C’est en cette première belle fin de semaine de l’année 2018 que s’est tenue la Foire Papier, événement d’art contemporain devenu véritable fixture dans le paysage culturel montréalais, une occasion en or pour les amateurs d’art en tout genre de se familiariser avec des plus petits espaces de présentation, hors des sentiers battus par nos grandes institutions muséales.
Le premier constat qui s’impose quant à la onzième édition de Papier est l’importance que Papier a su acquérir en quelques années. Moyennant désormais un léger tarif d’entrée (10$ bien dépensés, promis), Papier présente des galeries provenant des quatre coins du pays, ce qui nous amène à nous demander si celle-ci ne risquerait pas bientôt de s’exporter en de nouveaux sols canadiens, permettant un véritable échange de tout ce qui se fait de mieux en art contemporain, de promouvoir un renouveau et un dynamise incessant en terme d’expositions de jeunes artistes en émergence.
Trêve de rêveries utopiques, la Foire innove cette année en présentant pas moins de neuf tables rondes, incluses dans le prix d’entrée, proposant toutes des sujets d’actualité, allant de l’art thérapie à la gestion des nouveaux médias en art. Trois tables ont cependant retenu mon attention : Le plafond de verre : La place des femmes dans l’art contemporain, Damage Control : Dealing with controversy in recent contemporary art et Indigenous Women in contemporary art. Ces trois titres ont en quelque sorte imposé un angle d’approche à ma visite. Suite au mouvement #metoo et aux révélations ayant ébranlé le milieu de l’art contemporain québécois, mon regard s’est porté sur des œuvres qui cherchaient à affronter non seulement la question de la place des femmes dans le domaine des arts visuels mais également la question du corps de la femme en tant qu’objet ayant dominé la tradition de la représentation en occident. En effet, comment ce corps qu’on a tant utilisé peut-il désormais être traité par de jeunes artistes en émergence? Trois artistes auront donc su retenir mon attention : Myriam Dorion avec « Miss Ottawa », « Skin Deep » de Chun Hua Catherine Dong et la série Minotaure d’Ambera Wellmann.
Myriam Dion : Miss Ottawa
Représentée par la Galerie Division, Myriam Dion présente une pièce de papier découpé intitulée « Miss Ottawa ». Évoquant à la fois la tradition japonaise du papier découpé et une riche parure faite de dentelle, la pièce est composée de la fiche descriptive d’une participante au concours de beauté Miss America 1961 découpée à l’exacto afin de l’intégrer à un motif complexe. Miss Ottawa semble procéder d’un double travail de réhabilitation. En effet, le matériau et la technique employés permettent de voir une volonté d’anoblir un médium souvent dénigré par l’histoire de l’art traditionnelle, à savoir la dentelle et la pratique du concours de beauté, événement souvent décrié par la critique féministe pour sa représentation d’un idéal féminin virtuellement inatteignable. Dion fait cependant dévier le regard du spectateur en lui refusant l’accès au corps de cette femme, ne lui présentant que des données élémentaires qu’il devra lui-même réunir dans une image mentale. Le corps de la femme semble être remplacé par le motif de dentelle, souvent connu sous l’appellation franchement négative d’ « ouvrage de dame », qui s’étend ici dans toute sa complexité, dans la finesse du travail de découpage et de coloration. Ici, deux pratiques souvent reléguées à la marge s’unissent dans un commentaire à portée politique. La dentelle étant le travail du vide et de l’interstice, le spectateur est invité à contempler ces interstices et à travailler de pair avec celles-ci afin de reconstituer le portrait de la femme évoquée.
Myriam Dion est représentée par la Galerie Division Montréal : http://www.galeriedivision.com/montreal/exhibitions
Chun Huan Catherine Dong : Skin Deep (série)
Deux photos de l’artiste de performance torontoise Chun Huan Catherine Dong sont présentées par la galerie Patrick Mikhail. Skin Deep est une série de photographies où l’artiste d’origine chinoise emploie de la brocarde chinoise traditionnelle afin de se recouvrir la tête, le visage à peine suggéré par les plis du tissu. Le tissu masque l’artiste telle une deuxième peau étouffante, substituant son visage par une faune et une flore de bleu sur blanc. La toile de fond étant parfaitement coordonnée au tissu qui sépare l’artiste du regard du spectateur, celle-ci semble disparaître dans un camouflage qui met à bas son identité, pousse le brouillage identitaire à un paroxysme où la personnalité, l’essence de l’artiste se voit limitée à son héritage culturel. Ici, le foulard est une métonymie, il est non seulement l’origine, il est également le trait primaire qui définit l’artiste au regard qui se contente de la surface des choses, une identité skin deep, dont elle ne peut se séparer, qui en vient à l’étouffer, à limiter l’étendu de sa production. Notons également que la posture de l’artiste, soit de face, le format carré de la photo nous rappelle ces photos hyper-standardisées qui ornent nos différents papiers d’identification, autre commentaire sur l’éternel retour auquel notre identité peut nous condamner. Et cependant, au sein de cette étendue de bleu et de blanc, la verticalité du cou nu de l’artiste brise l’homogénéité du motif pour ensuite mener à ses frêles épaules qui dépassent du cadre, incitant le spectateur à voir au-delà de l’image. Ce portrait voulu claustrophobe retrouve ainsi une dose d’humanité à l’aide de cette suggestion d’un corps, des épaules qui s’élèvent et s’affaissent avec chaque respiration.
Chun Huan Catherine Dong est représentée par la Galerie Patrick Mikhail : http://www.patrickmikhailgallery.com/
Ambera Wellmann : Minotaur (série)
De Calgary, la galerie Trépanier Baer propose une série de dessins au fusain d’Ambera Wellmann, originaire de la Nouvelle-Écosse. Baptisée Minotaur, la série se veut une subversion du cycle proposé par Picasso entre 1933 et 1937. Le minotaure, souvent associé par des penseurs tels que Georges Bataille à l’animalité inhérente à l’homme, se fait ici figure métonymique prenant la place de toute la tradition picturale occidentale ayant longtemps cantonnée le corps de la femme dans la position d’objet à être consommé par un regard éminemment masculin. La série de Wellmann a donc pour volonté de subvertir un monument de l’histoire de l’art moderne par la pratique de la subversion, pratique privilégiée par les artistes femmes depuis les années 1970. La sexualité étant un thème prisé par les artistes féministes puisqu’il s’agit là du lieu privilégié de l’oppression du corps féminin par une vision patriarcale dominante, hégémonique, la subversion féministe aura pour but de remettre en question ce regard qui est porté sur le corps de la femme. Si Dorion et Dong font disparaître ce corps sous la dentelle et autres étoffes, Wellmann le centralise et le représente dans toute son agentivité sexuelle. Si la femme de la série de Picasso est présentée comme passive, offerte, voire même endormie, la femme de Wellmann est éveillée et prend le dessus sur la sombre figure du minotaure. Dans une figuration qui se limite à un nuage noir couronné par deux formes évoquant des cornes, la femme emplit l’espace de la toile afin que ses désirs deviennent le sujet principal de la représentation. Les représentations diffuses, sensibles, des corps par Wellmann semblent d’ailleurs repousser la simple subversion féministe qui constituerait en la substitution du regard masculin pour un regard féminin en limitant la représentation sexuée du corps pour mettre à bas la binarité des genres et son emprise sur la tradition picturale occidentale.
Ambera Wellmann est représentée par la Trépanier Baer Gallery de Calgary: http://www.trepanierbaer.com/
Bien que la onzième édition de la Foire Papier se terminait le dimanche 22 avril, nous vous invitons à montrer votre support à ces galeries indépendantes qui contribuent au renouveau et au dynamisme de la scène artistique.
Article par Audrey Boutin.