Certains disent que Vickie Gendreau est une étoile filante de la littérature québécoise, tout comme la poète Marie Uguay. Les deux écrivaines ont à peine eu le temps de laisser leur trace dans le milieu littéraire avant d’être brutalement arrachées à la vie par un cancer du cerveau: Uguay en 1981 et Gendreau, tout récemment. Rendre hommage à la jeune écrivaine disparue en juin 2013 est l’une des motivations qui a poussé le metteur en scène Éric Jean à adapter le premier roman de Gendreau, Testament, au théâtre. Bien que cette volonté soit tout à fait honorable, ne sommes-nous pas d’accord que, pour se lancer dans l’adaptation théâtrale d’un roman, il en faut un peu plus? Il s’avère essentiel de se poser la question suivante: Jean réussit-il à offrir autre chose à ses spectateurs qu’un hommage à une écrivaine défunte, aussi talentueuse qu’elle puisse l’être? Je tente d’y répondre.
Le roman
Testament est un legs laissé par Gendrau à ses proches. Dans ce roman, elle imagine la réaction de ces derniers suite à sa mort prématurée. Par le biais de monologues, elle fait parler les personnes qui ont marqué sa vie: ses amis, son frère, sa mère, le gars avec lequel elle est tombée amoureuse, mais qui ne l’aimait pas en retour, etc. À chacun, elle lègue des textes enfouis dans des clefs USB. Il s’agit d’une œuvre autofictive: alors que ses jours sont comptés et qu’elle nous parle de ses repas d’hôpital qui la dépriment (toujours sous l’effet du Décadron, ce triste médicament qui n’a pas de pouvoir de guérison), elle nous parle des événements et des circonstances qui ont façonné sa vie tels que sa carrière de danseuse nue, un emploi qu’elle a exercé pendant trois ans et qu’elle aimait bien, le suicide de l’un de ses amis, le viol qu’elle a subi en Abitibi (moment qu’elle décrit comme étant le plus hard de sa vie), sans oublier son amour inconditionnel pour la littérature, une passion qui n’est pas explicitement évoquée, mais que l’on reconnait à la fougue du roman.
Après avoir vu et lu Testament, et tenant compte du fait que je n’ai pas connu l’auteur, l’image que j’ai de Gendreau n’est pas celle d’une étoile filante, mais plutôt celle d’un volcan en éruption qui, aujourd’hui, est endormi pour de bon. Cette auteure est l’une de ces artistes qui fait à la littérature ce qu’un Vésuve en activité ferait à la terre: elle la bouleverse, la transforme et fait jaillir d’elle du beau comme du trash. Beau dans le sens qu’elle a le don de faire ressortir l’intensité perdue du quotidien, un quotidien propre à son époque, celui de la génération Y.
« Je vais me cacher dans l’ombre et je cherche dans ma sacoche. Je trouve quelque chose qui se fume. Au moins je peux fumer. Le garçon se fout de moi mais au moins je peux fumer quelque chose, quelque chose qui m’appartient à moi, juste à moi, cette cigarette, métaphore, allumette, mélancolie, gazoline. Me fumer moi-même et fumer ces foutus souvenirs. Mais ne jamais en voir la fin. Paquet illimité. Peut-être que c’est dans les choses simples qu’on doit se perdre. Peut-être que c’est juste là qu’on peut se perdre convenablement[1]. »

Il est vrai que la plume de Gendreau possède un souffle théâtral. D’ailleurs, il paraît que la jeune femme voulait aussi écrire pour la scène. La structure fragmentaire de l’œuvre (monologues et voix multiples) et l’écriture incisive nous donnent envie de lire son roman à voix haute. Elle renverse les phrases, entrechoque les mots et nous surprend à chaque détour. Il est question d’une plume imprévisible qui tantôt nous fait rire, tantôt nous émeut jusqu’aux larmes. J’adhère à ce qui a déjà été dit par les nombreuses critiques médiatiques: il s’agit d’une œuvre à la fois foudroyante et sensible, tout comme la vie de l’auteure semble l’avoir été.
La pièce
Par sa structure et ses caractéristiques de l’écriture, le roman de Gendreau a donc le potentiel d’être adapté au théâtre. Éric Jean a vu juste sur ce point. Cependant, on ne peut pas en dire autant au sujet de l’autre prétexte qu’il utilise pour justifier son projet d’adaptation: le soi-disant portrait de génération. Malheureusement, on reste avec l’impression que Testament est un bel hommage en l’honneur de la vivacité et de la fougue de Gendreau, mais sans plus. Si l’expérience d’entendre sa plume volcanique au théâtre est touchante et nous donne envie de lire son roman, les personnages ne sont pas assez développés pour être théâtralement intéressants. Chacun d’eux livre un bref monologue et puis c’est tout, on passe au suivant. Il est difficile pour ceux qui ne font pas partie de la vie de l’auteure de s’identifier à ces personnages, car le contexte est trop hermétique, trop personnel. On reste avec l’idée que ce sont les proches de Vickie Gendreau et non les nôtres; que c’est la vie de Vickie Gendreau et que ça n’a rien à voir avec la nôtre. Il aurait peut-être fallu ajouter une touche fictive qui s’éloigne un peu du roman afin de développer davantage les personnages et ainsi les rendre intéressants pour nous, spectateurs étrangers.
La mise en scène signée par Éric Jean n’est pas ennuyante, mais ne fait pas preuve d’originalité non plus. Les comédiens interprètent (encore à tour de rôle) des extraits de morceaux choisis parmi ceux qu’écoutaient l’auteure et d’autres très évocateurs tels que Rising de la défunte Lhasa de Sela, par exemple. Même si les paroles de ces chansons sont poignantes, ces dernières ne sont pas bien intégrées dans le spectacle: elles ne servent qu’à assurer les transitions entre les monologues, voire à combler des trous. On peut dire la même chose au sujet des sublimes projections au loin. L’effet visuel est magnifique, mais on a l’impression qu’elles sont présentes davantage pour amadouer les âmes et susciter les grandes émotions que pour créer une cohérence significative.
Comprenez-moi bien, on ne s’ennuie pas en allant voir Testament. On en sort à la fois ébranlé et charmé par les mots de Gendreau, et impressionné par la belle présence scénique de celle qui interprète Vickie Gendreau, la comédienne Jade–Mariuka Robitaille. Mon étrange déception n’est pas non plus causée par l’absence d’une idée de base prometteuse. Il y avait du potentiel dans l’idée d’en faire un portrait de génération, mais peut-être qu’Éric Jean a choisi d’être trop fidèle à Vickie Gendreau et à cette urgence qui la caractérisait à la fin de sa vie. L’idée prometteuse, qu’est l’adaptation théâtrale de Testament, ne semble pas avoir bénéficié d’une assez longue période de cogitation, un temps nécessaire qui aurait permis à cette idée de se concrétiser en une œuvre plus audacieuse, en une pièce de théâtre dont la raison d’être aurait transcendé l’acte de rendre hommage.
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Testament, adaptation du roman de Vickie Gendreau, est présenté du 10 au 30 mars 2014 au Théâtre de Quat’Sous.
Article par Elizabeth Adel. D’où vient cette passion brûlante pour les arts de la scène qui ne s’est jamais éteinte? Ayant grandie loin de toute forme d’art, Élizabeth n’en sait rien. Elle a cependant la certitude qu’elle pense trop et qu’elle aime la vie dans tout ce qu’elle a de compliqué. La piste est peut-être là. Pour toutes questions, commentaires ou plaintes au sujet des textes qu’elle publie ici, n’hésitez surtout pas à la contacter. Élizabeth adore converser et elle serait heureuse d’entendre vos opinions.