Conter la beauté alternative

Tâchez de vous souvenir du Noël de vos sept ans. Je vous entends déjà penser à quelque chose de féérique,…
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Tâchez de vous souvenir du Noël de vos sept ans. Je vous entends déjà penser à quelque chose de féérique, naïf et magique. C’est que vous n’êtes pas dans la tête d’Yvan Bienvenue, l’initiateur des Contes urbains, désormais mythiques et fêtant leur 17e anniversaire cette année. Pour la vingtième année de sa compagnie de théâtre, Urbi et Orbi, il signe l’entièreté des contes présentés pour cette cuvée. Sans que la tradition de La Licorne s’en trouve dénaturée, on peut identifier clairement une griffe Bienvenue qui homogénéise quelque peu la production. L’esprit est le même que lors des précédentes éditions, seulement, on n’a droit qu’à une seule folie, partagée entre sept acteurs. Je vous avertis d’entrée de jeu, si vous comptiez amener vos enfants, c’est une très mauvaise idée. Vous feriez bien mieux de les amener au Cabaret du Roy pour les Dimanches du Conte.

Parce qu’ici, il ne subsiste que bien peu de magie des fêtes, au sens convenu. Exit la cabane en bois rond, la ceinture fléchée, le « yable » dansant et la tourtière. Ici, la neige est noire lorsqu’elle n’est pas jaune. Les personnages sont seuls quand ils ne sont pas détraqués. Votre esprit en mode « crépuscule » se délectera d’une beauté qui ne pousse que dans la fange et lorsque vous oserez rire, c’est que vous aurez totalement saisi le temps des fêtes version Bienvenue. Je dois également dire que là où les précédentes éditions étaient déjà irrévérencieuses, parfois gore, celle-ci semble affecter particulièrement le cul. Pas au sens porno du terme, mais plutôt dans l’optique déviante, constamment à la limite du bon goût. Si nous n’étions pas au XXIe siècle, il ne fait pas de doutes que cette œuvre aurait été automatiquement déclarée comme une entrave aux bonnes mœurs. Mais heureusement, ce n’est pas le cas.

Joël Marin (Crédit photo Urbi et Orbi)

 

En reprenant la formule traditionnelle, cette édition se distingue toutefois des autres en liant d’un fil conducteur les sept contes présentés. Sept enfances sont présentées. Sept enfances à sept ans, arrivées à différentes époques. Encore cette année, nous avons droit aux envoutants intermèdes musicaux, saxophone basse en plus, Harry Standjofski assurant la liaison entre les chapitres. Guy Vaillancourt (un habitué des Contes urbains) lance le bal avec toute la verve et la ferveur qu’on lui connaît. Une histoire de tournoi de washers (comme le jeu de poche, mais avec des washers) contre le diable à la fin funeste nous emporte dans tous ses détours et ses égarements. On y rencontre des personnages colorés à souhait comme Vilbre, un petit sous-homme à tout faire qui passe son temps à enculer des statues de Saints. Ne criez pas, je vous avais dit que c’était irrévérencieux! Suivent deux contes plus faibles et moins bien interprétés, ceux de France Rolland et de Vincent Magnat. La pièce manque un peu de rythme et de présence, ce qui fait normalement d’eux des grands conteurs. Il est question de viol et de rédemption, de vengeance d’enfants et d’absolution. Pas mauvais, mais simplement en dessous du reste de la soirée. Heureusement, la jeune Émilie Gilbert vient rehausser le tout avant l’entracte dans une histoire abracadabrante de mystérieux cocon aux propriétés aphrodisiaques. Quelle énergie!

Stéphane Jacques (Crédit photo Urbi et Orbi)

Ne faites pas l’erreur de mes voisins de siège et ne quittez pas avant la fin, parce que le meilleur s’en vient. Stéphane Jacques repart la grande fête avec l’histoire la plus touchante et poétique de la soirée, celle d’une amitié naissante entre le petit Émile et Monsieur Vieux. La magie opère. Changement de ton pour le conte de Joël Marin, maître de la pantomime qui nous embarque dans une folle épopée imaginaire impliquant une dinde grosse comme une minivan et une corde magique. Impossible de résister à une histoire aussi déjantée et aussi brillamment racontée. Finalement, Harry Standjofski vient clore la veillée en rassemblant tous les personnages principaux des précédents contes dans une finale magistrale. Et malgré quelques blagues salées plutôt douteuses qui suscitent de beaux malaises dans la salle, Yvan Bienvenue relève brillamment le défi de tenir seul la barre de cette édition. Encore cette année, après 17 ans, les Contes urbains ravissent. Mais enfin, si vous y aviez déjà été, vous savez comme moi que c’est le genre de tradition qui n’est pas prête de mourir. Ça en fait au moins une.

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Contes urbains d’Yvan Bienvenue du 4 au 22 décembre, La Licorne. 

Thomas Dupont-Buist

Jadis sous les projecteurs, il lui aura fallu un certain temps pour se rendre compte que l’on était finalement bien mieux parmi le public, à regarder le talent s’épanouir. Un chantre des arts de la scène qui aime se dire que la vie ne prend tout son sens que lorsqu’elle a été écrite.