En septembre dernier, le troisième roman de Kevin Lambert paraissait dans les librairies du Québec. Ses deux premières œuvres ayant connu un grand succès auprès du public, toutes deux finalistes et gagnantes de plusieurs prix, les lecteur·rice·s attendaient impatiemment une nouvelle parution. L’auteur saguenéen est effectivement lauréat de prix réputés, dont celui de la Découverte du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean pour son roman Tu aimeras ce que tu as tué, publié en 2017, et le prix Sade pour Querelle de Roberval, publié en 2018. Au début de l’année 2022, Kevin Lambert présentait sa thèse de doctorat en création littéraire, notamment dirigée par l’autrice Catherine Mavrikakis, qui donnera éventuellement naissance à son roman Que notre joie demeure. L’auteur se questionne à savoir « comment un empêchement imposé de l’extérieur [peut être] vécu par une créatrice qui souhaite produire une œuvre[1] ».
Que notre joie demeure nous entraine dans l’univers somptueux des gens richissimes. Une certaine critique du capitalisme se fait ressentir à travers les phrases très élaborées de l’œuvre, qui font parfois près d’une demi-page. Kevin Lambert sait indéniablement manier sa plume afin de faire prendre vie à ses personnages. Ses longues descriptions détaillées nous permettent de plonger dans ce monde huppé, qui implique les personnes les plus influentes du milieu d’affaires montréalais. C’est une lecture dans laquelle il faut plonger attentivement puisqu’elle comporte énormément de personnages et de détails. Les paragraphes s’étirent sur plusieurs lignes, ne laissant pas le temps aux lecteur·rice·s de souffler. Il est difficile de déposer le livre puisqu’il n’y a pas d’endroits stratégiques où arrêter la lecture : nous demeurons prisonnier·ère·s du luxe et des privilèges des ultra-riches. C’est par l’argumentaire des personnages autour de la question de l’embourgeoisement que l’auteur entretient l’intérêt puisque, bien qu’il y ait beaucoup de conversations houleuses, il y a très peu d’action dans le roman.
Dans l’œuvre, Céline Wachowski, architecte et fondatrice des Ateliers C/W, reçoit, après plusieurs années de dur labeur, un projet architectural à élaborer dans sa ville natale. Ce projet d’envergure dirigé par une multinationale ne fait toutefois pas l’unanimité chez les Montréalais·ses, qui n’y voient qu’un nouveau prétexte pour amplifier les inégalités sociales et économiques. Lors d’une soirée mondaine, Céline pressent la chute de son empire. La seconde partie de l’œuvre met au premier plan les critiques auxquelles elle fait face : la violence éthique de sa compagnie, l’adhérence au capitalisme, le malmenage des employé·e·s. Cette révolte mène inévitablement Céline à sa déchéance. Dans la troisième, et dernière, partie de l’œuvre, nous retrouvons la présidente de la compagnie relevée de ses fonctions en raison des allégations à son égard. Elle essaie alors de dorer son image en tenant le discours que la population veut entendre et en exposant les autres dominant·e·s de la société, les mettant ainsi à leur tour dans une position délicate.
Bref, le nouveau roman de Kevin Lambert n’est pas dans l’action, mais plutôt dans la critique sociale à travers les dialogues. C’est une parole engagée à l’encontre de l’embourgeoisement, qui ne fait qu’accroître les inégalités entre les différentes classes sociales.
[1] Kevin Lambert, « Rater mieux : essai sur le fantasme en création », thèse de doctorat, Département de littératures de langue française, Université de Montréal, 2022, en ligne, http://hdl.handle.net/1866/26816.
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Lambert, Kevin, Que notre joie demeure, Montréal, Héliotrope, 2022, 384p.