Thursday

17-04-2025 Vol 19

Un vol d’oiseaux avec des escales imprévues. Si les Oiseaux, du Théâtre à corps perdus

Présentée au Prospero du 13 au 31 octobre 2015, la pièce Si les oiseaux était mise en scène par Geneviève Blais dans sa version traduite par Maryse Warda. Le texte original, If We Were Birds, a été écrit par Erin Shields et s’est mérité le prix du Gouverneur général du Canada pour la meilleure pièce en langue anglaise. Le texte s’inspire du long poème épique d’Ovide: Les Métamorphoses. Le chœur de femmes, lui, est inspiré des témoignages de survivantes des conflits de Nankin (1937), de Berlin (1945), du Bangladesh (1971), de la Bosnie-Herzégovine (1992-1995) et du Rwanda (1994).

Crédit photographique: Maxime Côté
Crédit photographique: Maxime Côté

En entrant dans la grande salle du Prospero, on ne peut que s’étonner de l’immense décor en métal rouillé créé par le sculpteur Jean Brillant. Le décor mobile offre une multitude de possibilités tant au niveau de la verticalité que de l’horizontalité. Côté jardin, on trouve un petit bain carré. Au fond, en haut, une passerelle permet aux acteurs de jouer sur plusieurs niveaux. Cinq grandes plaques verticales se déplacent durant le spectacle et créent de nouveaux espaces. Sur ces dernières, il est inscrit le nom des différents conflits dont ont été victimes les femmes constituant le chœur et les dates auxquelles ils ont eu lieu. Durant le spectacle, on a l’impression qu’ils sont inscrits là, seulement pour plaquer le fait qu’on assiste à une tragédie dite «contemporaine». Il en est de même pour le chœur de femmes ravagées, transformées en oiseaux par les dieux. C’est certes un hymne à toutes les femmes qui ont subi le viol et qui cherchent un moyen de continuer à déployer leurs ailes, mais c’est, pour les mêmes raisons, plutôt maladroit. La metteure en scène Geneviève L. Blais et sa compagnie, le Théâtre à corps perdu, avaient le défi de mélanger deux époques, de traiter un matériau mixte et d’en faire une œuvre sans temporalité qui serait une tragédie contemporaine. Malheureusement, les différentes histoires et époques rassemblées par Erin Shields sont mal cousues et la tentative d’intégration du chœur est malhabile malgré la puissance de la mise en scène.

L’action principale se passe à Athènes. Le roi d’Athènes, Pandion, a deux filles: Philomèle, la cadette, et Procnée, l’ainée. Le roi de Thrace se nomme Térée, un barbu connu pour sa soif de viande et de sang. De retour d’un combat victorieux, Térée se fait offrir Procnée en mariage par Pandion. Il accepte. Les deux iront vivre ensemble et auront un enfant. Plus tard, Procnée s’ennuie de sa sœur et demande donc à son mari d’aller la chercher à Athènes pour la ramener auprès d’elle. Sur le chemin du retour, Térée viole Philomèle dans une scène magnifique. Une image forte où les comédiens Pascal Contamine (Térée) et Marie-Ève Milot (Philomèle) présentent un enchainement de poses expressionnistes habilement rendu. Térée arrache les vêtements de Philomèle, elle crie, il frappe sur le métal, la violence de la scène nous laisse bouche bée. L’adaptation des métamorphoses d’Ovide est, en ce sens, précise et remplie d’images fortes. Pourtant, le chœur, lui, est accessoire à la représentation.

Crédit photographique: Maxime Côté
Crédit photographique: Maxime Côté

La pièce semble être une adaptation directe du poème d’Ovide plutôt qu’une adaptation du texte d’Erin Shields. Les interventions du chœur n’apportent rien à l’histoire principale et font décrocher. De plus, le choix du registre de langue est discutable. Les acteurs qui jouent les Grecs parlent un français normatif. En opposition, chacune des femmes du chœur a un accent étranger, comme si l’on voulait représenter du même coup plusieurs paroles diverses et uniques. Cependant, on a l’impression qu’une convention est brisée, ce qui donne au choeur un rôle cabotin. En somme, la proposition, tout à fait fragmentée, n’est pas linéaire ni aboutie. Sans le chœur, la pièce aurait gagné en cohérence.

En sortant du Prospero, on a en tête des images fortes, entrecoupées d’interludes où le chœur était utilisé d’une manière accessoire. Le propos est fort, la scénographie, impressionnante, mais l’intégration des différentes époques est maladroite et nous empêche de profiter d’une expérience complète. On préférerait assister à l’adaptation d’une tragédie grecque plutôt qu’à l’adaptation d’une adaptation.

——
La pièce Si les oiseaux était présentée du 13 au 31 octobre 2015 au théâtre Prospero dans une mise en scène de Geneviève L. Blais. Pour en lire plus sur la metteure en scène, vous pouvez lire l’entrevue et la critique réalisées pour son spectacle Empreintes en 2013.

Avec Catherine De Léan, Marie-Ève Milot, Jean Maheux, Pascale Contamine, Marie Pascale, Florence Blain Mbaye, Isabel Dos Santos, Estelle Richard, Alice Tran, Léonard Martin-Lecomte et Paul-Soyab Angelini.

Article par Steave Ruel. Étudiant en Études Théâtrales, j’aime ce qui est acerbe, irrévérencieux, satirique, ironique, sarcastique et cathartique. Tout ça pis manger.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM