En janvier dernier, une nouvelle maison d’édition a fait son entrée au Québec. Conifère se décrit comme étant « un lieu pour la poésie, les ouvrages insolites, les livres documentaires et les contenus scientifiques[1] ». La maison d’édition prévoit publier à la fois des textes variés. Nous pouvons donc nous attendre à un catalogue diversifié , qui proposera certainement de la poésie, des essais, des arts visuels, du partage de connaissances et de la vulgarisation scientifique. Les deux premières œuvres poétiques publiées chez Conifère, Des entrailles naturelles d’Andrée-Anne Bergeron et Ce qu’il est advenu de ma mort de Vicky Bernard, font d’ailleurs honneur à ce doux mélange artistique et savant.
Lauriane Lepage, présidente et directrice éditoriale, a confié à l’Artichaut que Conifère a pour objectif « de contribuer à faire rayonner les richesses artistiques, littéraires et scientifiques d’ici et d’ailleurs ». « Nous publions des ouvrages coup de cœur qui piquent notre curiosité, nous aident à comprendre, nous déboussolent et nous font vibrer. Chez Conifère, nous sommes animés par les valeurs que sont l’audace, l’originalité, la rigueur, la franchise et le partage », nous dit-t-elle.
L’Artichaut a pu mettre la main sur les deux recueils de poésie, dont les vers nous font voyager simultanément au sein de la nature et en nous-mêmes. Des entrailles naturelles propose une exploration du corps en trois parties : la chute, la reprise de son souffle, le calme. Les vers au langage technique nous entrainent dans une danse, une musique, une énergie nucléaire. Pour sa part, Ce qu’il est advenu de ma mort tente de raccommoder des morceaux de la vie à coup de mots. C’est le rapiècement de petits bouts de soi qui ont été éparpillés au fil du temps.
Nous avons aussi eu la chance de poser quelques questions aux deux autrices qui ont brisé la glace chez Conifère, Andrée-Anne Bergeron (A.-A.B.) et Vicky Bernard (V.B.).
Pourquoi avoir choisi de publier chez Conifère ?
A.-A.B. : J’ai fait lire mon manuscrit à un ami, qui m’est finalement revenu quelques mois plus tard en me disant que deux de ses ami·e·s démarraient une maison d’édition. Selon lui, je devais leur envoyer mon manuscrit; il m’a donc donné le contact pour Conifère. À ce moment, ils n’avaient qu’un site internet et aucune publication. J’ai été très touchée lorsqu’ils ont accepté mon manuscrit.
V.B. : En fait, je dirais que c’est plutôt Conifère qui a choisi de me publier! Au printemps 2021, j’ai reçu un étonnant coup de fil de Lauriane, directrice éditoriale chez Conifère. Elle m’a dit qu’elle et son coéditeur avaient beaucoup aimé le texte que j’avais publié dans le dernier numéro de la revue Le Sabord, qu’ils lançaient une maison d’édition et me proposaient de publier un recueil chez eux. Je n’en revenais pas! Le hic, c’est que je n’avais pas vraiment de matériel à leur proposer… Après une première rencontre (par Zoom, pandémie oblige!) où ils m’ont présenté l’orientation de leur maison d’édition, on a convenu que je leur reviendrais quelques mois plus tard avec une proposition. C’était à la fois épeurant (j’avais l’impression de sauter dans le vide!) et très stimulant – on me proposait un terrain de jeu, yé!
Comment avez-vous trouvé votre expérience de publication chez une toute nouvelle maison d’édition ?
A.-A.B. : Le contact avec Lauriane et André a été facile et agréable dès le début, je sentais une écoute et un respect de ma vision. Même si le processus de publication a été relativement long (un an et demi), c’était très stimulant et excitant de sentir que je faisais partie d’un projet qui se construisait sous mes yeux.
V.B. : Ç’a été vraiment formidable! On en était tous à notre première expérience, alors on apprenait ensemble. Il y avait un excellent climat de respect et d’écoute, ce qui nous a permis de travailler ensemble sur les textes et de mener à bien le projet.
Quelles ont été vos inspirations pour votre premier recueil de poésie ?
A.-A.B. : Il y a quelques années, j’ai été aux prises avec des problèmes d’anxiété qui m’ont amenée à chercher, par plusieurs moyens, à calmer mon cerveau et à me connecter davantage avec mon corps. Je me suis mise à faire du jogging dans la nature, ce qui m’a fait un bien fou. L’autre chose dont j’ai eu viscéralement besoin à ce moment-là, c’était d’écrire. Lorsque j’écrivais, je me sentais enfin calme. J’ai donc écrit sur mon expérience intérieure, sur la peur et l’oppression, puis sur le courage et la libération.
V.B. : Au départ, je me suis inspirée d’une expérience de deuil que je venais de vivre. Mais je dois dire que tout m’inspire dans le quotidien – la nature, les mots et les images que je rencontre, mes lectures, mon chat! C’est vraiment une écriture du quotidien… Je prends des notes – mots, idées, images, vers. Pour moi, c’est comme une collection de roches. Quand j’en ai ramassé plusieurs, je les sors, les regarde. J’essaie de les organiser, de voir comment elles vont ou non ensemble. Je m’amuse avec ma collection, quoi! Et, au final, ça donne des poèmes.
Quel est votre parcours ? Qu’est-ce qui vous a menées à l’écriture ?
A.-A.B. : J’ai toujours écrit de la poésie, dans des petits cahiers que je ne montrais à personne. En parallèle, j’ai fait des études en enseignement du français au secondaire et en philosophie. La lecture et l’écriture ont donc été présentes tout au long de mon parcours académique, mais d’une manière très scolaire. J’apprivoise encore l’écriture créative. C’est une chose que j’ai toujours souhaité faire, mais que je commence seulement à me permettre. Pendant longtemps, j’avais l’impression de n’avoir rien d’important à dire. Je pense qu’aujourd’hui, j’ai maintenant assez de bagage et de recul sur moi-même pour pouvoir le faire.
V.B. : J’ai un parcours de « littéraire » (bac et maitrise en études françaises). Toute jeune, j’écrivais de la poésie, ce que j’ai continué à faire jusqu’à mon arrivée à l’université. Étrangement, une fois à l’université, confrontée quotidiennement à tous ces grands de la littérature, il m’a semblé que je n’avais plus rien à dire – à écrire. Après ma maitrise, j’ai commencé à travailler en traduction, profession que je pratique encore aujourd’hui. Pendant toutes ces années, je me suis définie comme une traductrice et une grande lectrice, j’étais dans l’autre équipe, quoi! Mais il y a quelques années, je suis revenue à l’écriture. Pour moi, la lecture et l’écriture sont des pratiques absolument complémentaires.
Y a-t-il d’autres projets littéraires ou artistiques à venir pour vous ?
A.-A.B. : J’ai la chance d’avoir obtenu une bourse de mentorat pour avoir l’aide d’Anne-Marie Desmeules (Le tendon et l’os, 2019 et Nature morte au couteau, 2020, entre autres) pour le découpage des vers et la construction du fil narratif de mon deuxième recueil. Avec un peu de chance, il sera publié au cours de l’année prochaine.
V.B. : Oui!!! J’en ai plusieurs, mais avant de me lancer dans d’autres projets d’écriture, je compte terminer la rédaction de mon mémoire. Je fais présentement une maitrise en traduction littéraire à l’Université de Sherbrooke, dans le cadre de laquelle j’étudie et traduis le fabuleux recueil de poésie Letters in a Bruised Cosmos, de Liz Howard. Disons qu’avec le mémoire et un travail à temps plein, il ne reste plus beaucoup de temps pour l’écriture… Mais j’ai quand même plusieurs projets d’écriture! Celui qui m’obsède présentement porte sur notre rapport aux choses. L’idée m’est venue de ma relation problématique avec le bordel de mon sous-sol, que je n’arrive pas à me résigner à régler… Je me suis intéressée à cette emprise que cet endroit et les objets qu’il contient avaient sur moi. C’est le rapport à la consommation, bien sûr, à l’obsolescence, mais aussi aux souvenirs et à cet étrange espace qu’est un sous-sol: en dessous de nous, sous la terre, un endroit où on peut dissimuler des choses, les oublier. Et il y a toute l’idée de la gravité terrestre qui aspire les choses vers le bas… Bref, c’est encore embryonnaire, mais je vois plein de possibilités!
Il est possible de retrouver Andrée-Anne Bergeron, Vicky Bernard ainsi que les éditions Conifère sur Instagram. Pour en connaitre davantage sur Conifère, il est aussi possible de visiter leur site Web.
[1] Éditions Conifère, en ligne, <https://editionsconifere.com/>, consulté le 9 février 2023.
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Bergeron, Andrée-Anne, Des entrailles naturelles, Québec, Conifère, 2023, 72 p.
Bernard, Vicky, Ce qu’il est advenu de ma mort, Québec, Conifère, 2023, 108 p.