La grande déception: dialogue avec les exclus de l’indépendance, publié chez Somme toute par Francis Boucher, n’est pas un essai politique ou partisan du Parti Québécois (PQ). L’auteur précise, dès les premières lignes de l’ouvrage, qu’il ne s’agit pas d’un «pamphlet politique» ou d’un «procès», ni d’un «réquisitoire» visant le PQ. La réflexion développée dans l’essai est personnelle à l’auteur et émane de la colère qu’il a ressentie, en mai 2017, lorsqu’une large majorité des membres de Québec Solidaire (certains taxant le PQ d’être raciste) ont refusé la convergence entre les deux partis. Ce moment charnière, plutôt que d’être l’occasion de se replier sur lui-même, a été pour Francis Boucher une remise en question profonde de ses croyances politiques. Ces considérations s’articulent autour d’entrevues qu’il a réalisées avec différentes personnes se sentant exclues du projet souverainiste, mais aussi avec plusieurs ténors du Parti Québécois. Xavier Watso, Alexa Conradi, Gilles Duceppe et Jean Dorion (qui signe aussi la préface du livre) ne sont que quelques exemples de la vingtaine de personnes amenées à témoigner de la question identitaire.
La grande déception tente de donner la parole aux minorités du Québec. Ce dialogue, que Francis Boucher entame avec ceux qu’il nomme les exclus de l’indépendance, nourrit ses pensées à propos de la dérive nationaliste du Parti Québécois. Les entretiens, dans La grande déception, sont riches et servent véritablement la réflexion sur le repli identitaire du Québec. De la naissance du mouvement jusqu’à l’épisode malheureux de la Charte des valeurs québécoises, le lecteur est amené à suivre plusieurs événements charnières du PQ et les constats qu’en dresse l’auteur. Le lecteur assiste aussi à la confrontation de certaines positions de Francis Boucher au contact d’individus faisant partis de la frange minoritaire. Le questionnement auquel l’auteur tente de trouver réponse peut se synthétiser en ces mots:
Étions-nous plus généreux lorsque nous étions plus faibles? Ce manque de confiance était-il porteur d’un plus grand humanisme? L’odeur étouffante des usines, le bruit de la machinerie et les ordres du foreman unilingue anglophone, qui résonnaient encore dans nos oreilles, éveillaient-ils un sentiment de solidarité accru? p. 31.
Le fait d’avoir été un peuple oppressé nous rendait-il plus inclusif ou plus enclin à comprendre la réalité des autres? Lors de la création du Parti Québécois, les alliances entre Québécois et immigrants semblaient naturelles. Les Canadiens français se revendiquaient du mouvement de décolonisation qui balayait, entre autres, l’Afrique du Nord. La solidarité envers les autres peuples était donc plus naturelle durant cette période qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Sans être nécessairement d’accord avec tous les propos de l’auteur, son ouverture et sa réceptivité doivent être reconnues dans un climat où la discussion semble de plus en plus difficile et étriquée et où les positions extrêmes semblent rendre le débat impossible. Le dialogue qu’il entame avec les Premières Nations et les minorités visibles vise à comprendre leur désengagement du projet souverainiste. Pourtant, force est de constater que le constat qu’il dresse chez ces minorités englobe aussi les nouvelles générations. Le projet souverainiste n’est plus aussi rassembleur chez celles-ci parce qu’il est de plus en plus difficile de s’identifier au type du «Canadien français». Les mouvements de revendication et d’émancipation, dans un Québec où le foreman a disparu usines comme de l’imaginaire collectif, semblent rendre le projet souverainiste caduc et l’ancrer dans la crainte de l’Autre plutôt que dans un réel besoin de liberté et d’égalité. Pourtant, le mouvement #MeToo, avec l’ampleur qu’il a connu, a montré que la mobilisation était toujours possible envers une cause qui nous semble juste. La question de l’indépendance, pour ma génération, a sombré dans l’oubli depuis la Charte. Comment se revendiquer souverainiste lorsque, comme le mentionne l’auteur, certains se moquent de l’accident d’une femme voilée dans les escaliers roulants du métro?
En bref, un malaise est présent dans ce débat qu’on préfère plutôt mettre de côté. Les élections, cet automne, ont été teintées du «traumatisme» de l’épisode de la Charte. Le Parti Québécois a évité le sujet de l’immigration tout comme celui de la souveraineté, reportant à un second mandat un possible référendum. La stratégie ne semble pourtant pas avoir porté ses fruits, comme on le constate en voyant les résultats de l’élection. Pour plusieurs, le parti est mort, s’étant jeté dans le précipice du nationalisme. Pour d’autres, comme l’auteur de La grande déception, le parti doit donner un coup de barre pour éviter, sérieusement, le «pourrissement de l’idée souverainiste» p.132.
Francis Boucher, La grande déception : dialogue avec les exclus de l’indépendance, Les éditions Somme Toute, 148 pages.