Le pari ambitieux de La Société des Formes

Avec La Société des Formes, le collectif Global Club (Aurélie Vandewynckele, Julia Borderie, John Boyle-Singfield, Lara Vallance) et l’artiste Léa…
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Avec La Société des Formes, le collectif Global Club (Aurélie Vandewynckele, Julia Borderie, John Boyle-Singfield, Lara Vallance) et l’artiste Léa Furnion font le pari ambitieux de formuler une critique à l’endroit des établissements d’enseignement des arts visuels.

C’est à même un organe de l’UQAM que les cinq artistes ont choisi de formuler cette critique, en présentant leur exposition au Centre de diffusion et d’expérimentation CDEx. Les oeuvres, toutes collectives, non signées et privées de cartel, traitent de l’école des arts visuels sous trois de ses alias: l’école d’art comme utopie, l’école d’art comme entreprise et l’école d’art comme productrice de tendances.

Crédits photographiques: Aurélie Vandewynckele
Vue de l’exposition
Crédits photographiques: Aurélie Vandewynckele

Avant même d’entrer dans l’espace, à travers les pans vitrés séparant le CDEx du reste de l’UQAM, on peut déjà apercevoir deux oeuvres vidéo, dont l’une a également servi de « bande-annonce » de l’exposition sur les réseaux sociaux. Présentées sur des télévisions positionnées à l’intérieur d’alcôves dans la galerie mais faisant face à l’extérieur, les deux oeuvres sont créées à partir de gabarits vidéo à l’esthétique des plus génériques, destinés à un usage promotionnel. Dans Sans titre (trailer) (2014) ont été insérées des séries de mots provenant des sites web de différentes institutions d’enseignement de l’art. On peut y lire, entre autre, « contemporain », « sophistiqué » ou « convivial ». Autant de mots qui, arrachés à leur contexte d’origine, semblent aussi appropriés pour qualifier une école d’arts visuels que pour faire le branding de n’importe quelle entreprise. Les séquences musicales qui accompagnent les vidéos achèvent de leur conférer une qualité enjôleuse et légèrement aliénante.

[youtube]RWDSofju158[/youtube] Sans titre (trailer), vidéo, 0:25, 2014

Crédits photographiques: Aurélie Vandewynckele
Social network, vidéo, 2:11, 2014
Crédits photographiques: Aurélie Vandewynckele

Créées dans une optique semblable, les vidéos projetées (Social network (2014) et Journal des tendances (2014)) sur le mur du fond sont également fabriquées à l’aide d’un gabarit vidéo commercial. Cette fois-ci, ce sont des images de productions artistiques étudiantes qui y sont insérées. Elles aussi sont glanées sur des sites web d’institutions d’enseignement des arts et constituent un échantillon des tendances actuelles de la production étudiante.

Mettant en tension la conception utopique de l’école d’art et la réalité des établissements d’enseignement, soumis aux impératifs économiques comme tout le reste, ces oeuvres interrogent la façon dont ces instances construisent leur propre identité  leur image de marque, en quelque sorte.

Couplées au titre de l’exposition, les oeuvres vidéo prennent tout leur sens: en comparant ouvertement l’école d’art à l’entreprise (ou « société »), elles critiquent et questionnent l’inflexion économique ou politique des écoles d’art, ainsi que leur rôle de « sociétés des formes », c’est-à-dire la responsabilité qui leur incombe de régir, en quelque sorte, les tendances de la relève.

Crédits photographiques: Aurélie Vandewynckele
Utopia, édition imprimée, 60 p, 2014
Crédits photographiques: Aurélie Vandewynckele

Utopia, une boîte d’oeuvres sur papier disposée sur un lutrin de conférencier en contreplaqué, présente plusieurs dessins réalisés avec des techniques mixtes (aquarelle, pastel sec, encre, stylo noir), puis numérisés et réimprimés. L’effet curieux qui en résulte est déconcertant pour les sens: on se demande s’il s’agit de dessins réalisés à la main ou à l’aide d’un logiciel. Les dessins, des abstractions formelles sur le thème de l’utopie, apparaissent a priori décalés par rapport au reste de l’exposition, qui évoque plutôt l’esthétique administrative de l’art conceptuel et de la critique institutionnelle que l’apparence soignée et colorée d’Utopia. Néanmoins, la juxtaposition du lutrin à ces dessins justifie leur présence: elle évoque une conférence imaginaire où l’orateur n’aurait comme texte que ces oeuvres sur papier. Une situation à l’intersection des mondes artistique et entrepreneurial qui décrit précisément la situation dans laquelle se trouvent les établissements d’enseignement des arts.

L’absence totale de contextualisation mine malheureusement l’efficacité des oeuvres: si l’impression qui se dégage des vidéos laisse vaguement présager la réflexion qui les sous-tend, ce n’est malheureusement pas le cas de la pièce sculpturale Sans titre qui occupe le centre de l’espace, ni d’Utopia (2014) ou de Produire sans but (2014) – pièces dont la signalétique inexistante ne permet d’ailleurs pas même d’apprendre les titres.

Conséquemment, l’exposition dans son ensemble manque de cohésion. Alors que le propos, globalement trop peu manifeste, n’arrive pas à créer la ligne directrice nécessaire, on se tourne vers la facture ou les médiums, mais ceux-ci ne sont pas conçus pour offrir la filiation recherchée.

Sans titre, impression sur acétate, 89 x 200 cm, 2014 (série de deux). Crédits photographiques: Aurélie Vandewynckele
Sans titre, impression sur acétate, 89 x 200 cm, 2014 (série de deux).
Crédits photographiques: Aurélie Vandewynckele

En discutant avec les artistes, on constate que chaque oeuvre explore un aspect précis de la question de l’école d’art.  Toutefois, certaines oeuvres semblent transmettre ces notions de manière inefficace. Les deux sculptures Sans titre (2014), qui trônent au centre de l’espace de la galerie, donnent à voir, par effet de transparence, la superposition d’images d’oeuvres étudiantes. Celles-ci, encore une fois recueillies sur les plateformes web d’institutions d’enseignement artistique, sont regroupées par récurrence: l’une des sculptures arbore des oeuvres explorant le thème de l’équilibre, alors que la seconde affiche des oeuvres faites de papier. Cependant, la transparence de l’acétate ne fait rien pour nous rendre ces faits évidents: seulement un examen exceptionnellement attentif ou une conversation avec les artistes peuvent nous faire réaliser que ces pièces se veulent un échantillon des tendances de l’art des étudiants.

Il me parait donc dommage que le groupe, muni d’un projet ambitieux et surtout pertinent, ne se soit pas donné les moyens de mieux communiquer l’étendue de sa réflexion. La Société des Formes n’est toutefois qu’un premier effort de mise au point sur la question de l’école d’arts visuels, et l’on m’a assuré, lors de ma visite de l’exposition,  qu’il s’agissait d’une avenue qui serait empruntée à nouveau (sous des formes encore à déterminer). Je demeure enthousiaste quant aux prochains essais, qui seront sans doute le fruit d’un questionnement plus longtemps mûri et mieux véhiculé. Une réflexion à poursuivre, donc, et à suivre assurément.

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La Société des Formes, du 20 au 23 février 2014 au CDEx de l’UQAM, 405 rue Sainte-Catherine Est, local J-R940.

Article par Marie-Philippe Mercier Lambert. Étudiante à la maîtrise en histoire de l’art et fervente amatrice de toutes choses qui stimulent son cerveau, Marie-Philippe a l’habitude de se subdiviser pour participer à plusieurs projets simultanément. En attendant de se voir octroyer le don d’ubiquité, elle milite ardemment en faveur de l’allongement des journées.

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