Une recherche de l’intimité et du vide. M/Other + Dark Meaningless Touch de Benjamin Kamino

Un thé chaud à la main, débarrassé de ses bottes et de son manteau d’hiver, le spectateur est invité à…
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Un thé chaud à la main, débarrassé de ses bottes et de son manteau d’hiver, le spectateur est invité à la détente et est doucement conduit à plonger dans un état de confort physique et psychologique avant de passer dans la salle du Théâtre aux ÉcuriesTangente, Laboratoire de mouvements contemporains, présentait M/Other + Dark Meaningless Touch dans cet espace convivial où nous découvrions le travail de l’interprète Benjamin Kamino, cette fois également chorégraphe et artiste performeur.

Crédit photographique : Frederic Chais
Crédit photographique: Frederic Chais

Connu pour son travail d’interprète et, plus récemment, de commissaire avec la compagnie torontoise Dancemakers, Kamino offrait deux propositions aux esthétiques quelque peu différentes, mais représentant tous deux l’aboutissement d’une même recherche. Son travail philosophique et créatif interroge le discours sur la nudité, sur l’éthique, mais aussi les rapports intimes et le contact sensible. Ce sont donc dans ces perspectives qu’il révélait ses deux dernières créations: M/Other, un duo exécuté par lui-même accompagné de sa mère, elle aussi chorégraphe basée à Toronto, suivi de Dark Meaningless Touch, un travail collaboratif entre l’installation, la performance et la pièce sonore, interprété par Robert Abubo, Amanda Acorn, Paul Chambers, Ellen Furey, Benjamin Kamino, Gabby Kamino, Timothy Rodrigues, Jesse Orr, Simon Portigal et Christopher Willes.

Le duo est déjà installé sur scène dès l’entrée en salle du public. Les corps nus de Benjamin Kamino, danseur mince et élancé, et de sa mère, Gaby Kamino, à l’anatomie beaucoup plus ronde et volumineuse, sont entrelacés, se frôlent dans une lenteur envoutante. Les longs drapés écrus suspendus d’un bord à l’autre du plafond, ainsi que le plancher en bois clair donne à l’atmosphère une chaleur profonde. L’observation se poursuit et laisse au spectateur la liberté de noter la légère différence de teintes des peaux, le déplacement des plis du ventre, la contraction des muscles des jambes, le jeu de pesanteur et le balancement des corps s’effleurant. Toujours en travail au sol, ils tournent, se chevauchent, s’étirent, s’entremêlent dans une lenteur et une écoute profonde de l’un envers l’autre.

Les spectateurs encerclent le couple mère/fils, ce qui participe à renforcer l’impression d’intimité. Une lumière lactée accompagne le lent et doux toucher, le temps s’étire. L’effet est apaisant et réconciliant. Il n’y a rien de plus à faire que d’imaginer la sensation de ce toucher, de ces textures, de la pression du poids des corps et de se laisser porter par les airs des pièces classiques et des chants lyriques. Bien sûr, on comprend l’évocation de l’existence de l’enfant à l’intérieur même de l’intimité de la mère; toutefois, le chorégraphe réussit à ne pas tomber dans le cliché et encourage une appréciation simple et pure d’un moment poétique. Les corps, bien qu’entièrement nus, conservent une certaine pudeur et une grande authenticité.

Au fil du spectacle, certains spectateurs se sont étendus sur le sol et quelques-uns ont fermé les yeux. La lumière diminue et doucement, presque imperceptiblement, de nouveaux performeurs s’avancent vers le centre de la scène. Certains encouragent silencieusement le public à faire de même et à s’allonger en occupant tout l’espace. Quelques performeurs assis murmurent des extraits de livres non identifiés, tandis que d’autres poursuivent, avec un peu moins d’assurance, la gestuelle proposée en première partie. Ce dark meaningless touch est encore présent comme démarche d’une conception du mouvement sans recherche réelle de sens, mais qui se base sur l’écoute.

Le public en attente est dérouté, ne sachant plus quoi regarder ou même qui. Une corde enroulée et une carabine sont apportées subtilement sur scène et n’auront pas d’autre avenir que de nous intriguer profondément quant à leur raison d’être. Les toiles s’abaissent doucement jusqu’à frôler la tête des rares spectateurs restés assis. Une odeur de lavande se répand pendant que des performeurs se rassemblent, se dévêtissent et s’enlacent. La musique électronique minimaliste est puissante et les basses font vibrer le sol, permettant ainsi de la ressentir physiquement.

La pièce s’étire en longueur et il devient évident que la simplicité de l’effet de présence, l’attente et le vide font réellement partie de la démarche du collectif. La fin de la représentation laisse perplexe, d’autant qu’elle n’est jamais manifestement énoncée. Le public quitte la salle petit à petit, encore dans un état second, sans avoir eu l’occasion d’applaudir. C’est en s’abandonnant entièrement à cette performance de 120 minutes et en se demandant si l’attente est réellement un état constructif à intégrer dans une approche artistique de la sensation que le spectateur saura apprécier son expérience en deuxième partie. Toutefois, fondamentalement, l’attente, ça peut être long…

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Tangente présentait M/Other + Dark Meaningless Touch, deux pièces de Benjamin Kamino, au Théâtre aux Écuries du 24 au 27 février 2015.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM