Avec cette dernière création des Simoniaques, Simon Boudreault nous affirme une fois de plus qu’il possède une voix d’auteur fabuleuse. Son regard sait voir le monde qui l’entoure et il nous le raconte avec une grande simplicité et beaucoup d’inventivité. Les voix de ses personnages s’apparentent à des dialectes colorés où la violence de ce langage pauvre mais riche en images nous arrache quelques fois le cœur. On se doit de saluer la maturité de ce travail qui n’a rien perdu de sa fraîcheur et qui nous laisse encore à penser, deviner et rêver.
Dans As is (tel quel), on suit Saturnin (Jean-François Pronovost), un jeune étudiant en philosophie de 20 ans qui, n’arrivant pas à se trouver d’emploi, aboutit finalement au 2e sous-sol de l’Armée du rachat. Le temps d’un été, il tentera d’aider une série de personnages hétéroclites qui colorent ce monde souterrain. Tout comme Saturnin, nous assistons, impuissants, aux confidences de ces tristes figurants de nos vies. Avec une grande subtilité, les amours blessés et les petites guerres de pouvoir évoluent devant nous comme une constellation complexe et équilibrée.

Pour l’occasion, le Théâtre d’Aujourd’hui prend des airs de l’Armée du rachat pour notre plus grand plaisir. Nous sommes accueillis à notre arrivée par trois musiciens trônant à travers tous ces vélos usagés, toutous, vieux meubles, livres et couvertures envahissant le hall. On avance à travers les vestiges de vies inconnues pour finalement atteindre ce gargantuesque tas de cossins dont personne ne réussit à voir l’étendue. Une légende circule même parmi les employés à propos d’un rat géant qui y habiterait!
Dressant un portrait de société aux personnages typés, toute la distribution fait un excellent travail de finesse sans jamais tomber dans le cliché. Un sincère bravo à Denis Bernard et Félix Beaulieu-Duchesneau qui s’effacent complètement derrière ces magnifiques rôles de composition. L’écriture rythmée à souhait est délectable. La première scène de Tony et Saturnin, au moment de l’embauche de ce dernier, est tout simplement décapante. C’est ce genre de moment qui nous fait regretter que les rappels ne se fassent pas au théâtre.

La conception d’éclairage de Frédéric Martin est entre autres composée de différentes sources de lumière qui agrémentent le «tas» avec beaucoup d’originalité. Que ce soit avec de vieilles bébelles, une porte de four ou des lampes sur pied, on découvre lentement tout ce dont le décor de Richard Lacroix peut receler. Des images superbes sont créées avec deux ou trois gugusses et un vieux col roulé. Au visuel désuet et coloré s’ajoute une réflexion sur l’espace théâtral s’étendant à l’extérieur de la scène. On ne reconnait plus l’habituelle salle frontale du Théâtre d’Aujourd’hui. On joue jusque dans le plafond et les corridors du théâtre résonnent de la voix des personnages sortis en trombe ou des paniers qui s’entrechoquent. S’ajoute à cela une création musicale très variée sous la direction de Michel F. Côté. On passe d’un style à l’autre avec virtuosité. Les passages musicaux, souvent chantés, sont à la fois touchants et désopilants. Ces moments permettent aussi d’entrer dans l’intimité des personnages qui se confient à Saturnin. Souvent, on voudrait chanter avec eux, taper des mains et répondre à leurs paroles, mais on est trop occupés à rire. C’est effectivement la fête dans la salle hilare.
Rats de ce cycle de consommation, les personnages d’As is (tel quel) nous ramènent au visage nos souvenirs et nos hontes qu’on aimerait enfouir pour oublier. Voix usées et sentiments malmenés comme de vieux objets jetés sans considération, ils nous rappellent tous des gens qu’on croise dans la rue, un vieil oncle abattu ou encore un chauffeur d’autobus subordonné qui jette un pauvre en dehors par une nuit de tempête. Qui doit-on sauver? Et de quoi?
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As is (tel quel) est présenté jusqu’au 5 avril 2014 dans la salle principale du Théâtre d’Aujourd’hui. M.E.S. de Simon Boudreault.
Article par Josianne Dulong Savignac. Issue d’Études théâtrales à l’École supérieure de théâtre, Josianne rêve d’un sandwich théorie-pratique-mayonnaise. Elle s’intéresse plus particulièrement au théâtre documentaire, à l’art visuel contemporain et au cinéma. Parlez-lui un peu et elle vous fera d’autres analogies douteuses.