Le théâtre offre une réflexion sur notre société, permettant ainsi de la réfléchir devant public. Rares sont les maisons d’édition qui, en 2024, publient encore de la dramaturgie. En 2019, Marie-Claude Garneau, Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent proposent à Remue-ménage de ramener à la vie la collection de théâtre. Celle-ci renait sous le nom de « La Nef ». Remue-ménage possède une ligne éditoriale unique et publie des œuvres féministes qui donnent la voix à la fois aux femmes et aux personnes racisées. Cette mission se perçoit également dans cette nouvelle collection, notamment dans certaines œuvres qui y sont parues en 2023, dont Ciseaux de Geneviève Labelle et Mélodie Noël-Rousseau, Akuteu de Soleil Laurnière et Mama de Nathalie Doummar.
Ciseaux
« Les luttes sont pas finies. Pis c’est pas parce qu’y a des lois qui ont été votées qu’y a pu de discrimination. On a un devoir de mémoire, de transmission[1]. »
La pièce Ciseaux, écrite par Geneviève Labelle et Mélodie Noël-Rousseau, a été présentée au théâtre Espace Libre en 2022. L’objectif de cette pièce est d’offrir un accès à une partie de l’histoire lesbienne, considérant sa constante invisibilisation, et ce, même au sein de la communauté 2SLGBTQIA+. Les autrices mettent ainsi en lumière des moments, des individus et des événements qui ont été d’une grande importance pour la lutte des personnes lesbiennes. C’est en usant d’un ton humoristique que les deux femmes remettent en perspective les acquis de la communauté lesbienne et se réapproprient certains propos lesbophobes. En effet, elles reprennent des clichés et les utilisent en tant que symboles d’empowerment.
Comme l’histoire lesbienne est difficilement accessible, Geneviève Labelle et Mélodie Noël-Rousseau ont aussi inclus à leur pièce le témoignage de 18 femmes. Ensemble, les autrices et leurs collaboratrices mettent le doigt sur de multiples enjeux qui entourent la communauté lesbienne : les relations amoureuses clandestines, le fait d’être traitées comme des criminelles jusqu’à la mise en place de lois inclusives en 1969, les répressions policières, le manque de représentation dans les médias, leur objectification, le manque de safe space et d’endroits où il serait possible d’échanger, etc.
Akuteu
« Cette pièce critique le système colonial qui instrumentalise notre apparence pour nous diminuer, pour invalider notre authenticité[2]. »
L’œuvre de Soleil Launière, présentée au Théâtre d’Aujourd’hui au printemps 2022, est une démarche de décolonisation, un témoignage poétique. Elle offre ainsi la possibilité de réapprendre les traditions qui ont été perdues à la suite de l’évangélisation imposée par les Européens. Encore aujourd’hui, les communautés autochtones sont victimes de discrimination. Akuteu met en évidence les luttes quotidiennes dues au racisme systémique. L’autrice souligne dans son récit un enjeu qui touche la plupart des artistes et personnalités publiques autochtones : lorsqu’iels s’expriment, iels ont l’impression de devoir le faire pour l’entièreté de la communauté.
Dans cette pièce, le corps de l’animal peuple l’imaginaire. Après tout, dans la culture autochtone, le récit est un objet vivant. L’autrice incite le retour aux anciennes coutumes du peuple autochtone, telle la pratique de la chasse pour se nourrir. Plusieurs pratiques artistiques autochtones se sont malheureusement estompées au fil du temps. La pièce de Soleil Launière rappelle à quel point tous les éléments artistiques avaient une signification, notamment dans les motifs, les vêtements et les danses. Launière remémore aussi l’importance des traditions; la plupart d’entre elles sont disparues à la suite de la mise en place de la Loi sur les Indiens en 1951. Plusieurs fléaux et injustices apparaissent à travers l’œuvre, notamment la disparition et l’assassinat de nombreuses femmes autochtones ainsi que la brutalité policière.
Mama
La pièce Mama de Nathalie Doummar a été présentée au théâtre Jean-Duceppe à l’automne 2022. L’autrice désire donner la voix à des femmes immigrantes, plus précisément, égyptiennes. Elle leur donne un espace où elles peuvent se reconnaitre en tant que Québécoises de familles immigrantes. L’autrice met en scène les femmes d’une famille qui se retrouvent au chevet d’un membre de leur famille mourant. L’état agonisant de celui-ci, qui est à la fois un frère, un père et un grand-père, les incite à s’unir, à s’écouter et à s’épauler.
Les répliques rapides qui s’enchainent dans la pièce créent une impression de cacophonie. L’œuvre a un ton humoristique dans lequel on reconnait l’amour et l’agacement qui règne dans une famille. Le dialogue est d’ailleurs très contemporain. Les femmes se confient sur leurs relations amoureuses et leurs expériences sexuelles. Au fil des nuits à veiller sur leur proche, les femmes développent leur confiance et tendent vers des sujets plus sensibles, comme la violence conjugale, la volonté d’être mère et la possibilité d’avoir recours à l’avortement. Le lien entre les femmes de cette pièce est magnifique. Malgré certains désaccords, elles se soutiennent inconditionnellement dans l’adversité.
Bref, la collection « La Nef » permet à plusieurs enjeux féministes et racistes d’obtenir de la visibilité dans le but de conscientiser la population et contribuera, espérons-le, à faire changer les choses.
[1] Geneviève Labelle et Mélodie Noël-Rousseau, Ciseaux, Montréal, Remue-ménage, coll. « La Nef, 2023, p. 34.
[2] Soleil Launière, Akuteu, Montréal, Remue-ménage, coll. « La Nef », 2023, p. 19.
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Doummar, Nathalie, Mama, Montréal, Remue-ménage, coll. « La Nef », 136p.
Labelle, Geneviève et Mélodie Noël-Rousseau, Ciseaux, Montréal, Remue-ménage, coll. « La Nef », 112p.
Launière, Soleil, Akuteu, Montréal, Remue-ménage, coll. « La Nef », 2023, 96p.