La cohérence d’errer ensemble, récital de La Tournure et de l’Acte

Le lundi 26 octobre dernier s’est tenu au Bleury-Bar à Vinyle un évènement qui mélangeait poésie et musique électronique. Initiative…
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Le lundi 26 octobre dernier s’est tenu au Bleury-Bar à Vinyle un évènement qui mélangeait poésie et musique électronique. Initiative conjointe du regroupement littéraire La Tournure et des membres de la maison de disques l’Acte, la soirée invitait les poètes à mélanger leur production littéraire orale à des textures synthétiques, parlantes et rythmées.

Crédit photographique: Pier-Philippe Chevigny
Crédit photographique: Pier-Philippe Chevigny

C’était d’ailleurs lancer-léger pour la troupe qui, cherchant constamment à valider le récital de poésie dans le contexte social actuel, a pensé combiner l’appareillage électronique aux mots de ses poètes. L’audace en valait le déplacement, ne serait-ce que pour sentir l’humeur de la poésie percer les tympans du public selon des notes parfois diaphanes, ou tout simplement pesantes comme le fer.

La cohérence d’errer ensemble, de prime abord, semble s’être inscrite dans une réflexion sur l’expérience combinée des mots avec la technologie. Ce questionnement de l’expérience, que le poète met en jeu dans son oralité, avait toutes les chances de rejoindre les sphères plus persistantes, plus rigides d’une musique qui se serait dépourvue d’artifices dans l’accompagnement. On sait que la poésie est née dans la musique et que, se séparant de son énoncé initial, de sa performance cathartique, s’est lentement dépourvue de son accompagnateur originel pour mettre en place une énonciation propre au discours. Autrement dit, ce qui est dit est plus important que l’acte de parler en soi.

C’est donc un pied de nez assez efficace que de faire retour sur les lieux du passé en prenant la musique électronique comme contrepied, musique qui sait aussi bien nous mener vers les pâturages d’autres planètes qu’ancrer notre corps dans un rythme tellurique assourdissant. À ce titre, on nous a confié avec une pointe d’humour que l’idée initiale d’amener des ordinateurs sur scène a donné l’occasion à une pléthore d’appareil de s’immiscer. Synthétiseurs, claviers, beat-box, drum machines et instruments à cordes ont assuré une belle diversité dans l’exécution, tout en permettant aux poètes de s’avancer dans des paysages sonores aux reliefs variables.

Côté rendu, on notera l’intervention de Zéa Beaulieu-April en ouverture comme une initiation mémorable à ce genre androgyne. Étant une des organisatrices de l’évènement, la poète s’est avancée sur scène accompagnée par Gabriel Ledoux aux appareils. Elle portait dans ses mains un grand feuillet de papier où son poème, rédigé en collage, était progressivement déplié au fil de la lecture. Ledoux avait à sa disposition un échantilloneur (sampler) qu’il utilisait pour séquencer la voix de Zéa en simultané, donnant au débit du récital un rythme délirant, dont les mots martelaient l’assistance aux sons d’ambiances noise mélangée à du trip hop et des notes d’accordéon filtrées.

Lorsque le poème a été déplié au maximum, la poète s’est mise à le déchirer avec finesse, déployant la substance de son acte sur une fine ligne entre le fragment, la prose et le vers. En substance, cette action de déchirage vaut pour beaucoup dans la pratique du récital, qui incorpore un geste organique (parler, se tenir, bouger) à un processus purement mental d’intellection: «Tout ce qui est vivant s’avère dangereux.»

Outre la performance de Beaulieu-April, la soirée était aussi l’occasion de voir à l’oeuvre Roxane Desjardins, lauréate du prix Émile Nelligan pour son premier recueil Ciseaux, paru aux Herbes Rouges. L’écrivaine nous a confié qu’elle effectuait une première ce soir-là, en dévoilant des morceaux de son actuel mémoire de maîtrise, qu’elle avait remaniés sous forme d’allocution. Son accompagnateur sonore, Philippe Vandal, utilisait un synthétiseur sans clavier, console dans laquelle il effectuait de constants branchements en travaillant d’émetteur à récepteur, jouant sur les fréquences. S’ensuivaient de nombreux bruits de scanners et d’influx électriques, ce qui ponctuait le débit de Roxanne Desjardins en des notes angoissantes. La poète utilise souvent un humour qui dénote une suave intelligence à réprimer les préconçus, parlant à travers la bouche d’une adolescente fictive qui s’évertue à aimer un garçon, nommé Simon, jusqu’à l’épuisement de l’amour: «Simon, je prononce ton nom jusqu’à quelque chose/ d’autre.»

Crédit photographique: Pier-Philippe Chevigny
Crédit photographique: Pier-Philippe Chevigny

Cet idée du synthétique, de créer un matériau à partir de particules artificielles, semble s’être implanté dans la morphologie de la soirée avec une certaine langueur. En effet, les poèmes de Symon Henry et de Sébastien B. Gagnon avaient l’énergie du désespoir à leur rescousse, mais c’est peut-être parce qu’il leur manquait l’étincelle explosive qu’ils se sont évertués à chercher sur scène sans y parvenir. Il y avait aussi dans l’air cette aura de douleur, de souffrance qui s’est prolongée jusqu’à la fin comme le bruit d’un instrument de chirurgie dentaire qui vibre jusque dans le cerveau. On nous a dit que si l’évènement était une première, La Tournure n’allait pas tarder à retontir avec un concept semblable. On leur souhaite une meilleure répartition du spectre des humeurs afin de ne pas tomber dans la purge où rien ne se différencie, où plus rien n’a sa propre couleur.

À ce titre, la performance de Daria Mailfait ne jurait pas avec l’ambiance un peu morose qui s’était installée en fin de spectacle. Elle y est allée tout de go en utilisant la musique comme moyen d’imposer le silence à l’assistance; un coup de gueule mémorable. Dans ce poème se mélangeaient le souvenir d’un père mourant, le décor d’un hôpital et cette voix, sourde, qui cherchait simultanément à tout détruire et à nous ramener au premier plan de la parole.

Crédit photographique: Pier-Philippe Chevigny
Crédit photographique: Pier-Philippe Chevigny

«Mais on remonte toujours à l’étage et pourtant (…) De l’autre côté de l’enfer avec le patriarche(…)», sur fond d’orgue trituré nous avons eu droit à des références à Duras, à Hiroshima mon amour, à Nevers, à l’engeance sacrée déconstruite et à l’admiration déçue, mais c’est surtout le ton péremptoire de l’énonciation qui finissait par lasser. «Je suis une femme violente», a-t-elle répété plusieurs fois avant de conclure. Nous avons essayé d’apercevoir une réelle violence dans le propos, mais force est d’admettre que la seule violence au rendez-vous, c’était la violence imposée de l’intérieur au poème lui-même.

C’est que la vraie violence ne se targue pas d’être esthétique ni de faire dans la fioriture. La violence est une chose souveraine qui n’a de compte à demander à personne, c’est pourquoi il faut l’utiliser avec tout le désintéressement qu’elle nécessite afin de générer un effet propre aux actes violents, blesser psychologiquement, faire mal au spectateur.

Oui, la souffrance existe dans chaque lettre choisie par le poète; c’est toujours la fuite du sens qui se joue du créateur sans en reconnaître la parenté, mais il y a des limites à se revêtir de cette violence le temps d’une obsession pour après s’en détacher sans en faire les frais.

En résumé, l’initiative de la soirée était une très belle occasion de confronter le poème à sa matérialité organique, car la texture du son a une qualité enveloppante que cherche toujours à accomplir le poète devant public. Par contre, l’esthétique morcelée de la rencontre, la thématique de la dépossession de soi et de l’arrachement à son identité sont des demeures où la littérature québécoise contemporaine semble s’être enfermée trop longtemps. Il serait superbe de quitter ces lieux décadents pour regrouper le témoignage des créateurs et engendrer un discours qui soit collectif. Or, il m’est avis que, s’il est cohérent d’errer ensemble, chacun semble être resté prostré dans la solitude qui lui était impartie.

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La cohérence d’errer ensemble, initiative de La Tournure et de l’Acte, avait lieu lundi le 26 octobre 2015 au Bleury-Bar à Vinyle.

Article par Damien Blass-Bouchard.

Artichaut magazine

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