Les esprits surgissent tels des totems aux reliefs bruts, recyclés et si éthérés. Une odeur musquée de bois humide nous enivre. Des mots nous guident, imprimés sur un arbre d’ébène et d’ivoire. Ce guide n’est qu’un murmure, un message universel édifiant. Du 8 janvier au 20 février 2016, la forêt de Michel Gautier a pris possession de l’Espace Cascade à la TOHU avec son exposition éTERREnelle ?! Compte rendu d’un voyage lyrique et poignant.

Crédit photo : Stéphane Klopp
Dès notre entrée dans l’Espace Cascade, nous sommes accueillis par un grand arbre, pièce centrale dont les racines trouvent refuge dans un carré de sable. Autour de cet arbre géant, des arbres semblables, plus petits, dénudés de feuillage; seuls leurs troncs subsistent. Sur ces étranges objets sont gravés des figures totémiques ainsi que des messages en plusieurs langues: « je suis créateur »; « je m’élève »; « je pense différemment ».
Notre regard se promène avant de croiser une autre magnifique lignée d’arbres totémiques suspendus, flottant tels des fantômes, leurs racines de laines retombant vers le sol. Sur les murs sont exposées des peintures représentant des esprits, œuvres où le style de l’artiste reprend les mêmes figures totémiques de l’exposition. La troisième installation prend la forme d’un cube suspendu. Cette planète réinventée se balance au-dessus de cendres. L’ensemble des matériaux de l’installation, arbres et peintures, créent à eux seuls un univers où tout se transforme et rien n’est créé (ou presque). Avec la matière recyclée, Gautier réinvente fibre de coton, papier recyclé et cordes usées.

Mirages. Photo : Claude Millet
Savant mélange d’impression numérique, de gravure, d’installation et de sculpture, éTERREnelle !? nous plonge au cœur de l’écosystème forestier, alliant avec une maîtrise sculpturale étonnante une riche expérience à la fois olfactive et visuelle. En déambulant entre les différents éléments de l’installation, le visiteur crée son propre parcours : une visite libre, faisant appel à l’instinct et aux aléas du chemin. Ici et là, on peut sentir la forêt en pompant manuellement l’une des quatre boîtes d’odeur installées aux coins de l’exposition : bois mouillé, sapin, écorce et terre forestière humide. Toutes les effluves de la forêt peuvent être activées afin de tonifier le parcours.
Il ne reste au public qu’à écouter avec les yeux, sentir avec le cœur et comprendre avec les sens. L’œuvre de Gautier nous hante avec ses esprits et la beauté si fragile de son équilibre parfait. Cette mise en scène à l’état brut de la nature, nous rappelle une question sociale, humaine, urgente : penserons-nous différemment l’environnement qui nous entoure pendant qu’il est encore temps ? Car éTERREnelle !? n’est pas qu’une affirmation, c’est une question laissée en suspens.
Gautier, voyageur
Résident de l’Afrique et des Caraïbes durant plusieurs années, l’artiste français Michel Gautier s’est installé au Québec pour poursuivre sa carrière d’artiste. Nul besoin de dire que son expérience rejoint cette inspiration tribale tirée de ses voyages où le sacré domine. L’espace naturel nous est conté à travers la vision spirituelle de l’artiste. Chaque arbre est un esprit. L’art numérique vient épouser cette vision, en créant un relief physique à même ces arbres et leur espace nourricier.
Cette vision poétique et philosophique, questionnant notre rôle dans l’écosystème, nous est constamment rappelée. Elle flotte au gré des odeurs de sapinage, elle laisse son empreinte sur le sable et elle s’incruste dans l’écorce des arbres. Avec éTERREnelle !? La TOHU nous montre encore que spectacle et développement durable peuvent générer des œuvres uniques. Dans ce cas, la performance est silencieuse, la nature se donne en spectacle, alors que le visiteur est le maître de piste. Belle, apaisante, puissante, menaçante et menacée, éTERREnelle !? est la nature dans toute sa splendeur.
— Michel Gautier nous rappelle que notre passage dans ce monde n’est pas pérenne : nous reviendrons tous à cette terre où rien ne se crée et tout se transforme.
Article par Gabrielle Morin-Lefebvre. Étudiante en journalisme à l’UQAM, journaliste et collaboratrice pour la section des arts visuels pour l’Artichaut, Gabrielle Morin-Lefebvre est aussi collaboratrice radio pour CHOQ.ca.