parce que le sujet de cet album électro expérimental trotte dans la tête du musicien depuis bien plus longtemps qu’il n’y paraît. Chaque piste tourne autour de l’histoire d’amour d’une présentatrice de télé américaine, Mary Hart, et du fils d’un marchand d’armes international, Mohammed Khashoggi, sujet qui a accaparé l’esprit d’Efrim Manuel Menuck bien avant ses jours avec Godspeed You !, alors qu’il n’était qu’adolescent. Presque 30 ans plus tard, il leur dédie cet album où l’ombre de la mort plane, mais où on y retrouve tout de même un clair-obscur, une lumière qui éclaire la beauté de l’amour, peu importe la forme qu’elle prend.

Pochette de l’album Pissing Stars d’Efrim Manuel Menuck

Loin de l’ambiance lourde à laquelle il nous a précédemment habitué avec ses autres projets ou avec son premier album, Pissing Stars se démarque particulièrement par sa part d’optimisme qui rappelle par moment Sigur Rós ou encore Talk Talk. Pourtant, la plupart du temps, on est renvoyé à l’espèce d’ambiance morbide et stérile de Frankie Teardrop des Suicide. Donc, n’allez pas croire que Pissing Stars est tout en joie. La voix lancinante, les paroles, la guitare ; le tout (sur) chargé d’effets, mis en boucles, crées une lourdeur indéniable. Même la genèse de l’album est, telle que décrite par Menuck, plongée dans la noirceur. Il le dit lui-même, l’écriture et l’enregistrement se sont faits durant deux très dures années — entre 2016 et 2017 — où il était tiraillé par la misère, la dépression et l’alcool. Cette impression que tout va mal, on la sent dans nos oreilles, d’abord, dans nos tripes, ensuite, puis au cœur. Comme si rien n’allait plus. La lueur d’optimisme dissimulée au travers des pistes comme des détails sur l’histoire d’amour de cet étrange couple nous permet toutefois de nous sortir du gouffre.

Si, tout d’abord, l’album nous plonge dans un abysse qui arrive à son point culminant avec un extrait d’interview entre la journaliste Barbara Frum et la membre de la famille Manson, Sandra Good, sur un fond de musique drone lors de Kills v. Lies, le ton général prend une tournure soudaine par la suite avec les pièces Hart_Khashoggi et A Lamb in the Land of Payday Loans où c’est dans des notes majeures que l’on se retrouve. Cette dernière arrive presque à évoquer un côté festif qui surprend de la part de Menuck tout en restant bien emmené et fort apprécié.

L’amour est décidément un thème principal de l’album : on le sent particulièrement dans le titre LxOxVx/Shelter in Place, premier simple à être sorti. Si la piste commence avec une guitare lourdement modifiée par un contingent d’effets, des paroles lancinantes et un ton planant, le tout prend de plus en plus de vigueur à mesure que la chanson progresse, que la mélodie trace son chemin dans notre esprit comme un ver d’oreille et que des boucles s’ajoutent. On ne sait plus si Efrim Manuel Menuck parle de lui-même ou s’il s’imagine à la place de l’un de ses protagonistes lorsqu’il répète ces vers : This body only bends for you / This creature’s body only makes these shapes for you ; juste avant que l’on ne tombe dans une spirale de boucles et d’effets de guitares qui font passer la chanson du mineur au majeur, de la noirceur à la lumière. Sans grande surprise, on comprend pourquoi cette chanson a été choisie comme premier simple puisqu’il annonce bien la dualité qui gouverne tout l’album, ce clair-obscur de l’amour.

Les amateurs se réjouiront à la fin de retrouver des traces de Godspeed You !, particulièrement dans les premières pistes, plus près du style d’ Asunder, Sweet and Other Distress, mais aussi dans des titres comme The Beauty of Children and The War Against the Poor ,dont la guitare semble presque répéter des bruits d’hélicoptères, qui peut rappeler Their Helicopter Sing (sur Allelujah ! Don’t Bend ! Ascend !). Moins punk que Thee Silver Mt Zion, mais plus électro que Godspeed You! l’album Pissing Star se situe définitivement entre les deux, tout en s’établissant comme sa propre entité clairement définie. Les amateurs du guitariste et chanteur apprécieront, toutefois, pour les moins connaisseurs, l’album pourrait paraître légèrement ostracisant.

Article par Simon Normand.

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