Avec les remous actuels concernant la lutte pour l’accessibilité à l’éducation, on remet sur la table non seulement les débats engendrés il y a quelques décennies sur l’éducation au Québec, mais aussi sur un autre point, tout aussi fondamental que l’accès à l’éducation : le lien que la société entretient avec elle. On nous présente les études universitaires comme un « investissement rentable », quelque chose qui va nous permettre de faire plus d’argent que d’être gérant chez McDonald’s et qu’ainsi, par le fait même, s’endetter pour le faire ne devrait pas être un problème.
En promouvant cette forme d’endettement, le gouvernement dévie le but premier des universités : former des citoyens. Elle dévie cette finalité au profit de l’apparition et de l’exploitation d’une nouvelle strate de consommateurs : la clientèle universitaire. Exit les citoyens, des gens munis d’une conscience sociale, capables de porter un regard critique sur le monde pour pouvoir, autant que possible, le corriger et le rendre meilleur. Maintenant plus que jamais, alors qu’au siècle des lumières on jugeait la qualité d’un homme par sa capacité à faire valoir son esprit, on encourage la médiocrité crasse du travail pour l’argent, de l’effort vide de sens; apparaît un nouveau prolétariat, celui de la prostitution intellectuelle, qui remplace celle de la force manuelle.
Combien de fois les étudiants en sciences humaines et en arts se font poser la question classique « mais que comptes-tu faire avec cela plus tard? », et que peu importe ce qu’ils répondent, tout ce qu’ils obtiennent est un soupir de découragement, poussé, bien souvent, par des gens qui eux aussi avaient des rêves d’égalité et de justice, jadis, mais qui, pour obtenir une reconnaissance sociale au sein de leur entourage de bien nantis, ont mis de côté qui ils étaient pour quelque chose de stable.
Souvent on reproche aux étudiants en arts d’être des vampires de l’économie, de gaspiller l’argent des contribuables dans quelque chose qui ne rapporte pas assez et qui, par extrapolation, ne devrait pas exister. « Si tu ne fais pas d’argent avec ton art, c’est sans doute parce que tu n’as pas de talent »… Je voudrais bien voir ces gens dire cela à Pierre Falardeau, Honoré de Balzac ou encore Eugène Delacroix – encore faut-il les connaître, connaître leurs œuvres.

Je ne pense pas parler à travers mon chapeau lorsque j’affirme que l’art est omniprésent dans la vie de tout être humain et qu’il contribue à créer l’identité de tout un chacun. Peu importe quelle profession on occupe, il y a quelque part une forme d’art qui saura nous émouvoir et nous rejoindre. Personne ne peut avoir le culot de dire qu’au cours de sa vie, il n’aura aimé aucun film, aucune image dans un conte pour enfant, aucune chanson, aucun livre. L’art doit exister parce qu’il est fondamental à l’existence, parce qu’il permet à une société de se démarquer et de perdurer à travers le temps, après l’effondrement des ponts et après les gouvernements. Sa rentabilité ne se calcule pas en revenus, mais en influence. Il est ce qui différencie l’homme des autres espèces. Il est nécessaire et là pour durer, et ni les coupes budgétaires ni les jugements de valeurs portés par les supposés « bien pensants » ne sauront le faire taire. Alors plutôt que de juger bassement ceux qui l’étudient, il nous faudrait davantage les encourager : ils seront les défenseurs des identités culturelles de demain. De cette mince culture qui persiste hors du consumérisme généralisé.
Article par Sophie Horth.