La salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier sera l’hôte dès le 9 novembre prochain de la pièce de théâtre La Maison, une production du collectif Pirata Théâtre. Créée en étroit partenariat avec l’organisme montréalais Passages, cette œuvre originale est le fruit du travail de jeunes femmes en difficulté se servant du théâtre comme expression de leur identité. Rencontre avec l’investigatrice de cet audacieux projet, la comédienne Michelle Parent.
D’entrée de jeu, la jeune femme surprend par la maturité et la lucidité émanant de ses propos, laissant entrevoir une curiosité assumée. Cette ancienne élève de l’École supérieure de théâtre de l’UQAM nous confie que lors de sa sortie des bancs d’école en 2005, le milieu théâtral dans lequel elle baignait ne lui suffisait pas. « Je me questionnais sur l’hermétisme du monde des arts. Je me demandais comment aller chercher les gens que je ne connaissais pas. J’ai une grande curiosité du genre humain. J’avais envie de partager mes questionnements et conceptions d’artiste avec d’autres gens, hors du milieu théâtral. », explique-t-elle.

Michelle Parent, comédienne, metteure en scène et diplômée de l’École Supérieure de Théâtre de l’UQÀM
Dès lors, elle crée Pirata Théâtre, un collectif de comédiens et comédiennes à qui elle fait appel pour mettre sur pied les projets qui l’habite. «La raison d’être du collectif est de porter des voix que l’on entend jamais», précise-t-elle. Elle présente une première pièce de théâtre, intitulée ICI-BAS, en collaboration avec des personnes âgées d’un quartier défavorisé de Montréal. L’expérience s’avérant intéressante et enrichissante, elle poursuit plus loin son cheminement et décide d’offrir des ateliers de théâtre aux jeunes femmes en difficulté qui gravitent au centre d’hébergement montréalais Passages. Ces femmes, pour la plupart issues de la rue, piquent la curiosité de la jeune femme. «J’avais des préjugés romanesques sur les gens de la rue, je les percevais comme des révolutionnaires, des battants.», explique-t-elle. Ses préjugés sont rapidement confrontés. «En fait, ce sont des gens comme nous, avec les mêmes préoccupations.», ajoute-t-elle. Au fil des divers ateliers de trois heures, un lien émotionnel étroit se tisse entre la comédienne et « les filles » de Passages.
Dès les premiers ateliers, la comédienne entretient l’idée de créer une pièce de théâtre, qui serait adaptée par ces femmes. Par contre, elle désire partir d’un point extérieur, étranger au monde dans lequel elles vivent constamment. « Quand on est en difficulté, on a souvent tendance à dire sans cesse comment on a été écorché par la vie. Ces filles sont habituées à parler de leurs problèmes. J’avais le goût de les sortir de leur quotidien et du rôle dans lequel on les confine. », confie Michelle Parent.
Ce point extérieur, ce sera le roman Océan mer, de l’auteur italien Alessandro Baricco. On y relate les destins de sept personnages voyant la mer comme une réponse à leurs quêtes existentielles respectives. Ces destins s’entrelaceront alors qu’ils séjourneront tous à la pension Almayer, située sur le bord de la mer. «C’est un des livres que j’ai lu le plus souvent dans ma vie. Une des choses qui me frappe, c’est que ces gens attendent tous quelque chose de la mer, comme si la mer allait les sauver, alors que finalement, ce qui les sauve, c’est la réunion de tous ces êtres ensembles. C’est par les rapports humains, qu’ils ne cherchent pas nécessairement en premier lieu, qu’ils sont sauvés.», relate la comédienne.
Au fil des ateliers, Michelle Parent présente des extraits du roman aux jeunes femmes, qui sont appelées à commenter, à créer des improvisations et à éliminer des parties du roman. Elles se réapproprient à leur façon le livre, selon leurs vécus personnels et leur vision bien particulière de la vie. «La pension Almayer me faisait penser à la maison Passages, où les gens, comme dans le roman, viennent «prendre congé d’eux-mêmes». J’ai raconté aux filles ce qu’était la pension, et elles-mêmes, elles ont fait le lien avec leur maison, la maison Passages.», précise-t-elle.
Michelle Parent confie que « définir » la mer fut une étape plus ardue dans la démarche. La comédienne explique que la mer est un personnage à part entière dans le roman de Baricco, et contient en elle une grande charge poétique, voire mystique. La mer vient chercher de multiples émotions chez le lecteur d’Océan mer. «Lorsque je demandais aux filles de me montrer leur définition de la mer, leur vision était toute autre. Elles me montraient des images de bikinis, de pina coladas. Elles ont pété leurs coches, parce que pour la plupart, elles n’avaient jamais réellement vu la mer, faute de moyens. Leur seule vision était celle véhiculée par les revues», souligne-t-elle. Michelle Parent s’est donc adaptée : « On a viré l’histoire à l’envers en conservant les quêtes des personnages, mais en considérant que ces personnages n’ont pas accès à la mer. Donc, notre pièce se déroule dans un appartement, où on a tenté de transporter l’immensité de la mer», explique-t-elle.
Michelle Parent confie que ce projet a des impacts considérables dans la vie de ces femmes en difficulté. «Je sens qu’elles apprennent à prendre soin d’elles. Elles prennent les moyens d’aller jusqu’au bout, d’être là pour la présentation finale. Cela implique qu’elles mettent de l’effort pour savoir où elles dormiront chaque soir et pour aller consulter le médecin lorsque c’est nécessaire.», confie-t-elle non sans une certaine fierté dans la voix.
Lors des représentations, elle souhaite que le public se sente inclus dans le processus de création et qu’il aborde la pièce avec un second degré de compréhension. «Je sais que de mettre des femmes en difficulté de l’avant dans une pièce de théâtre, ça fait événementiel. Si on pouvait dépasser cela, pour plutôt se laisser raconter une histoire, je serais vraiment satisfaite.», termine Michelle Parent.
La Maison, une production du collectif Pirata Théâtre, en partenariat avec l’organisme Passages.
À l’affiche du 9 au 12 novembre 2011 prochain, à la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier.
Article par Félix Delage-Laurin.