Le 14 et 15 décembre prochain se tiendront deux journées d’étude organisées par le groupe de recherche « Archiver le présent » (2016-2017) de l’UQAM. Ce texte, écrit par Bertrand Gervais et tiré du site ALN|NT2, est un résumé de la problématique qui sera abordée lors de ces journées. Vous êtes, bien évidemment, invités-es à assister aux communications et à échanger par la suite avec les participants-es du groupe de recherche.
On assiste, depuis la deuxième moitié du vingtième siècle, à une accumulation étonnante de tentatives d’épuisement, qui témoigne de la très grande force symbolique de cette démarche. Il y a là une véritable poétique, une façon d’aborder le monde et ses objets en tentant d’en épuiser le sens, la forme ou le matériau même. Ces tentatives portent sur des lieux ou encore un temps, une journée ou une année, mais elles se cristallisent aussi autour de principes, d’événements, de corps, d’objets et de données.
Ces tentatives d’épuisement ne sont pas nécessairement liées à des dispositifs numériques, mais elles prennent place aisément dans une culture de l’écran, puisque le numérique en surdétermine le principe, en multipliant de façon presque exponentielle les possibilités. Il est vrai que le numérique laisse l’impression que nous pouvons avoir une connaissance quasi-exhaustive du monde et de ses manifestations, du quotidien et de ses événements, de la vie de tous les jours et des lieux où elle se déroule. Que nous pouvons archiver des éléments de ce quotidien, pas seulement des traces ou des restes, mais des artéfacts, des images, des écrits, des mémentos de toutes sortes. En ce sens, le numérique donne au quotidien une présence; il nous le révèle, comme il n’a jamais pu l’être auparavant. Il nous donne un accès au monde, et au monde tel que nous pouvons l’expérimenter tous les jours.
C’est dans un contexte marqué par le numérique et sa gestion tentaculaire des données, que prennent place de nombreuses tentatives d’épuisement. Un épuisement complet est impossible à atteindre, il va sans dire, l’exhaustivité est une pure illusion, mais cette illusion nous permet de croire, ne serait-ce que sur un mode imaginaire, que nous pouvons maitriser le monde, du moins qu’il ne nous échappe pas entièrement. Elle assouvit notre soif de réalité.
L’idée d’une tentative d’épuisement est apparue nommément, en 1974, quand Georges Perec s’est installé place Saint-Sulpice à Paris et a entrepris de dresser la liste de tout ce qu’il voyait, les passants, les oiseaux, les camions, autos et autocars, les clients des cafés, les variations de température, tout ce qui pouvait être noté, les faits usuels de la vie quotidienne. Le texte a été édité en 1975 chez Christian Bourgois. Le projet de Perec n’était pas de rendre compte des faits historiques, dont témoignent déjà les monuments, mais «de décrire le reste: ce que l’on ne note généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n’a pas d’importance: ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages.» (1975)
Le texte de Perec est l’exemple canonique des tentatives d’épuisement d’un lieu, et il a laissé dans son sillage des vagues sur lesquelles de multiples entreprises se sont mises à surfer. D’autres tentatives d’épuisement d’un lieu sont apparues, de même que d’autres types de tentatives. Des tentatives d’épuisement d’un temps, d’un événement, d’une situation, d’un principe, d’un objet, d’un corps, des données et des dispositifs.
Le programme des communications est disponible sur le site ALN|NT2.
Article par Bertrand Gervais.