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p style= »text-align: justify; »>La Ligue Nationale d’Improvisation fait parler d’elle par sa campagne de financement Sauvons la LNI et son nouveau spectacle présenté à l’Espace Libre. La formule La LNI s’attaque aux classiques, dont j’ai vu cinq représentations, fait cependant apparaître de nécessaires questionnements pour le futur de la LNI.
Résumons rapidement : l’animation et la dramaturgie étaient assurés par Alexandre Cadieux (professeur à l’École Supérieure de Théâtre de l’UQAM, critique théâtral au journal Le Devoir et ancien arbitre de la L.N.I.) et François-Étienne Paré (joueur marquant de la L.N.I ayant remporté de nombreux prix et ex-animateur de La Revanche des NerdZ). Animateurs et acteurs devaient travailler en lien avec un thème différent chaque soir. La première heure du spectacle, partie plus didactique, présentait le thème de la soirée à l’aide d’une brève mise en contexte. Les animateurs y présentent les principales caractéristiques du thème de la soirée et des exercices, pour construire des repères entre le public et les comédiens. Des personnages, des lieux, des époques et des situations qui devaient coller avec le thème exploré durant la soirée sont créés. Les trois comédiens qui se prêtent au jeu sont Anne-Élisabeth Bossé, Salomé Corbo et Réal Bossé, trois improvisateurs solides qui ont du métier. Ils ont abordé un thème différent à chaque représentation, soit: la tragédie grecque, William Shakespeare, Molière, Anton Tchekhov, Bertolt Brecht, Michel Tremblay, le théâtre de l’absurde et le théâtre romantique. Après la première heure d’exploration et une pause de dix minutes, suit une improvisation « à la manière de» d’une durée de trente minutes. La formule fonctionne à merveille. Les improvisateurs se sont mis en danger chaque soir, et même s’ils ont parfois échappé des anachronismes comiques et dérapé sur des décrochages contrôlés, le résultat est respectable, enviable et impressionnant.
![Début octobre avait lieu la première répétition de la production de la LNI. Répétition un peu particulière puisque les comédiens ont été remplacés par les membres de l’équipe d’improvisation le Monosourcil. François-Étienne Paré et Alexandre Cadieux, les “animateurs” de la soirée, préfèrent expérimenter le spectacle avec ces étudiants pour garder toute la fraîcheur de l’improvisation avec les comédiens officiels le soir des représentations. [source : site de l'Espace libre]](http://artichautmag.com/wp-content/uploads/2016/01/photos_repetition_ocotbre2015-630x456.jpg)
François-Étienne Paré et Alexandre Cadieux, les “animateurs” de la soirée, préfèrent expérimenter le spectacle avec le Monosourcil pour garder toute la fraîcheur de l’improvisation avec les comédiens officiels le soir des représentations. [source : site de l’Espace libre]
Ceci dit, je ne peux m’empêcher de questionner ici non pas la forme de ce spectacle, mais la pertinence de ce type d’expérimentation au sein de la L.N.I. elle-même. Pourquoi tenter cette formule ? A-t-on véritablement besoin de vulgariser l’improvisation ? À quel point les matchs d’improvisation de la LNI font-ils partie, à présent, de la culture marchande et d’une industrie du spectacle plus télévisuelle ? Est-ce qu’on cherche par ce type de spectacles d’exception à se débarrasser des mécanismes et des automatismes ? Comment se fait-il que la formule LNI Classique fasse mouche ? Une heure d’atelier plus une demi-heure de spectacle, ça marche tellement. Ça m’intrigue. À quel point l’improvisation au théâtre, comme vecteur de mise en danger et de création d’une certaine magie, unique, est-elle aujourd’hui négligée? Ce sentiment d’impermanence donne pourtant à chaque représentation une vitalité nouvelle : elle crée une mise en danger inévitable. Le tout rappelle le spectacle Table Rase, aussi présenté à l’Espace Libre récemment, où une partie du spectacle était improvisée. C’était fort, ça se sentait, ça créait une tension entre le public et le spectacle ; pourtant, les spectateurs ne pouvaient déceler l’improvisation et la discerner avant qu’on ne le leur dise. La formule tentée par la LNI, une fois expliquée, fonctionne. Je vois mal en quoi elle ne pourrait pas s’inscrire pas dans une exploration plus large, c’est-à-dire, l’exploration des impacts de l’improvisation sur le médium théâtral.
La LNI, dans ses fondements, a été créée par des artisans de théâtre qui étaient capables de concocter une improvisation «à la manière de» sans tomber dans le pastiche ou la caricature grossière. Pourquoi ? Parce que c’était des artisans chevronnés formés, justement ! aux classiques. Fait révélateur : le spectacle La LNI s’attaque aux classiques était justement porté par trois improvisateurs aptes à donner un spectacle théâtral de qualité. On imagine mal Laurent Paquin ou Patrick Huard (tous deux joueurs de la LNI cette année) debout à leur place. À quel point les acteurs de formation théâtrale ont-ils été remplacés par des humoristes ou des clowns aptes à placer un bon gag, celui qui fera rire la populace ? Le risque est pourtant réel. Il consiste à voir la discipline de l’improvisation abandonner toute rigueur au profit de sa popularité. La polyvalence ne devrait-elle pas être pourtant un critère d’entrée dans la ligue ? Considérant que la LNI est une organisation axée sur l’exploration dramatique à travers l’improvisation théâtrale, l’humour ne devrait pas, selon moi, y occulter le théâtre et le jeu. L’impro est plus que jamais vivante, ailleurs au Québec. La question demeure de savoir comment la Ligue nationale d’improvisation peut, elle, avoir autant de misère à boucler ses fins de mois. Ses artisans sont-ils trop vieux? Comme toute vieille institution, est-il temps d’y insérer une nouvelle base, plus jeune? La LNI cherche-t-elle à renouveler son public? Si oui, cible-t-elle le bon public ? La réponse ne se situe pas simplement du côté des coupures dans le financement gouvernemental. Il y a plus.
La LNI pour se sauver ne doit-elle pas se réinventer ? Je crois qu’elle est déjà en crise identitaire. Entre les vieux de la vieille, ces spectateurs qui ont un abonnement depuis 15 ans, et les plus jeunes qui vont dans les bars voir de l’impro risquée, le spectre d’auditoire est large. La LNI ne doit-elle pas former plus de recrues et redevenir une usine de recherche et de création, plutôt qu’une usine de chair à saucisses pour le Club Soda ?
Dans la cité et dans l’art, l’improvisation est NÉCESSAIRE. Néanmoins, elle se doit d’être faite avec cœur, et avec le désir de se renouveler chaque soir. La marginalisation de l’improvisation de qualité au sein même de la LNI est un choc qui pourrait bien ébranler les colonnes du temple. Le risque est ici d’accoucher, ailleurs que dans la LNI Classique, d’une improvisation théâtrale prémâchée, scriptée et articulés par des ressorts usés, créant soir après soir les mêmes produits avec les mêmes visages connus. La télévision le fait déjà, et à moindre coût.
—— Le spectacle La LNI s’attaque aux classiques était présenté du 10 au 18 décembre à l’Espace Libre. La saison régulière de la LNI au Club Soda débute le 8 février prochain.
Article par Steave Ruel. Étudiant en Études Théâtrales, j’aime ce qui est acerbe, irrévérencieux, satirique, ironique, sarcastique et cathartique. Tout ça pis manger.