Automne caniculaire, saison des rentrées littéraires. Nous pourrons dire que celle des Éditions de l’Écrou a été remarquablement lancée, à l’oral, le dimanche 24 septembre. Il s’agissait de la troisième édition de la Levée d’Écrou au Cabaret le Lion d’Or, dans le cadre du Festival international de littérature de Montréal (FIL), du 22 septembre au 1er octobre. Suivant la même formule que les années précédentes, le spectacle mettait à l’honneur les titres publiés par l’éditeur dans les cinq dernières années. Dix-huit auteurs.es ont ainsi livré au public des extraits de leurs recueils respectifs.
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Crédit photo : Marie-Andrée Lemire
Source : page Facebook du FIL
La salle se remplit alors que le rideau est déjà levé. Sur scène, des tabourets forment un demi-cercle, au compte d’un par poète, et quelques micros ont été disposés au centre. La mise en scène est minimale, assez statique, et le plateau presque nu si ce n’est des lecteurs et lectrices et du musicien qui les accompagne une levée après l’autre, Pierre-Luc Clément.
La direction artistique mise ainsi tout le succès du spectacle sur les fragments poétiques choisis, leur réarrangement, voire carrément remix, et leur mise en voix finale. Il faut dire que la plupart des auteurs.es publiés.es à l’Écrou ont l’habitude des micros ouverts et des lectures publiques.
Carl Bessette lance le bal en abordant le sujet de «Montréal», qui est repris par un.e autre intervenant.e au micro et ainsi de suite, jusqu’à ce que, quelques évocations plus tard, «Montréal» ressorte transformée en «filles» ou encore en «comètes». Un nombre impressionnant de vocables servent de perles au filon poétique qui se construit en groupe. L’accent mis sur un sujet varie, mais la symétrie n’est pas – on le comprend assez tôt – l’effet recherché. La stratégie rappelle le jeu du téléphone, mais à découvert.
Les passages au micro sont inégaux, les performances également. Courtes et punchées, un effet de son «scrollage Facebook» lance Maude Veilleux, ou encore lentes et espacées de silences, plus loin véritables envolées lyriques. Certains.es construisent lentement un univers, d’autres le reprennent pour déconstruire, numéroter, se réapproprier une perspective. La variété des techniques utilisées pour greffer les poèmes les uns avec les autres produit un spectacle tout aussi éclectique. Cette levée d’Écrou reprenant le même concept que les éditions précédentes, le pari de l’inédit repose entièrement sur la création de nouveaux poèmes à partir du matériel de chacun.e.
Les images s’enchaînent à la «suis-moi, je te fuis, fuis-moi, je te suis». Un échange entre Marjolaine Beauchamp et Alexandre Deschênes capte l’attention du public, qui s’enthousiasme également devant les allers-retours de Baron Marc-André Lévesque entre le plus grand et le plus petit, entre un trou noir et un visage, l’espace et une tasse. Un largue qu’il voudrait qu’on lui remarque enfin le cerveau, l’une de ses voisines intervient et confesse qu’elle les mangerait tous, leurs cerveaux. Grâce à la stratégie du remix, on assiste à la contamination des univers poétiques de chacun.e par ceux de ses pairs, qui se heurtent aimablement, avec émotion.
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Crédit photo : Marie-Andrée Lemire
Source : page Facebook du FIL
Le «wolfpack» de l’Écrou, pour citer Marjolaine Beauchamp, se lit, se parle et se répond. Le groupe se présente à la fois en tant que public et lecteur, non seulement de ses pairs, mais aussi de Josée Yvon, Nelly Arcan, Hubert Aquin, ou encore de Ginette Renaud et Richard Desjardins. Certaines présences ressortent d’autant plus grâce à la concomitance des univers poétiques, notamment celle de Vickie Gendreau.
On ressent l’esprit de camaraderie liant cet ensemble de poètes sur scène qui se félicite et s’encourage. L’effet d’ensemble est fort et, tandis qu’une personne assène, l’ensemble lui sert de back vocals. Au fond de la scène, mais bien visible, Pierre-Luc Clément accompagne lui aussi les performances, ajoutant au montage piano, tambours, musique d’ambiance, notifications Facebook (ou était-ce la personne derrière moi?) et publicité de Subway au besoin.
«ma conversation
n’avance plus
nos mots se supportent
sur les béquilles
du party
et tu pourras
ignorer cette annonce
dans cinq secondes» (Daphnée B, tiré de Bluetiful, p. 45)
Le spectacle dure près de deux heures avec entracte. L’attention du public est mise à l’épreuve, puisqu’on saute d’un poème au prochain sans perdre de temps, mais on ressent peu les longueurs. Néanmoins, on regrette de ne pas avoir eu suffisamment de temps pour s’insérer plus longuement dans l’univers poétique de chacun.e. Même si le but du spectacle n’est pas tant de distinguer chaque poète des autres que de les faire résonner.
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Crédit photo : Marie-Andrée Lemire
Source : page Facebook du FIL
Ça commence de même, en communauté sur scène, et il est significatif que la rentrée de l’Écrou se fasse en incluant aussi activement tous.tes ses poètes des cinq dernières années. Si la visée de l’évènement est de dégager la poésie écrite des écrous qui l’isolent et la contiennent, la collision orchestrée entre les différents bagages des auteurs.es participe à sa libération autant que son passage à l’oralité.
Bessette ayant annoncé son intention de faire de la levée d’Écrou un évènement annuel, on se demande déjà comment la tradition évoluera avec les années. La mise en scène se complexifiera-t-elle ou continuera-t-elle dans la voie du minimalisme? La méthode des directeurs artistiques consistant à créer du nouveau matériel avec les derniers recueils publiés peut-elle être à nouveau récupérée l’an prochain sans causer de redondances?
À la fin de la soirée, on a enjoint le public à suivre (du moins en majeure partie) les poètes de l’Écrou au Sporting Club, afin de participer à un autre évènement, Cœur ouvert, qui prenait place tout au long du Festival international de littérature. Durant neuf jours consécutifs, 24 heures sur 24, 216 heures au total, l’objectif était d’occuper la scène et le micro sans pause de plus de trente secondes entre chaque lecture. C’est maintenant un fait accompli. Depuis hier, le dimanche 1er octobre à 19h, le record du plus long micro ouvert jamais tenu est officiellement battu.
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Idée originale, direction littéraire et artistique : Carl Bessette et Jean-Sébastien Larouche
Sur scène, les poètes : Daphné B., Marjolaine Beauchamp, Virginie Beauregard D., Carl Bessette, Patrick Brisebois, Philippe Chagnon, Marie Darsigny, Alexandre Deschênes, Emmanuel Deraps, Rose Eliceiry, Marie-André Godin, Daniel Leblanc-Poirier, Baron Marc-André Lévesque, Jean-Christophe Réhel, Mathieu Renaud, Alice Rivard, Jean-Philippe Tremblay et Maude Veilleux
Musique : Pierre-Luc Clément
Une production FIL 2017 en collaboration avec les Éditions de l’Écrou
Levée d’écrou, spectacle-lecture dans le cadre du Festival international de littérature de Montréal, Cabaret du Lion d’Or, Montréal, 24 septembre 2017.
Article par Sarah Turner.