C’est du 8 au 11 mars 2018 que s’est tenue la première édition du Festival Filministes à Montréal. Les quatre soirées mettaient à l’honneur des longs métrages – trois documentaires et une fiction – ainsi que vingt-trois courts métrages de la relève, dans une programmation aussi riche que diversifiée qui permettait le rayonnement de la multiplicité des féminismes. Pour cette première partie de la couverture, Marion Gingras-Gagné et Mariève Pelland-Giroux proposent de présenter le collectif à l’origine de ce festival et de revenir sur la programmation des longs métrages.
Depuis l’automne 2015, le collectif multidisciplinaire Les Filministes propose des projections mensuelles de films – documentaire ou fiction – portant sur des questions féministes contemporaines. Toutes les quatre issues du milieu universitaire, Soline Asselin, Anne-Julie Beaudin, Gabrielle Doré et Coppélia LaRoche-Francoeur unissent leur intérêt pour le cinéma à leur esprit critique et à leur engagement féministe pour créer des espaces de discussion et de réflexion traitant de problématiques liées aux femmes. Avec une belle réponse du public, les soirées se déroulant désormais au Artgang Plaza sont rapidement devenues un rendez-vous à ne pas manquer. En mars 2018, un premier festival de quatre jours a été lancé, permettant à la formule initiale de s’officialiser pour résolument s’inscrire dans le calendrier culturel montréalais. À ce marathon de projections sélectionnées avec soin se joint la participation active de plusieurs invitées partageant avec générosité leurs observations, leurs expériences et leurs connaissances sur plusieurs sujets. Dans ce premier article de la couverture du Festival, nous introduirons le collectif à la base de l’initiative qui suscite, depuis ses débuts, un réel engouement, tout en présentant les longs métrages sur lesquels s’est conclue chacune des soirées du festival.
Les Filministes se veulent créatrices d’espaces de discussion, sécuritaires et propices à la rencontre entre les féminismes, mais surtout entre gens de tous les milieux. Cette recherche de diversité et d’inclusion est d’ailleurs mise en valeur dans les films présentés, mais aussi dans le choix des invitées. Il est important pour le collectif de faire appel à la fois à des personnes qui vivent de l’intérieur une situation et à celles qui y posent un regard théorique : « On désire offrir aux femmes spécialistes ou porteuses de vécus toute la place nécessaire à une prise de parole », affirme Soline Asselin.
C’est d’autant plus vrai qu’il est aisément possible de constater le statut effacé du collectif, qui cède presque entièrement l’espace aux invitées et aux sujets abordés. La création du festival a d’ailleurs confronté les organisatrices à la nécessité de la formation d’une image médiatique, processus inévitable chez les médias traditionnels. Cette attention pointée sur les quatre membres du collectif contraste effectivement avec leur engagement militant prônant l’horizontalité politique, ainsi qu’avec leur forte conscience de l’implication de leur conseil d’administration et des nombreuses bénévoles, en plus du soutien indéfectible de la communauté. Les Filministes saluent d’ailleurs cette impulsion communautaire, avec laquelle elles évoluent depuis le début du projet, en tenant compte notamment des critiques qui leur permettent de s’adapter et de progresser. Cette sensibilité stimule, entre autres, un travail constant pour rendre les espaces qu’elles créent plus sécuritaires – soulignons la présence d’une gardienne du senti, dont l’assistance a été suggérée par la communauté.

Crédit photo : Cannelle Wiechert
De nombreux films présentés lors du festival étaient projetés à Montréal pour la première fois, confirmant, du coup, l’importance des soirées Filministes comme lieu de rassemblement, de discussion et, surtout, de diffusion. « Les films, si on les a en premières, c’est qu’ils n’ont pas réussi à entrer dans d’autres types de festival, parce qu’ils ne cadrent pas dans un format festival. Je pense qu’il y a un besoin qui est là. », commente Soline. L’engouement provoqué par cette première édition du festival, dont toutes les soirées ont été remplies à guichets fermés, est une réponse claire à ce besoin de diffusion. L’existence d’un public qui s’intéresse à ces enjeux, à ces réalités, à ces voix, bref, à ces projections auxquelles Les Filministes offrent un espace n’est plus à démontrer.
En outre, si le collectif est issu du milieu universitaire, il est porté par une volonté d’en sortir. Leur double mission, visant à la fois la diffusion de films de réalisatrices d’ici et d’ailleurs ainsi que la création d’espaces de réflexion et de discussion, est portée par le désir de contribuer à l’éducation citoyenne et au changement social. Elles ont donc décidé d’investir un quartier, La Petite-Patrie, et un lieu : le Artgang Plaza. Pour le collectif, le lieu est symbolique : « on garde un ancrage universitaire théorique, mais le fait qu’on soit dans d’autres espaces, où tu peux boire une bière, n’est pas institutionnel. », souligne Soline. Anne-Julie Beaudin précise, quant à elle, que Les Filministes ont su fidéliser une base militante provenant du milieu universitaire. Elle remarque toutefois que le choix des sujets abordés semble être la meilleure amorce pour rejoindre une plus grande variété de personnes issues de différents milieux.
D’ailleurs, la projection du long métrage Sœurs rebelles (États-Unis, 2015) de Rebecca Parrish lors de la soirée de clôture semble faire la preuve de cette observation. Confronté∙e∙s à une salle bondée et attentive, il était impossible de ne pas remarquer que ce sujet a su attirer une foule différente des autres soirs. Le soutien manifeste de plusieurs membres de l’auditoire accordé aux invitées Gisèle Turcot, religieuse militante et membre de l’Institut Notre-Dame du Bon-Conseil de Montréal et Pauline Jacob, théologienne féministe, annonçait une discussion animée, traitant de l’exclusion coordonnée et automatique des femmes dans la structure de l’Église catholique. Ce soir-là, Les Filministes ont rendu évident l’apport singulier de leur contribution sociale dans la/les conversation/s féministe/s. Elles ont su organiser la rencontre de féminismes qui semblent éloignés pour instaurer un échange intergénérationnel et favoriser la découverte touchante de militantes québécoises de longue date dont la visibilité est limitée.

Crédit photo : Cannelle Wiechert
« N’oublions jamais qui nous sommes et pourquoi nous sommes ici. »
C’est au Cabaret Lion d’or, avec une salle comble, qu’a été lancé le festival. Célébrant par la même occasion la Journée internationale du droit des femmes, la soirée était orchestrée sous le thème de la contribution des femmes en politique, sujet particulièrement d’actualité avec l’élection de la mairesse montréalaise Valérie Plante. Soutenue par quatre invitées, Manon Massé, co-porte-parole de Québec Solidaire, Viviane Michel de la Fédération des femmes autochtones du Québec, Sue Montgomery, mairesse de Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce, et Pascale Navarro, auteure de l’essai Femmes et pouvoir, la soirée donnait à réfléchir aux difficultés auxquelles sont confrontées les femmes qui investissent le champ politique tout en cherchant à mettre en valeur le travail et l’engagement de celles qui sont présentement impliquées dans la politique québécoise.
Le visionnement du documentaire Ada pour mairesse (Espagne, 2016) de Pau Faus a mis en lumière avec justesse les enjeux de la politique au féminin, en plus de montrer la difficulté de concilier le militantisme avec la politique. Ce long métrage retrace le parcours chronologique que suit la militante Ada Colau pour la mairie de Barcelone en 2015, résumant une campagne de dix mois. Cette femme se présentait sous les couleurs du parti Barcelona en Comú, résultant de la coalition de plusieurs petits partis populaires revendiquant la nécessité d’une politique plus près du peuple. Si la forme du documentaire est classique, peuplée d’extraits d’entrevue, d’allocution et d’assemblée, on apprécie particulièrement l’ajout de fragments d’entretien de style « confessionnaire », fort contraste d’avec l’image publique à laquelle les politicien∙ne∙s ont habitué les personnes qui les élisent. Seule devant la caméra, Ada Colau tient un journal visuel dans lequel elle confie ses doutes et ses inquiétudes, et invite le public dans l’intimité de la campagne, révélant une femme authentique, transparente et honnête.
Le ton, qui balance entre l’humour et la gravité – d’un côté le clip musical au ton festif enregistré dans le cadre de la campagne, de l’autre les profondes remises en question d’Ada sur son rôle et sa capacité à arriver à bout du processus – participe de cette esthétique « au naturel » qui laisse voir sans glorification les dessous de la campagne politique. Plusieurs plans ou extraits parlent d’ailleurs d’eux-mêmes, l’absence de narration permettant de « laisser voir » sans restriction ou jugement sur le déroulement des événements.
Le documentaire pose un double enjeu. D’une part, n’étant pas politicienne de carrière et ayant le désir de faire de la politique participative, Ada se heurte à la difficulté de jongler avec les impératifs de la politique, dont la nécessité d’un certain personnalisme, et ce, sans perdre la confiance du peuple qu’elle représente. Mettant en évidence comment elle devient une personnalité publique, le film montre la conciliation qu’elle fait en décidant d’entrer quelque peu dans le moule, consciente que cela est nécessaire à l’atteinte de son objectif. D’autre part, montrant une femme dans un monde traditionnellement masculin, le documentaire aborde le poids de l’image en politique ainsi que le déséquilibre qui sied à la parution visuelle. L’image d’Ada est beaucoup plus contrôlée (cheveux, maquillage, vêtements) que celle des hommes politiques qu’elle affronte. On constate, de ce fait, qu’on s’assure de passer plus de temps à préparer son apparence physique avant une apparition télévisuelle.
Mais c’est peut-être par le regard ironique qu’il pose sur la politique actuelle que le film est le plus tranchant. En confrontant ses adversaires politiques, Ada Colau remarque que ceux-ci tiennent tous un discours semblable, nourri par des promesses vides. Pompeux et peu porté par l’action, il est constamment privé de son sens par la corruption, reproche vivement adressé par Ada et son parti. Pour cette plateforme citoyenne, il est impossible de ne pas y reconnaître une politique supportant la marchandisation en faveur d’intérêts privés n’ayant rien à voir avec le bien commun. Barcelona en Comú, au contraire, entend lutter contre l’inégalité, la pauvreté et la privatisation par un engagement ferme qui s’éloigne des fausses promesses électorales. En plus de projeter la construction d’une ville inclusive, participative, démocratique et durable, le parti souhaite bousculer les priorités d’investissement et de dépenses telles qu’elles sont alors énoncées, pour réinvestir dans des projets économiques et sociaux qui valorisent véritablement le bien commun. En outre, ce qui fait d’Ada Colau une candidate-clé est son leadership dans la lutte pour le droit au logement, lors de la crise immobilière espagnole (2008-2013). Or malgré cette expérience militante et une proximité manifeste avec le peuple, cette femme se voit disqualifiée d’emblée sur certains plateaux télévisés, car l’approche privilégiée par son parti n’est pas économique ou comptable. On lui refuse même l’espace nécessaire à l’expression de ses idées – il est d’ailleurs admirable de la voir se saisir, quasi par la force, du temps de parole lors des débats.
Ajoutons par ailleurs que cette pointe d’ironie ne s’en prend pas qu’à la classe politique, écorchant au passage l’électorat. En fait, l’une des plus grandes préoccupations de la militante et politicienne reste son identité politique, qu’elle craint de voir transformée par la structure établie. L’horizontalité de la politique communautaire confère une certaine aura aux figures militantes; il y a une pression énorme sur les épaules d’Ada Colau. Il lui faudrait tenir toutes ses promesses, briser la distance que force une hiérarchie politique rigide et conserver sa pureté militante. En se soumettant à quelques impératifs politiques, bien qu’elle ne le fasse qu’avec résistance et équilibre, Ada Colau teinte son aura. Cette femme est assez lucide pour comprendre que ses concitoyen∙ne∙s seront exigeant∙e∙s et sans doute inaptes à percevoir le pouvoir de la structure dans laquelle il faut s’insérer pour espérer la voir un jour s’altérer, ne serait-ce que légèrement. La présence de cette inquiétude chez Ada Colau traduit efficacement l’intransigeance de l’électorat, dont le soutien nécessaire à un changement est trop souvent inégal et vacillant.
Le caractère émouvant et inspirant du documentaire est mémorable. L’élection tant attendue d’Ada comme mairesse et son entrée au parlement viennent couronner les efforts des derniers mois et donnent espoir que d’autres femmes investissent prochainement la sphère politique. La notion de victoire demeure cependant diffuse dans ce parti à base militante dont l’élection apporte surtout la possibilité de leurs aspirations.

Ada pour mairesse – Pau Faus (Crédit photo : Festival Filministes)
Ni ici ni là : enjeux intersectionnels
Le long métrage de fiction Je danserai si je veux (France et Israël, 2016) de Maysaloun Hamoud, pièce maîtresse de la séance sur le féminisme intersectionnel, se propose d’aborder les enjeux de l’identité et de la position d’entre-deux propres au fait d’être des femmes minoritaires dans une culture majoritaire. Layla (Mouna Hawa), Salma (Sana Jammelieh) et Nour (Shaden Kanboura) sont trois femmes confrontées à leur inadéquation; Palestiniennes partageant un appartement à Tel-Aviv en Israël, au cœur d’une société moderne et progressiste, mais qui ne les considérera jamais comme des citoyennes à part entière. La discrimination, le racisme et le sexisme viennent de ce fait teinter leur quête de liberté qui se débat déjà de la force de la tradition et de la famille.
Doté d’un esthétisme brut très réaliste, produit par l’utilisation d’une caméra à l’épaule, Je danserai si je veux rappelle l’esprit d’un documentaire. Tout à fait justifié, ce choix de la réalisatrice confère plus de sincérité à ce film dans lequel se déploie une véritable fresque sociale. On reconnait dans la construction des personnages principaux l’imaginaire de trois archétypes féminins, celui de la femme pieuse, celui de la lesbienne et celui de la femme libérée. Néanmoins, plutôt que de tomber directement dans les lieux communs, Maysaloun Hamoud propose des personnages complexes qui étonnent et se complètent les uns, les autres. La grande qualité de l’interprétation de Mouna Hawa, Sana Jammelieh et Shaden Kanboura traduit avec justesse la dualité présente chez les personnages, écartelés entre leur désir de liberté et l’oppression d’une structure dont les murs ne cessent de les enserrer. Le montage finit d’unir les parcours de ces trois femmes qui vivent une procession d’expériences qui se relancent, de rencontres vibrantes qui pourtant s’éteignent, de refus violemment sanctionnés et de ruptures qui les lient et les poussent à se soutenir.
La plus grande beauté du film, qui traite de plusieurs sujets comme l’homosexualité, le mariage, la religion, est peut-être dans cette solidarité devant la violence et l’injustice qui se crée entre les trois femmes, pourtant fort différentes. À la suite du viol de Nour par son fiancé, épisode cru et non romancé, Salma et Layla ont l’occasion de lui venir en aide. Un long plan montre les deux femmes sous la douche la lavant avec précaution. Toutes pleurent, ensemble, en nettoyant le corps et l’âme blessés de Nour. Si elles étaient proches auparavant, ce dur événement les soude. Salma et Layla viennent soutenir Nour moralement, puis elles mettront leur force en commun pour affronter, ensemble, son agresseur et libérer la jeune femme de ses vœux de fiançailles. Ce partage de la douleur se mêle à celui du doute et du désir de liberté qui unissent les trois femmes.

Je danserai si je veux – Maysaloun Hamoud (Crédit photo : Festival Filministes)
Composé un portrait de la réalité arabe à Israël au centre duquel on vient placer trois jeunes femmes peut cependant déposer un voile sur l’impact social que peuvent avoir les traditions. Les femmes invitées à discuter du film, Yara El-Ghadban, romancière québécoise d’origine palestinienne et Monia Abdallah, professeure en histoire de l’art islamique à l’UQÀM, soulignaient d’ailleurs que toute l’attention mise sur les femmes, dans cette projection, rendait plus difficile la conception d’une structure traditionnelle qui pèse sur tous les individus. En ce sens, la réalité que montre le film évoque le sacrement du mariage comme un rite de passage nécessaire, symbole d’accomplissement social. Ce faisant, la société décrite vient forcément fixer la religion et la famille comme des institutions au pouvoir suprême auxquelles doivent se soumettre les jeunes générations. À n’en pas douter, les hommes, dominants, retirent de nombreux avantages de ce système. Néanmoins, il reste que la possibilité pour eux de déroger des diktats et des normes motivés par la structure traditionnelle est très mince. Étant conscientes de cet état de fait, Yara El-Ghadban et Monia Abdallah ont choisi d’attirer le regard du public sur les multiples facettes que peut prendre l’émancipation, particulièrement dans un contexte où le féminisme auquel on fait appel n’est définitivement pas blanc.

Maha Farah Elmir, Yara El Ghadban et Monia Abdallah – Crédit photo : Charles-Olivier Bourque
Carrosserie à Ouagadougou
À partir du visionnement du documentaire Ouaga Girls (Suède, Burkina Faso, France, Qatar, 2017) de Theresa Traore Dalhberg, la séance sur les femmes et les automobiles propose de discuter de la place des femmes dans les espaces typiquement masculins. Bien que l’action se déroule à Ouagadougou, au Burkina Faso, et suive la dernière année de scolarité d’un groupe de jeunes femmes ouagalaises, la présence d’invitées évoluant elles-mêmes dans les milieux à prédominance masculine soutient la formulation de liens entre le sujet du film et l’actualité québécoise, rappelant que les stéréotypes de genre traversent les frontières avec aise.
Ouaga Girls prend la forme d’un double portrait; celui de jeunes femmes complétant une formation de carrosserie et peinture au Centre féminin d’initiation et d’apprentissage aux métiers (CFIAM) et celui de Ouagadougou, offrant une immersion dans une ville où la jeunesse est en mouvement. Theresa Traore Dalhberg insiste d’ailleurs sur le contexte politique dans lequel se trouve la ville lors du tournage, alors que le Burkina Faso connait ses premières élections depuis la chute de Blaise Compaoré. En effet, Compaoré s’est vu destitué des suites d’un mouvement populaire en 2014, alors qu’il siégeait au pouvoir depuis le coup d’État contre Thomas Sankara, en 1987. Il est possible de ressentir, dès le début de la projection, la volonté politique de créer un sentiment de continuité entre ces femmes, sujets du documentaire, et les politiques émancipatrices mises sur pied par Thomas Sankara dans les années 80.
Ce double portrait profite d’une composition qui repose fortement sur l’utilisation de larges plans qui révèlent Ouagadougou avec esthétisme. On remarque notamment que l’exploitation de longs plans d’ensemble, s’ils sont parfois répétitifs, a l’avantage de laisser se déployer avec justesse les interactions entre les jeunes femmes, que ce soit dans la fosse de réparation ou en classe. À cela s’ajoutent quelques entrevues plus formelles, scindant le groupe et permettant au documentaire d’offrir à chacune de ces femmes un espace propre à leurs parcours individuels, teintés de leurs rêves et de leurs appréhensions quant au marché du travail, mais aussi marqués par la violence, l’abandon ou la parentalité à un âge précoce.
Les liens qui unissent chacune des femmes du groupe de carrosserie-peinture sont brillants de solidarité et posent la question de la non-mixité dans la formation aux métiers à prédominance masculine. En effet, comme le faisaient remarquer les invitées Agnès Gaudreau (garage COOP non mixte Jeanne & filles) et Érica Leblanc-Deschâtelets (charpentière-menuisière), cette solidarité montrée à l’écran contraste avec la réalité de l’isolement que vivent plusieurs femmes, souvent seules dans un groupe d’hommes, lors des formations mixtes offertes au Québec. Elles soulignaient notamment qu’il était particulièrement intéressant de voir les Ouagalaises évoluer dans un espace où la féminité n’est pas conflictuelle, puisque la non-mixité leur offre la possibilité d’échapper à la forte valorisation des codes masculins généralement présente dans les espaces typiquement masculins. Néanmoins, les murs du centre ne les protègent pas des stéréotypes de genre qui les poursuivent dans les rues, dans les garages — desquels sont absentes les femmes — ou dans leurs relations interpersonnelles. Theresa Traore Dalhberg montre clairement à travers les mots de ces femmes que le mariage et la maternité risquent d’être des obstacles de plus à leur désir de travailler : rompre avec les rôles traditionnels est un défi de taille.
La force de ce documentaire réside dans le ton, qui s’éloigne à la fois du misérabilisme et du militantisme. Les jeunes femmes choisies sont des sujets complets et complexes, et, surtout, elles ne sont pas parfaites. Ce ne sont pas des héroïnes et elles ne sont pas porteuses d’une mission à proprement parler. Elles sont des étudiantes dont la motivation est variable. Elles ont des rêves parfois éloignés de leur formation, comme le chant ou le métier d’actrice. Certaines se découragent, d’autres foncent. Quoi qu’il en soit, elles se soutiennent et restent fortes et volontaires.
Alors que les dernières images les montrent, marchant ensemble diplôme en main, un vertige se fait sentir. On se demande vers quoi ces femmes avancent et quelle sera la place que chacune d’elle se forgera, car on devine qu’il leur faudra la forger et la défendre. Il semble que le documentaire se conclut simplement sur de plus grands défis.

Ouaga Girls – Theresa Traore Dahlberg (Crédit photo : Festival Filministes)
Foi, féminisme et justice sociale
Avec la projection du long métrage Sœurs rebelles (États-Unis, 2015) de Rebecca Parish, la soirée de clôture du festival proposait d’explorer un sujet étonnant : le féminisme au sein de l’Église catholique. Ce documentaire relate la quasi-épopée d’une association de religieuses étasuniennes, NETWORK, dans sa lutte pour la justice sociale. En 2010, cette dernière soutient le projet de loi qui deviendra l’Obamacare et, ce faisant, prend position contre les représentants de l’Église catholique des États-Unis. Bien entendu, on leur fait rapidement savoir que ce qui est attendu d’elles est le conformisme. Les religieuses choisissent néanmoins de résister et de poursuivre cet engagement social auprès des personnes victimes d’oppression, et ce, même s’il est désormais considéré comme radical. Elles seront faites l’objet de deux enquêtes du Vatican, critiquant leur mode de vie et leur interprétation féministe du dogme, ayant pour résultat de les mettre sous tutelle. Dramatiques, les conséquences de ces enquêtes menaçaient la reconnaissance de leur foi et donc leur présence au sein même de l’Église catholique, s’en prenant directement à leur subsistance. L’arrivée du pape François, en 2013, leur est bénéfique puisqu’elles voient leur engagement pour la justice sociale enfin reconnu par le Vatican. En composant avec la réalité lobbyiste américaine propre à NETWORK, dont sœur Simone Campbell est la représentante, et de sensibles moments de confessions documentaires livrés, entre autres, par Sœur Jean Hughes, Rebecca Parrish donne une voix à un féminisme invisibilisé. Elle permet à ces femmes d’exprimer leur espoir de pouvoir un jour aller au bout de ce qui les habite et de faire partie des prises de décision en ayant, elles aussi, la possibilité d’être ministres ordonnées et de changer le visage d’une Église catholique patriarcale.

Sœurs rebelles – Rebecca Parish (Crédit photo : www.radicalgracefilms.com )
La création d’un festival féministe de films a un pouvoir. Il réussit en effet à faire se regrouper Barcelone, Ouagadougou et Tel-Aviv et à venir créer des liens entre des femmes québécoises et ouagalaises autour de leurs propres réalités somme toute partagées. Il peut montrer que, parfois, la foi qui guide les pas des femmes est plus forte que les préceptes d’une hiérarchie religieuse et masculine, tout comme il parvient à confronter son public à ses préjugés lorsque ce dernier ne réagit simplement pas devant cette normalité avec laquelle les hommes sont représentés négativement dans de nombreux films mettant en scène le Moyen-Orient. En rassemblant dans un même événement des réalisatrices de divers horizons, en proposant des lectures féministes de sujets variés et toujours contemporains, et en créant des espaces où le respect, l’ouverture et le partage priment, Les Filministes ont su développer une façon collective de penser les enjeux actuels tout en liant le Québec et les vécus d’ailleurs, et ce, en laissant toute la place nécessaire aux personnes concernées par les réalités abordées.
Pour conclure cette couverture du tout premier Festival Filministes, un second article proposera quelques critiques en rafale d’une sélection de courts métrages présentés lors des 5 à 7 de la relève.
Article par Mariève Pelland Giroux.