Généalogie macabre. Ma vie rouge Kubrick de Simon Roy

Un soir, alors que sa famille dormait, Simon Roy, un professeur de littérature et de cinéma, s’est mis à l’écriture…
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Un soir, alors que sa famille dormait, Simon Roy, un professeur de littérature et de cinéma, s’est mis à l’écriture d’un recueil de nouvelles qui devait paraître quelques mois plus tard dans la collection Liberté Grande aux éditions Boréal, Ma vie rouge Kubrick. Un recueil dans lequel s’entrechoquent la vie de l’auteur et l’œuvre de Stanley Kubrick, aboutissant sur une triste morale. 

simon roy

Dans cet essai autobiographique de cinquante-deux nouvelles, l’auteur entremêle deux évènements: l’avènement en 1980 d’un film culte du cinéma américain, The Shining, d’une part (une vingtaine de nouvelles y sont consacrées), et, d’autre part, l’assassinat d’une mère de famille par son mari dans la région de Lanaudière dans les années 1940 (une vingtaine de nouvelles également). Une dizaine d’autres nouvelles servent à appuyer ses dires sur le film ou sa philosophie de la vie en général, lui qui se propose comme étant le narrateur principal et la voix-passerelle: «Nous sommes les grands méchants loups des contes que l’on nous racontait petits.» (p.112)

Dès le départ, l’auteur se plonge dans la fascination qu’il porte envers le film réalisé par Stanley Kubrick. La réplique «Tu aimes les glaces, canard» fait scintiller les yeux de Simon Roy dans sa jeunesse, yeux devenus experts après de nombreux visionnements. Ainsi, il raconte quelques anecdotes tirées autant de ses expériences personnelles – en tant que spectateur – que de ses recherches sur le sujet. Il révèle ce que sont devenues les actrices Lisa et Louise Burns qui jouaient le rôle des deux jumelles; pose une loupe sous les yeux et pointe un petit détail en arrière-plan d’une scène (comme le logo d’un chef autochtone sur une boite rouge de levure chimique); met en lumière une possible relation entre les lieux de tournage et ce qui s’est déroulé au mont Saint Helens, etc.

Il présente le film comme un objet éclaté; éclatement qui réside autant dans la façon d’organiser les nouvelles éparses et chaotiques que dans le contenu même de ses anecdotes. Il emprunte un détour en nous plaçant d’emblée dans l’univers de Kubrick. Il nous pointe ainsi l’obsession du réalisateur pour le chiffre 42 qui reviendra à plusieurs reprises dans le recueil comme un écho au meurtre de sa grand-mère, Aurore, qui s’est déroulé en 1942. Il nous démontre jusqu’où le talent ou la folie de Kubrick pouvait aller lors d’un tournage. Il a, entre autres, choisi lui-même l’acteur qui allait faire la doublure de Jack Nicholson en français; ou encore, il a fait peinturer les murs d’un cinéma où le film allait être projeté à deux reprises, et ce, à quelques jours seulement de la projection. Même l’actrice Shelley Duval abonde dans ce sens quand on lui demande comment c’était de travailler avec Kubrick: «Presque intolérable confie-t-elle. […] Mon personnage de Wendy […] devait pleurer douze heures par jour, toute la journée, les neuf derniers mois ont été intensifs, à raison de cinq ou six jours par semaine.» (p.22)

Simon Roy. Crédit photographique: Radio-Canada Christian Côté
Simon Roy. Crédit photographique: Radio-Canada Christian Côté

Plus l’on avance dans le recueil, plus les nouvelles sur le film se font rares pour laisser la place à la véritable raison d’être de ce recueil: «Comprendre mon grand-père est peut-être hors de mes capacités, mais au moins j’aimerais trouver une prise pour appréhender de manière rationnelle la question de son esprit criminel.» (p.137) Son grand-père, le docteur Jacques Forest a assassiné sa femme de plusieurs coups de marteau devant les yeux de ses filles. Ces dernières ont réussi à lui échapper, mais l’une d’elles a disparu quelques années plus tard, laissant la mère de l’auteur et fille du grand-père assassin seule au monde. Le docteur a, quant à lui, fini par se passer la corde au cou.

Le film de Stanley Kubrick sert, donc, de prise sur l’assassinat de sa grand-mère et sur la vie misérable de sa mère. En ce sens, l’auteur se sert du film comme d’un écho à cet assassinat. Il agit comme catalyseur nous démontrant la violence de Jacques Forest à travers celle de Jack Torrance; deux hommes portés sur la boisson, qui sont au départ présentés comme étant de bons pères de famille et non comme des meurtriers évidents, démasquables. Toutefois, ils finissent tous les deux par laisser la folie l’emporter sur eux. La seule et morbide différence reste que le docteur Jacques Forest a réussi là où Jack Torrance a échoué. Il a réussi à «démontrer» que le fondement de l’être humain n’est pas forcément bon. Que nous portons le mal dans les abysses de notre âme: «Je crois que nous portons tous à des degrés divers une part d’ombre, une part sombre.» (p.137) Seulement, certains d’entre nous ne lui laissent jamais libre cours tandis que d’autres préfèrent insérer une faille dans ce que Simon Roy appelle «sa généalogie macabre».

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Simon Roy, Ma vie rouge Kubrick, Montréal, Éditions du Boréal, 2014, 176 p.

Tête-bêche: Ma vie rouge Kubrick, entrevue avec Simon Roy à la Fabrique culturelle.

Article par Rémi Chiasson-Villeneuve. Membre associé de l’Union des écrivains et des écrivaines du Québec, auteur de La trilogie des Lumios: les anges de la mort publié aux éditions Bénévent en 2010, membre du groupe d’écriture Imagine Nation et nouvellement étudiant à l’UQAM, Rémi Chiasson-Villeneuve est un véritable mordu de littérature.

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