Trop longtemps relégué aux oubliettes, le sujet des communautés autochtones regagne peu à peu sa place dans les médias grâce à plusieurs initiatives culturelles. La pièce Agokwe, écrite et interprétée par Waawaate Fobister, se veut une fenêtre sur l’homosexualité dans les réserves.
Présentée du 12 au 15 avril par la troupe The Agokwe Collective, l’œuvre constitue un regard intérieur sur les problématiques qu’affrontent les jeunes autochtones. Une odeur tenace de stigmatisation s’accroche aux personnages, qui souvent s’oublient au profit des attentes de leurs pairs pour éviter l’isolation sociale. Malheureusement, cette caractéristique réaliste s’avère souvent doublée d’effluves de clichés qui émanent de la pièce même. Les thèmes de l’intimidation et du rejet ont été abordés déjà à maintes reprises et, même s’ils demeurent très importants, ils demandent un angle de traitement original, ce qui n’est pas toujours le cas dans Agokwe. Toutefois, ces clichés proviennent sûrement de la réalité.
Il demeure que les personnages d’Agokwe sont plutôt stéréotypés et peu nuancé. L’amour impossible, vu et revu, n’est pas non plus le thème le plus percutant. Toutefois, si tout a déjà été dit, The Agokwe Collective choisit un traitement particulier, celui d’interpréter tous les personnages par le biais d’un seul acteur, Waawaate Fobister, qui se trouve à être également l’auteur de la pièce.
Vous pouvez visionner une courte entrevue avec Waawaate ici. Il a également fait un magnifique TedTalk à Toronto que je vous conseille d’aller regarder ici.

Fobister parvient donc à représenter les cinq personnages de la pièce, hommes et femmes, de manière assez distincte pour empêcher toute confusion. De ces cinq personnages, deux sont les adolescents dont l’histoire d’amour est au cœur de la pièce. L’un est danseur traditionnel, l’autre est joueur de hockey, et le mélange de ces deux univers ne va pas de soi pour les protagonistes. La pièce présente les enjeux de l’homosexualité sur les réserves autochtones, sujet encore tabou à en croire la pièce.
Ce sont donc des personnages déchirés qu’interprète Fobister, des individus qui doivent conjuguer l’être et le paraître, pourtant très différents. De crainte de subir les railleries de ses semblables, chacun tente de correspondre aux attentes qu’on se fait de lui ou d’elle, ce qui détruit les personnages de l’intérieur.

La thématique de la scission entre l’intérieur et l’extérieur ressort fortement de la pièce. Toutefois, elle n’est supportée que par une histoire « déjà vue », d’amour impossible, de pressions sociales, d’isolation. Bref, des thèmes importants, mais redondants, lorsqu’incorporés à une trame narrative somme toute plutôt banale.
Le comédien Waawaate Fobister, lui-même issu de la communauté autochtone de Grassy Narrows, possède une remarquable faculté à se glisser dans l’esprit de personnages autant féminins que masculins, autant homosexuels qu’hétérosexuels. C’est là le sens même de la pièce, dont le nom signifie « Dans l’homme il y a la femme : non pas un seul esprit, mais deux ». Agokwe traite de la spiritualité dans l’homosexualité, qui est alors perçue comme une qualité puisque celui qui en est frappé posséderait les qualités des deux sexes.

L’œuvre s’ouvre et se clôt sur un même message, qui invite le spectateur à perpétuer l’apprentissage initié par Agokwe: « Parlez-en à vos amis, aux amis de vos amis, qui en parleront à leurs amis et ainsi de suite, afin que nous formions une grande famille heureuse ».
La sensibilité de l’œuvre parvient bien à compenser les lacunes de son histoire, et le jeu multiple de Waawaate Fobister vaut à lui seul le détour, malgré quelques accrocs de langage difficiles à ignorer. L’œuvre se veut provocante pour le spectateur. Vers le milieu de la pièce, un spectateur chanceux aura l’occasion d’y participer d’une claque sur les fesses de Fobister, qui refuse de continuer sans l’avoir obtenue. Que ce soit une manière de réveiller le public ou de rendre la pièce plus mémorable, le geste ne laisse personne indifférent.
Il s’agit là d’une pièce utile; divertissante, mais aussi instructive. Elle se déroule en anglais, mais il serait très dommage de s’arrêter à cette caractéristique, au danger de manquer une fort belle expérience.
Agokwe était présenté au Théâtre La Chapelle du 12 au 15 avril 2016.
Article par Ericka Muzzo.