TW : mention de violence faite envers les femmes
Peu d’entre nous, femmes, cis ou trans, ou personnes nées avec un utérus, peuvent se réjouir de ne jamais avoir été agressées ou harcelées. Nous nous rappelons peut-être de ce premier cat call dans la rue, de la peur parfois de marcher le soir, des textos insistants de la dernière date, d’une dick pic par-ci par-là…
Avec les médias sociaux, cette haine envers les femmes se multiplie et plusieurs personnalités publiques ont utilisé leur plate-forme pour dénoncer ces gestes, ces mots, ces menaces… Je pense à Safia Nolin et Manal Drissi qui avait vécu de l’intimidation bien avant leur entrée dans le monde public, mais pour qui cela s’est intensifié depuis. Les deux artistes ont dû prendre des pauses des médias sociaux, des pauses dans leur carrière pour essayer d’être oublié. Sans succès. Les agresseurs reviennent toujours.
Le film Je vous salue salope, réalisé par Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist, aborde ce sujet dans le cadre québécois, mais aussi à l’international. On suit l’histoire de plusieurs femmes, dont une enseignante québécoise, une artiste française et deux politiciennes, une italienne et une du Vermont.
Ce documentaire très bien réalisé nous apprend d’abord qu’il n’y a plus d’âge pour recevoir ce genre d’attaque. Dès qu’on a un compte sur les médias sociaux, dès qu’on a une place dans l’espace public, on est à risque. Les témoignages de jeunes filles à l’aube de l’adolescence sont troublants, comme les exemples de mèmes brutaux impliquant Greta Thunberg. Ne devrait-il pas avoir des sanctions particulières concernant ce genre d’attaque envers les enfants?
Mais les conséquences de ce genre de violence ne sont pas moins dommageables quand les victimes sont adultes. Des insultes, des menaces de viols, des menaces de mort et même de l’usurpation d’identité sur des sites pornographiques, la liste est longue…
Le film nous renseigne aussi sur l’histoire du harcèlement misogyne, dont les traces écrites remontent à l’époque des premières suffragettes. Il nous fait découvrir malheureusement que, pour la police québécoise, la solution facile pour contrer cette violence est de simplement fermer ses comptes en ligne. Encore un exemple où toute la charge est mise sur les femmes : pour ne pas se faire violer, habillons-nous autrement, pour ne pas se faire insulter, faisons attention à ce qu’on dit, pour ne pas déranger, retournons dans nos cuisines…
Les nombreux récits nous entraînent ici et là dans le monde, mais nous ne nous perdons pas grâce à une réalisation très bien ficelée où des reconstitutions de messages envoyés par les agresseurs agissent comme fil conducteur… Les insultes sont affichées sans filtre montrant aux gens qui ne l’avait pas encore saisie, toute l’étendue de la misogynie beaucoup trop présente dans notre société et souvent motivée par certains médias qui continuent de propager des idées antiféministes.
Le film met aussi en scène des intervenantes plus pertinentes les unes que les autres grâce à des entrevues efficaces, ainsi qu’à des images d’archives troublantes manifestant un travail de recherche remarquable. Le résultat final est un film indispensable, nous montrant les effets de ces attaques. Malgré ce que Jean-Michel Dufaux a déclaré plus tôt cette semaine, on comprend qu’il n’est pas possible de « décider en tant qu’être humain d’être affecté ou non par ça ».
Une petite question demeure : pourquoi ce titre? Peut-être que cela m’a échappé, mais je n’ai pas vu, dans le film, l’allusion au sacré ou au religieux du « je vous salue » présent dans le titre. Mais ce n’est qu’un détail qui n’empêche pas de constater toute la puissance de ce film important qui va, je le souhaite, permettre de conscientiser la société face à cette violence quotidienne faite aux femmes.
Je vous salue salope est donc un excellent film « de combat » à voir absolument. Heureusement, il sera à l’affiche toute la semaine dans plusieurs salles de cinéma, partout au Québec. À noter que c’est une œuvre qui inquiète, mais qui donne envie, en même temps, de déranger encore plus, de continuer de hausser la voix et de persévérer dans la bataille.
Pour les détails des projections, visitez leur site web : https://jevoussaluesalope-film.com/
Jaëlle Marquis-Gobeille
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[1] Le verbatim de la citation complète est : « Présentement, tout le monde est victime, les microagressions. Un moment donné faut faire la différence entre ce qui est une vraie agression, et ce qui sont des commentaires de gens frustrés derrière des egghead sur les réseaux sociaux pis dire, ben moi je peux décider en tant qu’être humain d’être affecté ou non par ça. » tiré du débat « Bijoux pas bijoux » sur le site BPM Sports https://bpmsports.ca/bijoux-pas-bijoux-3/, 5 septembre 2022.