SWEET VIRGINIA – Jamie M. Dagg
L’automne commence à peine à se dessiner sur Montréal et l’édition 2017 du Festival du nouveau cinéma (FNC) a déjà tiré à sa fin. Avec sa panoplie de films de genre touchant aux zombies, aux extra-terrestres, à la science-fiction, l’horreur, le thriller psychologique, le film noir, le western, le présent festival aurait aussi bien pu se dérouler à la fin du mois et devenir une grande fête d’Halloween. Le second long-métrage de fiction du réalisateur canadien Jamie M. Dagg, Sweet Virginia, est l’un de ces films qui, par leur récit et leur langage, donnent, voire s’amusent à donner, froid dans le dos.
Écrit par les frères Benjamin et Paul China, qui ont vu leur scénario sélectionné par la célèbre Black List (une liste annuelle mettant en vedette les films en développement les plus aimés par des développeurs d’Hollywood), Sweet Virginia est un thriller qui rappelle, par son intrigue et son approche, les œuvres des frères Coen. Prenant place dans le décor mystérieux de l’Alaska, le film débute dans le bar sombre d’une petite ville. Assis à une table, trois hommes sont décidés à profiter pleinement de la nuit, maintenant que l’établissement, géré par l’un des trois, est fermé pour la soirée. Soudainement, un homme, agressif et menaçant, entre dans le bar avec l’intention ferme d’y rester. La rencontre se transforme vite en une confrontation violente où des menaces sont lancées. L’inconnu se fait rapidement expulser du lieu. Or, ce sera seulement pour le voir revenir, un instant plus tard, avec, cette fois, un revolver à la main. Il vide avec froideur son chargeur sur les trois hommes, prenant bien soin de les cribler de balles jusqu’à ce qu’ils offrent leur dernier souffle.
Avec son décor sombre, ses plans longs, calmes et crus, et sa musique stridente, la première scène dessine rapidement le ton de l’ensemble de l’œuvre. Ce sera finalement le passage, marqué par le calvaire, la violence, le sadisme et l’horreur, de cet homme, dans cette petite communauté serrée, qui arrivera comme le cœur de l’intrigue. L’histoire oscillera entre la vie quotidienne et personnelle de différents personnages affectés par l’événement et ses conséquences. Le spectateur apprendra alors que le tueur, se nommant, selon ses dires, Elwood (joué par le grinçant Christopher Abbott), n’était, non pas un tireur fou, mais un meurtrier engagé par Lila (Imogen Poots), une des trois nouvelles veuves. Découvrant avec horreur que son défunt mari était en faillite, Lila se retrouvera sans aucun fonds pour payer son assassin, obligeant celui-ci à attendre le paiement en résidant dans le motel de la ville, géré par le torturé Sam (Jon Bernthal, The Walking Dead, entre autres). Lila, tout comme la ville, apprendra vite qu’Elwood n’est pas un homme que l’on peut faire attendre.
En accord avec son caractère néo-western et néo-noir, Sweet Virginia présente l’histoire sordide d’une petite ville qui, au-delà des apparences, possède sa part de secrets et de démons. L’œuvre pénètre dans les méandres de la nature humaine qui, ni blanche ni noire, reste toujours à la fois tiraillée entre le bien et le mal. Les protagonistes, qu’ils soient héros ou vilains, sont ainsi tous hantés par leur passé et leurs problèmes personnels : ils cachent tous en eux la pulsion de tuer comme la pulsion d’aimer. Grâce au jeu infaillible des acteurs, c’est cette complexité psychologique, tirée du genre du film noir, qui devient la force brute de l’œuvre. Certains moments forts, comme lorsque le tueur semble avoir une certaine attirance pour Lila, son employeur, lorsque celui-ci décide d’appeler sa mère ou lorsqu’il développe une amitié pour Sam, le gérant du motel, permettent en effet d’ouvrir la voie à un questionnement, à mon avis, nécessaire et riche sur les intentions, le sadisme et les causes cachées derrière les actions du sociopathe. Or, ces moments ne restent finalement que peu développés et finissent par se noyer dans une caractérisation surtout archétypale et utilitaire. Sans cette richesse psychologique, l’œuvre finit par proposer une histoire avant tout anecdotique et une violence avant tout gratuite et spectacle. Le film propose bien une expérience excitante, divertissante et effrayante, une expérience toute prête pour l’Halloween, qui nous meut le corps et nous dresse les poils, mais elle passe à côté de ce qui aurait pu faire, à mon avis, de ce film une œuvre, c’est-à-dire la présence d’un objectif plus grand derrière l’acte de création, la volonté de partager une réflexion, un questionnement, un commentaire, qui pousserait la simple anecdote dans la charge pertinente du social, du psychiatrique, du biologique, du temporel ou du politique.

CLAIRE L’HIVER – Sophie Bédard Marcotte / DRIFT – Helena Wittman
Je quitte cette fois l’univers sordide de la mort et des meurtres pour m’intéresser à deux œuvres honnêtes et intimes présentées dans le cadre de l’édition 2017 du FNC.
Sélectionné dans la section Focus Québec/Canada, le deuxième long-métrage de la jeune cinéaste émergente Sophie Bédard Marcotte, Claire l’hiver, raconte l’histoire d’une jeune femme en pleine crise existentielle. C’est l’hiver et un cargo spatial menace de s’effondrer sur la Terre. Claire, jeune artiste qui ne sait plus trop par quel chemin passer pour finalement se développer une carrière, suit sa course avec anxiété et curiosité. Elle se demande bien si, un jour, le ciel finira par lui tomber sur la tête. Ce sera plutôt son quotidien, sa vie amoureuse et ses démarches pour trouver du financement et une plateforme de diffusion pour sa prochaine œuvre en arts visuels qui finiront par retomber sur Terre dans un écrasement fracassant. Rien de mieux, parfois, que d’être au plus bas pour se reconstruire.
Avec son caractère intime et personnel, Claire l’hiver offre avec honnêteté une intrusion dans les préoccupations quotidiennes des millénaires; ces préoccupations à la fois si simples et si gigantesques qui nous habitent tous à la sortie de l’école. Pénétrant de plein fouet dans la réalité du milieu de l’art montréalais, l’œuvre dresse, avec humour et sarcasme, le portrait d’un monde où intime rime avec narcissisme et où le meilleur sujet pour la création d’une œuvre d’art est finalement caché dans l’anxiété généralisée qui nous ronge jour après jour, grandissante devant le cratère menaçant qui peut, sans s’annoncer, nous emporter. C’est finalement surtout par son humour original et décalé, ressemblant à certains moments à un Stéphane Lafleur qui serait un peu plus littéral et enfantin, que le film nous charme et nous fait sourire. Avec les deux pieds dans la réalité des milléniaux, Claire l’hiver est une œuvre éclectique, mais cohérente, à mi-chemin entre le journal intime, les vidéos de chats et les jeux vidéo des années 1980. Elle présente un récit au « je », où le pouvoir de l’image appartient à la principale protagoniste et où le merveilleux nait de l’imaginaire propre à celle-ci. Ainsi, dans son monde un peu décalé, introverti et anxieux, les couvre bouchons de bouteilles de champagne deviennent des girafes, les souffleuses deviennent les ballerines d’une grande symphonie et chaque petite action banale de la protagoniste, tel que disposer des lumières de Noël sur sa tringle à rideaux, devient, dans la solitude et le silence de son appartement, absurde et maladroite. Tel un cri du cœur, l’œuvre arrive finalement comme avant tout charmante, honnête et inspirée.

Sélectionné à la semaine de la critique du Festival international de Venise et présenté dans la section Les nouveaux alchimistes dans le cadre de l’édition 2017 du FNC, le premier long-métrage de la cinéaste allemande Helena Wittmann, Drift, suit le parcours mystérieux d’une jeune femme qui, par un voyage jusqu’à l’abstraction, entreprend une quête de sens. Le film débute par un week-end à la mer : deux jeunes femmes passent le temps, elles attendent leur séparation, l’une repart pour l’Argentine et l’autre part pour un voyage indéterminé. Ce sera la deuxième protagoniste que nous suivrons finalement jusqu’au bout du monde, sans jamais vraiment savoir où elle est, ce qu’elle fait, ce qu’elle cherche; sa seule motivation sera enfin d’aller toujours plus loin, de pénétrer l’horizon, de se perdre jusqu’à rentrer de plein fouet dans la nature, une nature qui ne semble pas avoir connue la main de l’homme, une nature qui se rapprocherait un peu plus de l’essence du monde et de nous-mêmes.
Œuvre d’une sensibilité hypnotique, Drift existe dans la lenteur, la contemplation, l’évocation et l’expérience sensorielle. Avec à peine quelques dialogues et une ligne narrative extrêmement fine, le film se déploie comme un temps d’arrêt et de réflexion, comme un cadeau offert au spectateur, qui se voit lui aussi emporté jusqu’au commencement, au rythme de la protagoniste. Au tout début du récit, les deux femmes discutent de croyances entourant la mer et ses profondeurs. Elles proposent que ce serait au centre de cette grande étendue bleue qu’aurait eu lieu la création du monde. C’est ainsi en son centre que peut se cacher l’essence de la vie. L’œuvre nous entraine alors dans l’expérience infinie et grandiose d’une traversée de l’océan, sans pour autant que ce soit la fin du parcours. Pendant au moins une vingtaine de minutes, dans la deuxième moitié du film, le récit se rompt brusquement, laissant disparaître les personnages pour pénétrer plutôt de plein fouet dans l’expérience de l’eau tumultueuse. Avec sa musique envoûtante, le passage devient une expérience sensorielle. Il existe en tant que dérive, une dérive spatiale, temporelle, narrative et existentielle. Nous sommes là pour nous perdre. Mieux vaut se laisser emporter. Par son quasi effacement du personnage central, le film place les explorations, les découvertes et les sensations de cette femme comme étant les nôtres, celles-ci s’offrent à nous comme une confrontation obligée et nécessaire avec l’infiniment plus grand, cet infiniment plus grand qui habite la jeune femme. Seule une série de métaphores et d’analogies, puisées dans la relation complice et ambiguë des deux femmes, dessine finalement la véritable trame du récit. Elle nous amène à vivre et à penser la quête du personnage comme avant tout personnelle et intime. Avec sa référence finale à Wavelength de Michael Snow, Drift oscille entre le narratif et l’expérimental, proposant une expérience qui relève de l’indicible et créant une poésie envoûtante et silencieuse qui lui est propre.

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La 46e édition du Festival du nouveau cinéma a eu lieu du 4 au 15 octobre 2017. Lisez ici le reste de notre couverture.
Article par Catherine Bergeron.