Rafaële Germain se livre à nous de façon si sincère dans son nouveau roman Forteresses et autres refuges. Loin du style de sa trilogie de chick lit, l’autrice s’intéresse encore une fois à la mémoire, aux souvenirs et à l’oubli. Comment ne pas se pencher sur le sujet alors que ses deux parents sont décédés de maladies cérébrales ? Germain a relevé le défi, lancé par Québec Amérique, de raconter trois souvenirs, pour la collection « III », qui a aussi abrité les textes de Simon Boulerice, de Léa Clermont-Dion et de plusieurs autres. Ces récits très personnels sont introduits par un pacte autofictionnel en début de roman, qui invite le·la lecteur·rice à croire fidèlement aux évènements racontés. Ou non. C’est à la discrétion de chacun·e. Sur un ton humoristique, humain et sensible, l’autrice aborde la question de l’héritage des souvenirs, avec un penchant parfois psychanalytique et même neuropsychologique. Sans verser dans la théorie barbante, Germain s’interroge sur le legs de ses parents et, par le fait même, sur celui qu’elle laissera à sa progéniture. Les enfants des années 70 et 80 apprécieront sans aucun doute ce roman qui regorge de références culturelles, aussi populaires que nichées, de l’époque de la modernité québécoise.
En introduction, dans une section intitulée « Les orphelins », l’autrice insiste sur le dédain sociétal de même que familial vis-à-vis de la vieillesse et la maladie. Ses parents, comme la plupart des gens, ont refusé de voir la mort en face. Elle pense toutefois qu’il faut reconnaître la perte de ses capacités physiques et psychologiques pour l’empêcher de s’aggraver. Elle constate avec sagesse que ni le bonheur ni l’argent ne nous mettent à l’abri de la maladie et que ce sont souvent les gens les plus déterminés qui se font couper l’herbe sous le pied. Ayant toujours eu une relation très privilégiée avec ses parents, elle relate l’étape difficile qu’a représentée leur départ en CHSLD. Elle se rappelle devoir trier les innombrables objets appartenant à sa mère, de photographies prises sur le vif jusqu’au paquet d’allumettes ramené d’un voyage à Sao Paulo. Que veut-on garder, que doit-on garder ? Quoi faire, après notre départ, des objets qui ont marqué notre vie ? Les orphelins sont ces objets qu’on laisse derrière nous, qui ne se qualifieront pas pour le passage de génération en génération.
Dans le premier souvenir, Rafaële Germain accorde une rare importance aux récits qui nous sont racontés ; ces souvenirs de seconde main qui représentent un legs parmi tant d’autres dans le roman. Elle décortique le processus mental qui s’opère lorsqu’on nous raconte un souvenir, le droit avec lequel on se permet d’adopter le récit d’autrui. On arrive toujours in media res dans le souvenir de l’autre, il y a un cadre qui nous échappe, un avant-après inaccessible. Dans ce souvenir, on retrouve la mère de l’autrice et un drame familial que celle-ci a vécu lors de son enfance. Germain se questionne sur le rapport entre l’évènement réel et l’évènement raconté, à la suite d’un séjour dans le terreau fertile de la mémoire.
Dans le second souvenir, intitulé « Noire-Suie », la romancière se penche sur un conte improvisé de son enfance. Ce souvenir est important pour elle, qui s’est toujours intéressée davantage aux mots qu’aux faits. Elle explique aussi pourquoi c’est parfois le désert dans notre tête lorsqu’on nous demande de parler de notre enfance. Elle raconte la sienne par bribes, en bifurquant parfois sur la mémoire de ses parents en tant que jeune couple. L’autrice retrace avec affection le chemin jusqu’à cette petite fille à l’air bête, insouciante et indifférente, qu’elle était.
Dans son dernier souvenir, Rafaële Germain se penche sur les derniers moments de la vie de sa mère. En une quarantaine de pages, elle nous raconte comment elle a vécu la chute de celle qui faisait figure de roc immuable. Elle témoigne des difficultés de communication entre elles, des montagnes russes d’émotions vécues par cette femme qui restera bien malgré elle impatiente et exigeante jusqu’à la fin. Elle était ce qu’on pourrait affectueusement qualifier de « Germaine », dans la famille Germain. Sa mère refusera d’être passive, malgré son manque de lucidité dû à la maladie d’Alzheimer. L’autrice écrit aussi sur la façon dont chacun traite des souvenirs. Est-ce qu’il est préférable de rester dans ses souvenirs ou de s’en évader dans l’espoir de trouver mieux ? L’autrice reconnaît sa propre tendance à fuir. Elle raconte de façon poétique et touchante le moment où elle a dû s’amarrer pour se reconstruire à la suite de plusieurs années d’une vie typhon. Rafaële Germain finit ce roman en imaginant sa propre mort, son dernier moment. Elle se donne le droit de le choisir, de l’imaginer. Elle se met vulnérable, en face de ce passage terrifiant, mais magnifique. Parce qu’après tout, mourir c’est à la fois partir et rester.
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Germain, Rafaële. Forteresses et autres refuges, Montréal, Québec Amérique, coll. « III », 2023, 128p.
Article rédigé par Mérédithe Naud