Le 29 septembre dernier, dans le cadre du Festival international de littérature de Montréal (FIL), était présenté au Théâtre Outremont l’évènement « Jack Kerouac : La vie est d’hommage ». Ce spectacle offrait une lecture sur scène de textes inédits en français du célèbre écrivain de la Beat Generation. Déracinements, voyages et langues changeantes étaient au rendez-vous!
Sur la scène de la Grande Salle du Théâtre Outremont, sont placés, à la gauche, un piano et un petit tabouret. Au milieu de la scène se trouve une simple chaise en bois. Des airs de jazz remplissent la salle en attendant le début du spectacle. Le comédien et auteur Robert Lalonde, accompagné du pianiste John Roney, pose ses pieds sur les planches. Poignée de main et regards déterminés sont échangés entre les deux artistes, quelques notes au piano se font entendre et Robert Lalonde prête sa voix au « Français Canuck » de Jack Kerouac.
Jack Kerouac, né Jean-Louis Kérouac, était fils de parents québécois. Il est principalement connu pour son roman On the Road (Sur la route en français), paru en 1957. Sa langue maternelle était le français, d’ailleurs seule langue qu’il utilisa jusqu’à l’âge de six ans et qu’il parla toute sa vie avec sa mère. Comme le souligne la quatrième de couverture du livre Jack Kerouac : La vie est d’hommage publié par le professeur Jean-Christophe Cloutier, l’ouverture des archives de Kerouac en 2006 était très attendue, car on allait enfin y retrouver des textes écrits dans le français natal de l’écrivain. Cloutier a donc réuni sous un seul volume ces textes inédits, qui ont été présentés au grand public pour la première fois lors du FIL.
La plume canadienne-française de Kerouac est un savoureux mélange de déracinements, de questionnements identitaires et langagiers, de récits de vie, de voyages et de rencontres, le tout entrecoupé par une profonde tristesse mélancolique. Kerouac le souligne même dans l’un de ses textes : « La mort, c’est rien; c’est la tristesse envie qui m’tu » (Jack Kerouac : La vie est d’hommage, Boréal, 2016). De plus, comme l’interprétait Robert Lalonde sur scène, prêtant ses traits au jeune « Ti Jean », les questionnements de Kerouac par rapport à son utilisation systématique de deux langues distinctes étaient nombreux. Il en vint même un jour à la conclusion suivante : « J’ai jamais eu une langue a [sic] moi-même ». Jack Kerouac était donc souvent en grand questionnement face à son identité.
Robert Lalonde, grâce à sa diction parfaite et par la justesse de sa lecture, fait ressortir toutes les gammes d’émotions et de fragilité que l’on peut déceler à travers les mots sans censure de Kerouac. Ce sentiment de relâchement langagier et d’honnêteté transparaissait également sur scène. Les postures du comédien, assis à califourchon sur la chaise en bois ou le pied appuyé sur le siège, donnaient vie aux textes de Kerouac, tout en leur donnant l’attention qu’ils méritent. En effet, le bilinguisme et l’écriture souvent phonétique de Kerouac demandent une lecture à voix haute afin d’en comprendre toute la finesse et, quelques fois, la dureté. L’interprétation de Robert Lalonde remplit parfaitement ce mandat.
L’écrivain fondateur du mouvement de la Beat Generation, laquelle regroupait entre autres Allen Ginsberg et William S. Burroughs, devint, malgré son héritage canadien-français, un grand écrivain américain, rêve que chérissait Kerouac depuis longtemps. Cependant, l’impact de sa langue maternelle est également d’une grande importance. Une des citations marquantes de cette lecture scénique est la suivante : « Je suis Canadien Français, m’nu au-monde à New England. Quand j’fâcher j’sacre souvent en Français. Quand j’reve j’reve souvent en Français. Quand j’brauille j’brauille toujours en Français [sic]. » Le français « canuck » de Jack Kerouac faisait donc bel et bien partie intégrante de sa personne.
Cependant, nous ne pouvons pas parler de l’écriture de Kerouac, sans invoquer la musique et, plus particulièrement, le jazz. Jack Kerouac disait lui-même que la musique et la langue ne faisaient qu’une. Comme le décrit Jean-Christophe Cloutier dans son avant-propos : « C’est la musique, la sonorité de sa langue maternelle qui l’amène à renouveler la prose américaine, car sa relation avec le monde extérieur passe en premier lieu par son oreille.» Dans ses textes en français, Jack Kerouac mentionne à quelques reprises l’importance de la musique dans sa vie personnelle ainsi que dans ses rencontres de voyage. Le jazz new-yorkais des années cinquante occupe également une place importante dans son roman le plus célèbre, On the Road. Il n’est donc pas étonnant que le pianiste John Roney ait accompagné la lecture de Robert Lalonde! Les morceaux joués, qui rappelaient lesdites pièces de jazz tant aimées par Kerouac, submergeaient encore plus profondément les spectateurs dans l’univers de l’écrivain. La plume de Kerouac étant elle aussi très musicale, les notes de piano donnaient presque l’impression de faire partie intégrante du texte. Robert Lalonde chantonnait lui-même et claquait parfois des doigts entre les lectures, renforçant encore une fois l’importance de la musique et des sentiments qu’elle peut évoquer.
L’évènement du FIL, « Jack Kerouac : La vie est d’hommage », fut un superbe hommage à la vie franco-américaine de Kerouac. Portée par les langues, la musique, les émotions et les mots, la lecture publique de ces textes inédits ouvre une toute nouvelle dimension sur Jack Kerouac, l’homme et l’écrivain. Les lecteurs et lectrices de Kerouac en apprendront davantage sur l’auteur et peut-être y trouveront-ils une sensibilité encore insoupçonnée. Le nouveau lectorat quant à lui sera sans doute charmé par la complexité de l’être qu’il était et sera tenté, à son tour, de lire ses œuvres. Il va sans dire, Jean-Louis Kérouac est un grand écrivain américain qui était fièrement porté par ses origines franco-canadiennes. Nous pouvons donc clamer haut et fort que Jack Kerouac fait partie de notre chemin culturel collectif… et on peut maintenant le lire en français!
« Jack Kerouac : la vie est d’hommage », présenté le 29 septembre 2016 à la Grande Salle du Théâtre Outremont dans le cadre du Festival international de littérature de Montréal.
Jack Kerouac : La vie est d’hommage, textes établis et présentés par Jean-Christophe Cloutier. Éditions du Boréal, 2016.
Article par Marie Levesque.