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16-05-2025 Vol 19

Critique Post Tenebras Lux de Carlos Reygadas

Une fillette court sur un terrain vague détrempé, c’est le crépuscule. En bordure, une falaise, où des chevaux sont pourchassés par des chiens. Ces mêmes chiens, errant autour de la fillette, passent et repassent devant la caméra dans une sorte de spirale interminable, où les sons de leurs pas se mêlent aux grondements de tonnerre imminents. Soudain, la noirceur tombe et l’inquiétude fait surface sur le visage de l’enfant.

Par cette ouverture à Post Tenabras Lux, Carlos Reygadas nous propulse dans cet univers énigmatique que propose le film, teinté ici et là d’instants de grâce dignes des plus grands moments du cinéma. En ce sens, la scène d’ouverture évoque d’emblée des épopées tarkovskiennes par ses longs travellings qu’on dirait presque signés par Tarkovski lui-même; sans oublier les chiens et les chevaux qu’on y retrouve, ces deux bêtes étant des figures récurrentes chez le cinéaste russe. Reygadas, dans cette scène inaugurale magistrale, excelle.

Image tirée du film

Récompensé pour sa mise en scène au dernier Festival de Cannes, Post Tenebras Lux, le film jusqu’alors le plus mystérieux du réalisateur mexicain, avait suscité autant l’étonnement des uns que l’enthousiasme des autres par sa nomination. Reconnu pour son audace et son parti pris marqué envers les plans contemplatifs, on pouvait s’attendre encore une fois à ce type de propositions singulières  de la part de Reygadas. Or, au-delà des présuppositions que l’on pouvait se faire en amont, Post Tenebras Lux surprend et détone en raison de sa dissonance avec le reste de l’œuvre du réalisateur. Cette principale différence apparaît de manière frappante dans la structure même du récit. Nous ayant habitué dans ses trois précédents films à des personnages puissants sur lesquels une immense partie du film repose, on se retrouve cette fois-ci devant un environnement abstrait, voire un vague tableau, où foisonnent des individus aux problèmes reliés de près ou de très loin. Il semble que l’on soit aux confins d’un cinéma surréaliste évoquant davantage Jodorowski que ce à quoi nous avait habitué Reygadas quand on repense à ses débuts avec Japon.

La pénombre une fois tombée sous les yeux de la fillette, la perversion s’installe dans le village. C’est ainsi qu’un démon aux allures de Minotaure s’introduit dans les chaumières, la nuit, pour y transmettre ses vices. À travers le regard de ces propres enfants, qui jouent à l’intérieur du film, Reygadas expose un certain idéal de l’innocence qui est confronté au mal imminent, un mal qui prend forme dans la violence physique habitant les personnages adultes. Cette idée est renforcée, notamment, par les images redondantes des chiens qui n’en finissent jamais de lutter entre eux. Les hommes sont alors obligés d’user de violence pour les séparer.

Post Tenabras Lux, c’est aussi la présentation d’un contraste marqué de différences entre les mieux nantis des villes et les pauvres habitants des campagnes, descendants des premières nations. Cette idée était déjà au cœur du deuxième film de Reygadas, Battle in Heaven, mais dans Post Tenebras Lux, la problématique n’est apparente qu’en surface, se perdant dans le flux des diverses intrigues. Plus bavard comparé aux autres films de Reygadas, Post Tenebras Lux  se dévoile beaucoup par ses dialogues, par lesquels on sent une volonté d’ajouter des éléments de la culture populaire américaine, notamment plusieurs références au cinéma. Toutefois, l’intention derrière demeure nébuleuse : Star Wars (R2D2), Se7en, Spiderman ou la Panthère Rose sont de la partie, mais on comprend difficilement leur véritable implication dans l’œuvre.

Radical ou marginal, Post Tenebras Lux est signé par un cinéaste que l’on sent à la recherche d’une innovation inachevée. Néanmoins, du désir audacieux et anticonformiste du réalisateur surgit de belles trouvailles qui méritent d’être observées.

Article par Matthew Wolkow.

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