Des gladiateurs amoureux dans l’arène. Amours fatales d’après Jean Racine

Avec Amours fatales, Omnibus nous offre trois moments d’amours politiques et cruelles, incarnés dans un généreux travail du corps auquel la compagnie nous…
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Avec Amours fatales, Omnibus nous offre trois moments d’amours politiques et cruelles, incarnés dans un généreux travail du corps auquel la compagnie nous a habitué au fil des années. Le spectacle, de qualité, n’a malheureusement rien de remarquable.

Le spectacle Amours fatales est constitué non pas d’un seul texte de Racine, mais bien de la compression de trois de ses chefs-d’oeuvres: Andromaque, Bajazet et Bérénice. Présentés dans cet ordre, chacun prend la forme d’une courte pièce d’environ une demi-heure. Le premier est mis en scène par Réal Bossé, le second par Sylvie Moreau et le dernier par Jean Asselin. Les trois textes ont une trame narrative assez semblable. Pour chacun d’entre eux, à l’exception de Bérénice où l’issue est légèrement plus «heureuse»il est question d’un amour impossible menant ultimement à la mort de plusieurs protagonistes. 

Crédits photographiques: Catherine Asselin Boulanger
Crédits photographiques: Catherine Asselin Boulanger

Quatre excellents comédiens assument les treize rôles de ce tryptique. Marie Lefebvre et Gaétan Nadeau nous offrent un travail vocal très technique qui fait davantage appel à l’émotion contenue qu’aux envolées tragiques, Pascal Contamine nous livre une performance admirable dans les trois tableaux et finalement Kathleen Fortin, peut-être trop mécanique dans sa diction des vers, performe assez bien, mais sans éclat.

En plus de ces comédiens, Charles Préfontaine interprète le rôle d’un conteur québécois folklorique. Le personnage de Préfontaine crée un pont entre l’aire de jeu et le public disposé autour de la scène comme une arène. Il introduit les spectateurs aux développements de l’intrigue et agit comme le confident de certains personnages. Or, son rôle ne semble malheureusement pas être un choix de mise en scène complètement assumé. Ses interventions auprès du public sont parfois maladroites; il nous est alors difficile d’adhérer à la convention de ce personnage un peu trop flou.

Crédits photographiques: Catherine Asselin Boulanger
Crédits photographiques: Catherine Asselin Boulanger

Outre cette petite réserve, force est d’admettre que la «corporéisation» est très bien maîtrisée –  généralement plus sobre qu’extravagante, privilégiant le travail de détail au tape-à-l’oeil tout en faisant preuve de maturité et de rigueur. L’on ne s’attendait à rien de moins de la part des trois metteurs en scène.

L’espace scénique, formé d’un carré de terre de six mètres par six mètres qui se rétrécie pour devenir un carré composé de dalles de marbre, est assez intéressant, mais ne semble pas apporter grand chose à la mise en scène. L’éclairage, plutôt sobre, illumine de manière équilibrée les personnages et l’espace en forme d’arène. Outre la présence de bruits gutturaux faisant penser à des voix mi humaines mi-bêtes, l’environnement sonore est relativement absent à l’exception de l’entrée du public et des changements de décors. En général, le travail de conception manque d’audace, ne permettant d’appuyer ni la présence des divers lieux dramatiques ni les états émotifs des personnages.

Les costumes créés par Judy Jonker sont indispensables à la compréhension temporelle de chacun des textes. Les personnages d’Andromaque, campés dans une Grèce imaginaire «où les animaux parlent», sont vêtus de peaux de bêtes ornées de bois et d’ossements. Dans Bajazaet, on se retrouve à Constantinople au 17e siècle avec des costumes de soie dorée et rouge sang. Finalement, dans Bérénice, les complets-cravates noirs prennent place dans une Rome contemporaine.

Crédits photographiques: Catherine Asselin Boulanger
Crédits photographiques: Catherine Asselin Boulanger

En général, donc, la proposition n’est pas admirable. On peut se demander quel est l’intérêt de monter collectivement trois textes de Racine s’il faut sacrifier près d’une heure de texte à chaque fois? Peut-on ressortir quelque chose de particulier de ces trois courtes mises en scène? L’intemporalité de Racine, certes, dont on admire et aime les textes. Mais cette intemporalité on la connaissait déjà. L’amour serait-il de tout temps une question de mort et de frustration? Allons. Bref, il ne semblait pas y avoir dans l’ensemble une ligne directrice forte, ce qui est dommage. Un spectacle agréable, mais sans plus.

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Amours fatales d’après Jean Racine, présenté à l’Espace Libre du 11 février au 8 mars 2014, dans une mise en scène de Jean Asselin, Réal Bossé et Sylvie Moreau. 

Article par William Durbau. Étudiant à la maîtrise en théâtre, il s’intéresse principalement à l’image (plus particulièrement à l’iconologie), à l’écriture du monstre et à sa mise en scène. Il s’intéresse également à la danse et à la performance. Il lit W.J.T. Mitchell, Paul Ardenne, Giorgio Agamben, et plusieurs autres.

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