Les imaginaires sont-ils tributaires de la rencontre ? Est-ce à raison de contacts, d’intrusions ou d’enlacements que les potentiels fantasques s’animent ? Qu’advient-il lorsqu’à défaut de se laisser transpercer, les imaginaires se frottent, s’éclaboussent, se superposent ? High Bed Lower Castle emplie l’intimiste Chapelle Scène contemporaine d’une multitude de mondes qui fusionnent ou ricochent en une fresque tant féconde qu’insaisissable.
Univers en devenir
La pièce propose un enchevêtrement de mondes qui se succèdent ou s’entrecoupent. Sans jamais se résoudre ou s’éclaircir, les idées s’annoncent et s’étirent, se présentent et se déforment au rythme de l’univers scénique qui se transforme et se module. Une valise en avant-scène, une sorte de coffre au trésor fabuleux posé sur un tas de sable, témoigne de la densité irréductible des états et des phénomènes à venir. À son ouverture s’échappe ce que l’on devine être une voix, un écho, des grincements mécaniques, des hoquets de vie, sans que l’on puisse saisir un narratif potentiel. Dès lors, on devine que la pièce se meut d’univers intangibles, ludiques et incongrus : univers qui seront soutenus adroitement par des éléments scénographiques tant étranges que sublimes. Dans le lot se distinguent des costumes qui nous permettent de convoquer tant la vaporeuse Mort que la figure de la pop en passant par de fortes influences Y2K. Sachant tant souligner la force des tableaux qu’en détourner le sens, la conception d’éclairage de Paul Chambers déploie avec une grande finesse le caractère flamboyant des paysages dansants et la sensibilité impromptue des métamorphoses somatiques.
Cosmos gestuel
Si les interprètes semblent souvent happé·e·s, voire alliéné·e·s par les lieux imaginaires en éclosion, leur manière d’assaillir le mouvement et d’y plonger fougueusement, affirme une sorte d’agentivité créative. Même si les imaginaires torrentiels se consolident par des sons, des lumières et des états de corps, il arrive que le magnétisme des danseur·se·s renverse une tendance et se mute en une nouvelle voie, un nouveau mystère théâtral. En ce sens, les deux artistes amorcent la pièce en soutenant solennellement le geste et la voix : face au mur du fond d’un blanc à maculer de rêves et de mystère, iels simulent la peinture d’une grande fresque. Profondément engagé·e·s et intriguant·e·s, les artistes soutiennent un chant harmonique envoûtant et composent ainsi un premier monde sombre et hiératique. Plus tard, iels détournent une tension dramaturgique avec une chorégraphie virtuose et vive, version exacerbée d’une danse de vidéoclip populaire. Embrassant les mondes émergeant des mouvances et des corps, Ellen Furey et Malik Nashad Sharpe accueillent l’inattendu et multiplient les perspectives. Au carrefour de leurs intuitions respectives, leurs idées fédèrent et étonnent, jouant sur l’ambiguïté comme source d’expansion qui évite d’essentialiser un propos ou d’en fixer la lecture.
Onirique, déjantée et vibrante, la pièce est à l’affiche du Festival TransAmériques du 27 mai au 1er juin. Billet en ligne au https://fta.tuxedobillet.com/main/high-bed-lower-castle. Si un spectacle affiche complet, revenez voir régulièrement : des places peuvent se libérer à tout moment. Pas de chance en ligne ? Présentez-vous sur le lieu du spectacle 1h avant le début de la représentation et inscrivez votre nom sur la liste d’attente.
Autrice : Penélope Desjardins
Photographies dans l’article : Do Phan-How
Crédits de l’oeuvre :
Un spectacle d’Ellen Furey et de Malik Nashad Sharpe
Chorégraphie et interprétation Ellen Furey + Malik Nashad Sharpe
Lumières Paul Chambers
Avec la musique de Thomas Gill + Purpose Code & Tony One + Philippe Melanson + coolhint (2015) + Ben Furey + Sentinel /Sarah Wong + Romance + Christopher Willes
Regard extérieur Hanako Hoshimi-Caines + Dana Michel
Costumes Malik Nashad Sharpe
Scénographie Fruzsina Lanyi
Direction des répétitions Sophie Corriveau
Direction technique Seoyound Park
Production déléguée DLD – Daniel Léveillé Danse
Coproduction Festival TransAmériques + Centre Chorégraphique national de Caen en Normandie dans le cadre de / within the frame of Accueil-Studio / Ministère de la Culture et de la Communication (France) + Dance4 (Nottingham) + La Chapelle Scènes Contemporaines + Gessnerallee (Zurich) + Impulstanz (Vienne)
Avec le soutien de Arts Council England
Résidences de création Gessnerallee (Zurich) + Dance4 (Nottingham) + Impulstanz (Vienne) + MAI – Montréal, arts interculturels + CLOUD/Danslab (The Hague La Haye) + Centre Chorégraphique National de Caen en Normandie dans le cadre de / within the frame of Accueil-Studio / Ministère de la Culture et de la Communication (France) + La Chapelle Scènes Contemporaines
Coprésenté par La Chapelle Scènes Contemporaines
Création au Festival TransAmériques à La Chapelle Scènes Contemporaines, Montréal, le 2 juin 2022