Prêter l’oreille, une exposition de la compositrice, artiste sonore et commissaire d’événements en arts radio Magali Babin, relate son expérience vécue au sein d’une résidence de personnes âgées à Montréal, la Maison Saint-Joseph. Rassemblant des oeuvres sonores, visuelles, musicales et vidéo représentant la vie, les bruits et l’ambiance captées au cœur du CHSLD, Magali Babin a ramené les résidents dans leur jeunesse, dans leur mémoire. Entrevue avec une artiste du son, humaine avant tout.

Artichaut Magazine: Prêter l’oreille? Pourquoi nommer votre exposition ainsi?
Magali Babin: D’une part, chaque proposition sonore a une façon de rendre et de diffuser le son. Aucune n’est pareille et, avec notre corps, il faut aussi avoir une attitude différente, soit : se lever, se pencher, être assis ou chercher le meilleur endroit devant le haut-parleur. Donc, c’est prêter l’oreille à une sorte de diffusion, au contenu, mais aussi aux gens qui vivent une situation de perte, donc prêter l’oreille à tout ce qui n’est pas dans la notion de voir mais plutôt dans l’attention, porter une attention, finalement, à la situation de la vieillesse.
A.M.: Il y a très peu de matériel tangible dans votre exposition. Pourquoi?
M.B.: Ce n’est pas une exposition avec des choses, mais avec des sons. À mon avis, le son remplit amplement l’espace. Je suis une artiste du son, une artiste qui travaille avec l’immatérialité. C’est très rare que j’utilise des objets dans ma démarche et mon approche. Habituellement, on ne voit rien, rien n’est à voir, tout est à entendre. Là, il y a quelques objets qui sont importants pour moi, très significatifs, par rapport à l’expérience que j’ai vécue au centre. C’est pour ça que chaque proposition sonore suggère une différente posture d’écoute, comme avec les sacoches: il faut se pencher, s’approcher ou même s’éloigner; comme avec le haut-parleur: on entend mieux quand on est loin. Alors, tous les sons et matériaux utilisés prennent tout un espace, par le fait même. Je pense, par ailleurs, que cela signifie qu’on doit aussi avoir différentes approches avec ces personnes [atteintes de troubles de la mémoire].
A.M.: Pourquoi vous intéressez-vous à la Maison Saint-Joseph?
M.B.: J’ai reçu une invitation de la part de l’organisme C2S Arts et Événements, qui avait auparavant déjà travaillé avec ce centre. Ce n’est pas la première fois qu’ils font ce genre de proposition aux artistes.

A.M.: Avez-vous vu une amélioration de l’état psychologique et social des résidents?
M.B. : Je dirais que c’étaient des réactions positives, du divertissement, de la joie, plutôt que des améliorations. C’est sûr que la plupart de ces gens, s’ils n’ont pas de visites ou d’activités dans leur journée, ils ne seront pas souriants. J’ai donc décidé d’écouter de la musique avec eux, joyeuse, qui leur faisait plaisir, puisque ça leur rappelait leur jeunesse, une belle époque. J’ai été témoin de beaux moments entre les résidents, les intervenants et les familles présentes aux activités [que j’organisais], notamment au moment où tout le monde qui reconnaissait une chanson, que ce soit une employée du centre ou un résident atteint d’Alzheimer, étaient connectés. C’était l’un des plus beaux moments auxquels j’ai pu assister.
A.M.: Comparez-vous votre travail artistique à une thérapie ou à un moyen de se libérer?
M.B.: Je n’ai pas la prétention de faire de l’art thérapie. Je ne suis pas une thérapeute, mais une artiste. La seule chose que je peux dire, c‘est que je crois beaucoup aux vertus thérapeutiques de la musique. Ça, c’est sûr, car j’ai pu l’expérimenter, le vivre et le partager.
A.M.: Quel effet cela a-t-il eu sur vous? De voir des gens dans cette situation s’engager dans vos activités musicales et sonores?
M.B.: Ça m’a apporté une grande expérience d’humanité. Quand j’étais là, présente avec les personnes âgées, je n’avais pas nécessairement la posture d’une artiste, d’une bénévole ou d’une interne. Je me suis seulement retrouvée parmi d’autres humains. C’est une prise de conscience aussi sur le fait que, nous aussi, on vieillit, et que le vieillissement n’est pas une maladie. Il y a des maladies qui sont associées au vieillissement, mais c’est une condition humaine à laquelle nous allons tous faire face. Si les artistes peuvent contribuer dans différents secteurs, comme en santé, sans avoir la prétention d’être thérapeutes, je pense que l’art peut apporter un angle différent, mais aussi du soutien.
A.M.: Avez-vous reçu de l’aide du gouvernement, autant fédéral que provincial, pour financer votre projet?
M.B.: Oui. Toutefois, c’est l’organisme C2S qui a reçu une subvention pour le projet. Ils en reçoivent toutes sortes dans le milieu de la santé ou du scolaire. Par la suite, ils invitent des artistes et répartissent les cachets. J’ai été très chanceuse car, à l’habitude, c’est moi qui dois m’occuper des subventions. Lorsque je suis arrivée, heureusement, c’était déjà réglé.
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L’exposition Prêter l’oreille de Magali Babin s’est déroulée du 11 septembre au 11 octobre à la Maison de la culture Maisonneuve, à Montréal.
Article par Jessica Charbonneau-Vaudeville.