Née d’une commande de Katya Montaignac, la rencontre intergénérationnelle entre le jeune chorégraphe Nicolas Cantin et la danseuse Michèle Febvre se voulait exploratoire. D’une simplicité remarquable, CHEESE laisse toute la place à la parole de la danseuse septuagénaire.
Sur scène, alors qu’elle se livre à un collage de ses souvenirs d’enfance, il est assis à la table où il coordonne la musique et les enregistrements de leurs premiers échanges. Si la voix hors champ de Michèle Febvre raconte sa vie morceau par morceau, son corps témoigne doucement de ses souvenirs saccadés par le montage. On s’émeut. La magie opère, puis le chorégraphe se permet un aller-retour au centre de la pièce pour replacer le décor. L’interruption a choqué mon état d’hypnose – j’apprendrai plus tard le possible lien avec le cinéma de Jean-Luc Godard, duquel Nicolas Cantin emprunte l’effet de distanciation.
Avec très peu de mouvements, la danseuse qui a connu la gloire en sol québécois au cours des années 1970 et 1980 partage un moment intime avec le public. D’un regard chargé d’émotions, elle observe longuement les spectateurs entassés à l’Usine C. Les bribes d’entrevue avec Nicolas Cantin mêlées aux confidences en direct nous révèlent la femme plus que l’interprète. «Je suis née pendant la guerre, dit-elle. C’est mon grand-père qui m’a appris à danser.»
Davantage intéressé par l’hybridation que par la danse seule, le créateur a mis en place une série de rares déplacements, d’extraits musicaux et a mêlé les dialogues subtilement. Ce n’est pas du théâtre, puisqu’il n’y a aucun espace d’interaction avec le public, explique Nicolas Cantin. «C’est du bricolage», lance-t-il nonchalamment, après le spectacle.
Entre les anecdotes, la place laissée à l’attente découpe le récit. La ligne du temps s’en trouve déconstruite et le personnage qui émane de la mémoire prédomine, à la fois pour la danseuse et pour la salle. La chorégraphie tient plutôt dans les détails du message, la répétition de ses souvenirs lointains et les gestes qui ponctuent ses confidences. Michèle Febvre remplit le sentiment d’attente du public de ses regards et de son intensité. Beaucoup de silences et d’immobilité la gardent lointaine, comme une photo que l’on regarde alors qu’elle tourne elle-même les pages de son album de jeunesse.
Il y a le mot CHEESE, puis cet instant critique qui dure une fraction de seconde où l’on se dit: «Quand est-ce que ça flashe?». En première rangée, devant Michèle Febvre, j’avoue avoir attendu le moment où son corps se serait emporté dans la musique, où les paroles seraient devenues gestes. L’interprète m’a appris qu’on pouvait danser tout en restant immobile et animé d’une présence unique.
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CHEESE de Nicolas Cantin était présentée du 27 au 30 novembre 2013 à l’Usine C. M.E.S. Katya Montaignac.
Article par Catherine Paquette.