Présentée sous diverses formes, la poésie est un véritable art du langage. Ce genre littéraire peut être moulé à la guise de l’auteur·rice, donnant lieu à des textes à la fois crus, recherchés, militants qui prennent des formes fixes ou libres. La liberté qui la foisonne permet aux auteur·rice·s de créer différents effets de lecture et ainsi évoquer une variété d’émotions chez les lecteur·rice·s. De ce fait, la poésie nous permet de rêver, de rire, d’être complètement bouleversé·e·s. Elle nous entraine dans des replis cachés de nous-mêmes, nous enquiert de pousser notre réflexion sur divers sujets.
À l’approche du Festival de la poésie de Montréal, qui prend part du 26 mai au 2 juin, l’Artichaut vous propose cinq œuvres poétiques récentes qui vous permettront de (re)découvrir la poésie dans toute sa splendeur.
La liste de mes jointures d’Évelyne Ménard
« mon regard sur la table basse / veux-tu des chips sel et vinaigre / promis / ça ne brûle pas // ma main répond / en faisant le tour de mon poignet / non j’ai déjà soupé // pourvu que / le pouce et l’annulaire se touchent[1] »
Publié chez les Poètes de brousse, le recueil de poésie d’Évelyne Ménard est poignant. Dès les premières pages, l’autrice nous balance dans la violence d’un monde où il est difficile de trouver sa place. Ayant vécu aux côtés de sa jumelle dépressive, la protagoniste sent qu’elle n’a pas la liberté pour souffrir. Elle tente donc de s’effacer. La crainte excessive de prendre trop de place lui fait développer un trouble alimentaire. Elle exècre tout de ce corps qui la hante. L’autrice soulève plusieurs conséquences qui accompagnent le trouble d’anorexie : la perte des menstruations, l’apparition d’acouphènes, les chutes de pression à répétition. Le recueil illustre le cercle vicieux de ce trouble et le défi immense de s’en sortir.
Une lecture percutante d’une grande importance dans un monde où les troubles alimentaires se font de plus en plus nombreux.
Peau manifeste de Jonathan Lamy
« bourgeon de résistance / le corps avec lui-même // se reconstruit et se raconte[2] »
Peau manifeste, publié chez Noroît, proclame la force inouïe du corps. Dans le recueil poétique de Jonathan Lamy, le corps baigne dans le langage. L’auteur montre ainsi ses multiples fonctionnalités, sa puissance. Le mouvement, aussi infime soit-il, permet de lire les gens, d’entrevoir leurs émotions. Le corps renferme également l’histoire, celle de ce qu’il a subit et celle de l’humanité. L’auteur attire notre attention sur l’histoire, souvent effacée, qui entoure les peintures de nu féminin, ces corps qui n’ont pas de nom. La nudité est, selon lui, une forme de manifestation, la peau étant plus puissance que les mots. Nous nous questionnons ainsi sur l’omniprésence de la censure, sur sa raison d’être alors que tout passe par la chair.
Une œuvre qui engage notre réflexion entre les liens qui unissent le corps et le monde.
Si nous restons têtus de Brigitte Léveillé
« nous alimenterons le feu / écouterons la pluie taper contre le toit de tôle / ne ressasserai nos vieilles histoires / en ferai des conserves pour les jours moroses[3] » – p. 24
« fendre le bois fendre / mon impatience / entassée cordée serrée tout entière / à brûler[4] » – p. 59
La poésie de Brigitte Léveillé nous raconte un récit. Dans ce recueil publié aux Éditions du Quartz, l’autrice nous fait part d’un projet de construction collective. Nous allons donc à la rencontre de quatre amis qui planifient habiter ensemble. Ceux-ci dialoguent entre eux et laissent entendre leurs objectifs et projets communs. Les lecteur·rice·s assistent à diverses tentatives de trouver un terrain où les amis pourront s’installer ensemble, à l’énumération des désirs de chacun et aux nombreux obstacles qui se met en leur chemin. Plusieurs éléments s’enchevêtrent dans ce recueil : les champs lexicaux de l’amitié et de la construction, les dialogues et les vers, les illustrations et les fragments poétiques. Cela donne à l’œuvre un ton authentique. Devant ces amis qui persistent même si leurs plans tombent continuellement à l’eau, l’importance n’est pas le lieu, mais la manière de l’habiter.
C’est une ode à l’amitié et à la persévérance pour atteindre ses objectifs.
La saison du lion d’Ariane Beaudry
« mon chum me dit de mettre de l’arnica / quand je me fais mal / faudrait que je m’en fasse des cocktails / ou des mocktails au pire / pour mes ecchymoses intérieures[5]»
Dès les premières pages du recueil, Ariane Beaudry lui donne un ton familier. Les lecteur·rice·s sont dès lors invité·e·s à entrer dans son univers par l’entremise d’une playlist mise à leur disposition. Il est donc possible de complètement s’immerger dans l’ambiance du recueil. Tout au long de notre lecture, nous avons l’impression de discuter avec une chum de fille. À plus d’une reprise, l’autrice nous plonge dans une tornade de pensées qui tourbillonne à toute allure, des questionnements étourdissants dans lesquels il est facile de se reconnaitre. L’autrice soulève dans ses vers une multitude d’enjeux contemporains, tels que notre rapport à l’environnement, la manière d’élever un enfant et la surconsommation. Parsemé de franglais, de throwbacks et d’humour, le recueil fait briller la femme moderne.
Tous·tes ceux et celles intrigué·e·s par l’astrologie seront certainement charmé·e·s par ce petit recueil qui met les lions (23 juillet au 22 août) à l’honneur.
Les étoiles se sont rapprochées de Mylène Bouchard
« sois // tiens / plus fort que la fuite / avec la branche / désamorce ton piège / sauve-toi de toi-même[6] »
Les étoiles se sont rapprochées de Mylène Bouchard est publié aux éditions Mémoire d’encrier. Il s’agit d’un recueil à lire comme une lettre à nous-mêmes, une lettre qui nous incite à ressentir grandit des disparitions qui font irruption dans nos vies. L’autrice analyse les fins et nous enseigne à les surmonter plutôt que de vivre dans la peur qu’elles se produisent. Le recueil met en lumière les nombreux deuils que nous traverserons tôt ou tard : les pertes, les disparitions, les séparations. L’amalgame entre les fragments poétiques et l’épistolaire nous entraine dans un tourbillon de désillusion et nous encourage de profiter pleinement de tout ce que nous apprécions.
Ce recueil doux-amer illustre que l’écriture peut tisser et maintenir des liens, même lorsqu’ils s’effacent.
[1] Évelyne Ménard, La liste de mes jointures, Montréal, Poètes de brousse, 2024, p. 50.
[2] Jonathan Lamy, Peau manifeste, Montréal, Noroît, 2024, p. 24.
[3] Brigitte Léveillé, Si nous restons têtus, Rouyn-Noranda, Quartz, 2024, p. 24.
[4] Ibid., p. 59.
[5] Ariane Beaudry, La saison du lion, Montréal, Hurlantes, Coll. « Poésies », 2024, p. 10.
[6] Mylène Bouchard, Les étoiles se sont rapprochées, Montréal, Mémoire d’encrier, Coll. « Poésie », 2024, p. 17.
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Beaudry, Ariane, La saison du lion, Montréal, Hurlantes, Coll. « Poésies », 2024, 64p.
Bouchard, Mylène, Les étoiles se sont rapprochées, Montréal, Mémoire d’encrier, Coll. « Poésie », 2024, 208p.
Lamy, Jonathan, Peau manifeste, Montréal, Noroît, 2024, 100p.
Léveillé, Brigitte, Si nous restons têtus, Rouyn-Noranda, Quartz, 2024, 144p.
Ménard, Évelyne, La liste de mes jointures, Montréal, Poètes de brousse, 2024, 114p.