Monday

17-03-2025 Vol 19

Quand les animaux parlent

par Frédéricke Chong

Le 25 mars dernier, au moment où avait lieu le lancement de l’édition numéro deux de l’Artichaut, était également dévoilée la thématique de la prochaine parution : « La vie sauvage ». Étrangement, depuis cette nouvelle, tout le Montréal culturel semble prendre des allures bestiales, inapprivoisées et animales. La venue du printemps est-elle responsable? Aucune idée. Quoi qu’il en soit, la pièce Transmissions de la compagnie Qui va là, présentée Aux Écuries jusqu’au 16 avril prochain, fait partie de ces déviations urbaines curieusement intéressantes.

Transmissions est l’une de ces pièces où les mots servent de poumons à l’œuvre et où l’auteur tient le rôle de chef d’orchestre. En effet, écrit et mis en scène par Justin Laramée, le spectacle s’inscrit comme le résultat d’une longue démarche artistique amorcée il y a plus de cinq ans. Lauréat du prix Gratien-Gélinas en 2008 pour la qualité de son texte, l’auteur s’est entouré d’excellents acteurs tels que François Bernier, Monia Chokri, Maxime Denommée, Émilie Gilbert, Roger Léger et Danielle Proulx.

Dans un chalet perdu au fond de la forêt, la famille Beauchemin se retrouve pour fêter les six mois d’Alphonse, plus jeune membre de la famille. Trois générations se réunissent : les parents, leurs trois enfants maintenant adultes et le nouveau-né, symbole clef du récit. En enfouissant un placenta sous un arbre, la famille espère contribuer symboliquement à la croissance de cet enfant, mais aussi à celle de cette terre qu’ils s’apprêtent à quitter, le chalet ayant été vendu à des anglais. Toutefois, coup de théâtre, une chienne se fait frapper par la voiture familiale, brisant leur seul moyen de transport et rendant la famille prisonnière des bois, forcée d’y déterrer le passé. Le plateau scénique, d’une beauté insolite, entièrement parsemé de terre d’où émerge un arbre dénudé de ses feuilles, laisse deviner au loin les vestiges d’une grande étendue boisée. De cette forêt, on  déterre des os comme on déterre les malheurs, puis l’on enfouit des corps pour éviter la réalité.

Cette histoire de famille, qui se présente de façon assez traditionnelle, dévoile pourtant une facette sombre, lugubre, pleine de sang, d’os et de viscères. L’une des grandes forces de l’auteur réside dans ce jeu d’extrêmes entre l’odeur de la cannelle et celui du sang chaud. Jouant avec les limites du rire et du dégoût, il transporte le spectateur dans un monde éminemment fantastique. Une chienne et une oie reviennent à la vie pour livrer des messages aux humains tandis qu’Alphonse fume un joint avec son père. De simples marionnettes se transforment et, dans cet univers coupé du temps, tout apparaît imaginable. La théâtralité peu à peu s’assume, prend tout son sens, et ouvre l’univers des possibles. La pièce va alors beaucoup plus loin que la simple question de legs familiaux et s’interroge sur la vie, la mort, l’amour et les communications entre hommes et femmes, pour ne nommer que cela.

Malheureusement, tous ces questionnements — soulignés à outrance par le foisonnement des symboles — alourdissent énormément le récit. Enfin, la qualité du jeu des acteurs se maintient au lieu de nous stupéfier, si bien que le jeu à lui seul n’arrive pas à faire s’envoler l’histoire de Laramée. Il reste que la pièce demeure chargée de beaux moments, d’un humour tendre et d’animaux qui parlent.

Article par Frédéricke Chong.

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM