Le passé n’est pas terminé. Retour critique sur le symposium Avant-Museology au Walker Art Center

À quoi correspond une muséologie d’avant-garde? Quels sont les enjeux qui caractérisent les pratiques muséologiques contemporaines? C’est afin de répondre,…
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Crédit: Maude Johnson
Crédit: Maude Johnson

À quoi correspond une muséologie d’avant-garde? Quels sont les enjeux qui caractérisent les pratiques muséologiques contemporaines? C’est afin de répondre, ou, du moins, de réfléchir davantage à ces questions que j’ai assisté au symposium Avant-Museology. Coorganisée par e-flux et le Walker Art Center, la rencontre s’est déployée sur deux jours, les 20 et 21 novembre derniers, au Walker Art Center de Minneapolis.

Avant-Museology prenait pour point de départ le livre Avant-Garde Museology, dirigé par Arseny Zhilyaev, dans lequel les pratiques muséologiques soviétiques de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle sont présentées et analysées par rapport à leur potentiel d’expérimentation social, politique, et idéologique. S’il s’agissait d’une prémisse à l’événement, cette préoccupation historique envers l’avant-garde russe marquait cependant l’ensemble du symposium. Le concept de résurrection ou de réanimation, qui réside au cœur des théories de Zhilyaev, incarnait le fil conducteur des conférences. On aurait pu s’attendre à ce que Avant-Museology approfondisse la réflexion sur la muséologie contemporaine, envisagée pour sa mise en exposition, son commissariat, l’institution en soi et ses divers rôles, potentiels, implications, préoccupations, et significations. Or, le symposium a surtout traité d’un travail artistique interpelant l’institution muséale (Walid Raad en conversation avec Jordan Carter, Jonathas de Andrade en conversation avec Adrienne Edwards, Anton Vidokle, Ane Hjort Guttu en conversation avec Nisa Mackie) et théorisé le musée dans ses formes historique et actuelle (Arseny Zhilyaev, Boris Groys, Hito Steyerl, Sohrab Mohebbi, Elizabeth Povinelli, Timothy Morton et Cary Wolfe). Bien que plusieurs commissaires prenaient part à la rencontre (Sohrab Mohebbi, Adrienne Edwards, Nisa Mackie, Jordan Carter), seul Sohrab Mohebbi présentait, individuellement, ses réflexions. Dans l’optique d’un investissement efficace de la culture muséologique contemporaine, la rencontre manquait résolument de matériel commissarial et aurait bénéficié d’une perspective plus étayée de la mise en exposition contemporaine ainsi que des enjeux qui la définissent.

Plusieurs idées qui ont émergé des conférences ont concurremment éclairci et complexifié certaines de mes interrogations. Dans le cadre de sa présentation, Walid Raad discutait des problématiques liées à la muséologie contemporaine moyen-orientale. D’emblée, il affirme que l’art agit comme le miroir dans les films de vampires : il révèle la suppression de ce qu’on croit être là, parlant d’une disparition des traditions. Il aborde la résurrection par rapport à ce qui m’apparaît comme la condition performative du concept. Se basant sur les théories de Jalal Toufic, il formule l’idée de refaire quelque chose pour la première fois en tant que stratégie de création d’un espace muséologique pour un « art contemporain arabe ». Pour Raad, la résurrection de quelque chose qui n’est plus ne signifie pas d’actualiser mais plutôt de faire à nouveau. Plus encore, il envisage la chose absente comme invisible et non pas disparue – non pas réellement absente (« be present but not available to vision », « it is not that when we see nothing there is nothing »). En conversation avec Jordan Carter, Raad exemplifie son propos par son installation Letters to the Reader (2014). L’œuvre, qui fait partie de l’exposition Question the Wall Itself du Walker Art Center, pose l’ombre comme un outil de visibilité – comme un appareil politique.

Avec Hito Steyerl, le concept de la boucle (loop) est utilisé pour définir l’histoire et réfléchir au musée sous l’angle du paradoxe conservation/exposition. Selon l’artiste, l’institution muséale insère le passé au sein du présent, ce qui corromprait l’histoire. En ce sens, elle affirme que le futur ne peut survenir que si l’histoire (ou le passé) ne contamine pas le présent. Pour Steyerl, le phénomène de la boucle renvoie à l’impossibilité de parvenir au futur, de se dégager d’une histoire qui se répète continuellement dans un présent qui perd, corrélativement, son agentivité. Se positionnant contre une répétition à l’identique, l’artiste soutient qu’il s’agirait d’actualiser les règles afin d’accéder à un autre niveau, dans le but de dépasser la forme de la boucle. Si elle approfondit les notions de résurrection et de répétition, Steyerl souligne cependant la nécessité de considérer le comment de leur exécution. À ce titre, elle réévalue le rôle du musée par rapport à ce qu’elle suggère être un nouveau paradigme de visibilité – ou plutôt d’invisibilité – parlant de cette tendance à entreposer les œuvres (invisibilité) sans qu’elles soient publiquement accessibles (visibilité). Ces espaces, que Steyerl définit comme des « bunkers », permettraient de mettre l’œuvre en sûreté pour le futur à tel point qu’elle deviendrait invisible. Les potentialités futures sont donc prises dans cette contradiction (productive?) entre préservation et existence publique, et requerraient des stratégies particulières pour se réaliser.

Du point de vue d’une réflexion sur les différentes temporalités et régimes de visibilité muséologiques, Timothy Morton et Cary Wolfe ont eux aussi abordé l’institution muséale d’après son rapport au passé. Dans une présentation déstructurée qui concluait le symposium de manière quelque peu navrante, ils ont notamment discuté de la dimension performative du passé en affirmant qu’on ne sait jamais comment il évoluera et qu’au sein du musée, il n’est pas terminé (« the past is not over yet »). La question d’une domestication de l’espace a été soulevée au cours de la discussion, ce qui renvoie dans une certaine mesure aux pratiques de Walid Raad et Hito Steyerl. Dans ce contexte, on pourrait se demander ce que l’œuvre devient au sein de ces espaces muséologiques et, inversement, ce que ceux-ci deviennent en sa présence.

Pour plus de détails sur le symposium : http://www.walkerart.org/avant-museology

Article par Maude Johnson.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM