Du prélart, du plywood, de la bave et des images de protestations: dès les premières minutes, on sait que (MORE) propositions for the aids museum ne sera pas un conte qui finit bien. On comprend vite que personne ne nous prendra par la main pour nous chuchoter dans l’oreille que ça va bien se passer. Le musée vivant que nous propose projets hybris nous plonge dans la complexité d’une perturbation sociale majeure (la crise du sida) qui ne s’est jamais arrêtée. Le collectif nous propulse dans le sujet par une entrée en matière qui nous oblige à être engagé et à entamer une réflexion qui nous confronte à notre propre (plutôt notre sale) jugement.

Tout au long des deux heures et quart, on assiste à des images scéniques symboliquement chargées qui nous exposent le sentiment complexe que peut infliger un diagnostic de VIH: un corps sur lequel on projette des fleurs rouges, rappelant les taches qui peuvent apparaître lors de l’infection, l’échouement d’un autre dans un tas de popcorn durant plusieurs dizaines de minutes avant de se relever comme rempli de pustules. Des imagines qui font aussi tout simplement échos aux monologues qui remplissent la salle de mots qui nous sont jetés au visage et qui témoignent d’une urgence flamboyante. La mise en scène nous fait glisser d’un tableau à l’autre, parfois de façon un peu abrupte, mais en incarnant chaque fois un retour à la concrétude du présent, de la salle et du public qui le peuple. On assiste à tous les rouages de la mise en place et des déplacements, comme autant de rappels que l’enjeu principal du spectacle est ancré dans le réel. Jamais la salle n’est plongée dans le noir: on est en face à face constant avec les artistes. Ici, la crise du sida prend la forme d’un cabaret multidisciplinaire, mais elle existe et existera toujours en dehors des conventions scéniques, de La Chapelle, de nos pages Facebook et de la réalité. Et elle nous concernera toujours autant; c’est ce que projets hybris nous fait comprendre par l’intensité de ce que les mots et les corps incarnent sur le plancher en faux marbre du théâtre.

L’aspect didactique est dosé avec précision. Le texte ne nous est jamais présenté comme magistral, mais il révèle plutôt des tabous qui sont encore présents dans notre langage et notre bagage culturel, comme le droit aux personnes séropositives de ne pas dévoiler leur statut dans un contexte intime ou professionnel. Est-ce qu’en tant que société on est prêtes à assumer que c’est un droit acquis de garder ce secret pour soi? Est-ce qu’on a les reins assez solides pour partager notre opinion publiquement?
(MORE) propositions for the aids museum est une sorte de pamphlet artistique qui se positionne politiquement et socialement par rapport à son sujet, et ça, en soi, c’est un théâtre qui fait du bien à voir parce que trop rare sur les planches institutionnelles de Montréal. Le moment Facebook Live (qu’on peut voir en accédant à la page de projets hybris) est sûrement le paroxysme de cette percée dans le réel : on demande au public (avec insistance) de prendre parti pour ou contre le discours d’un des acteurs, en partageant la vidéo sur le réseau social et en montrant physiquement son approbation. Le collectif nous prouve par cette intervention intrusive que faire un geste pour l’éducation populaire est simple, il suffit d’assumer son point de vue, même s’il profane les lois.
D’ailleurs, parlant de profaner les lois, soulignons le bilinguisme du spectacle. C’est clair que ça fait du bien de voir un théâtre qui se déploie en français et en anglais, sans surtitres. Quel bonheur de voir un texte qui n’a pas peur de consolider cette double langue à travers la rétrospective d’une lutte qui a certainement traversé la barrière des dialectes.

À cette polyphonie s’ajoute une multidisciplinarité qui fascine, qui charme, qui questionne et qui rend mal à l’aise. Passant d’une danse lascive à un rap qui répète «danse avec ton sida», à une reproduction en direct (très réussie) d’une vidéo de Diamanda Galas, on traverse un éventail de perspectives et de références qui témoignent d’une période dense et cruelle. Un moment fort symboliquement est la parade des pancartes, ces icônes de manifestation qui ont aussi été le petit nom d’un théâtre activiste il n’y a pas si longtemps, que les perfomeur.euse.s se réapproprient sur scène. Des slogans, des jeux de mots ou des questions qui nous renvoient à nous-même dans une chute frappante (« when is the last time you have cried »), les phrases se présentent à nous dans une suite hétérogène et inégale. Comme un carrousel de prises de position et de claques dans face. Un délice pour l’esprit.

Assurément, on aurait encore beaucoup à apprendre sur la crise du sida, qui subsiste aujourd’hui à travers l’incompréhension et la désinformation. La première chose qu’on peut faire, c’est de remercier projets hybris d’avoir pris, assumé et légitimé la mise en mots et en images d’une (autre) crise stigmatisant une frange de la société qui a pourtant besoin d’appui et de reconnaissance. Le genre de spectacle qui devra tourner pour faire comprendre une fois pour toutes que le politique peut être beau et que la lutte peut être artistique.
(MORE) propositions for aids museum était présentée à La Chapelle du 24 au 30 avril 2017.
Article par Caroline Monast-Landriault.