Douce révolte. Ainsi parlait d’Étienne Lepage

Habilement tissée à quatre mains, Ainsi parlait est le fruit d’une première rencontre fort prometteuse entre le dramaturge Étienne Lepage (Rouge Gueule,…
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Habilement tissée à quatre mains, Ainsi parlait est le fruit d’une première rencontre fort prometteuse entre le dramaturge Étienne Lepage (Rouge Gueule, L’enclos de l’éléphant, Robin et Marion) et le chorégraphe Frédérick Gravel (Gravel work, Usually Beauty Fails, Cabaret Gravel). L’association des deux artistes fait éclore une langue riche et singulière issue de la friction entre la parole et le mouvement. C’est réussi. Jamais nous ne nous rapprochons d’un texte dansé. Ni les mots, ni les chorégraphies ne se veulent interprète l’un de l’autre. Dans Ainsi parlait, les pensées contaminent les corps et nous révèlent la fragilité de l’Homme.

Ainsi parlait (Crédit Nadine Gomez)
Ainsi parlait (Crédit Nadine Gomez)

Sans ligne directrice précise, les quatre interprètes, Daniel Parent, Marilyn Perrault, Éric Robidoux et Anne Thériault, forment un noyau de révolte. Ils portent en eux le verbe baveux et acerbe de Lepage et la gestuelle volontairement fragile et maladroite de Gravel. L’une à la suite de l’autre, de brèves cellules de révolte prennent forme. Des monologues comme des mots perdus qui tentent de refaire sens. Parfois, sous forme de logorrhée, la parole nous donne le tournis, puis, l’instant qui suit, on jurerait que les mots lui manquent. Les enjeux sont actuels. On commente le monde du spectacle, la politique, les croyances individuelles et collectives, plusieurs systèmes de valeurs de notre société, et ce, de manière assez douteuse (un peu dans la même veine que Rouge Gueule, un ton « ludique-cynique » fidèle à l’auteur). On est touché par leurs genoux qui claquent en tenant des discours provocateurs. On jouit de les voir se déhancher comme des rock stars sur du Jimmy Hendrix pour aller s’écraser au sol ensuite, vaincus. La finesse et la sensibilité de la création se retrouvent dans ses contrastes. Des corps sublimés, puis portés à la dérision. Quelque chose se construit et se déconstruit constamment sous nos yeux.

Ils jouent à détruire.

Peut-être est-ce une manière de mieux reconstruire.

Ainsi parlait (Crédit Nadine Gomez)
Ainsi parlait (Crédit Nadine Gomez)

Ainsi parlait ne nous prendra pas de front. Disons plutôt par la bande. L’intention est que le spectateur se fraye un chemin, tisse ses propres liens en s’abandonnant aux élans de pensée des « personnages ». La révolte se fera douce. Trop douce? Peut-être. Parce qu’entre les diatribes et les corps en mouvement, la colère s’estompe et les cris s’assourdissent. Malgré les rugissements de la langue et les corps fiévreux, les débordements sont assez contenus, les crises aussi. À mon humble avis, il n’y aura pas assez de débris laissés sur scène. Parce que, même si l’intention de départ était de ne pas vouloir donner de direction précise, trop d’instants échappent.

Ainsi parlait (Crédit Nadine Gomez)
Ainsi parlait (Crédit Nadine Gomez)

Après avoir quitté la salle, j’attendais que quelque chose prenne forme. Je n’ai ressenti que l’impuissant sentiment du vide.

Pas de questionnement, de doute ou de remise en question.

Au coucher, je me suis rappelé l’une des premières lignes :

« Le temps qui élève quand on le perd »

Douce révolte.

Je crois que j’ai peut-être saisi quelque chose.

——
Ainsi parlait d’Étienne Lepage, présenté du 3 au 14 septembre 2013 au Théâtre La Chapelle. M.E.S. Frédérick Gravel et Étienne Lepage.

Article par Myriam Stéphanie Perraton-Lambert. Elle est de celles qui croient que le théâtre est un corps de résistance. Elle aime quand il nous met à l’épreuve et quand il dispose d’«explosifs insondables». Elle vous parlera trop souvent de Jon Fosse et de ses poètes scandinaves, mais c’est ce qui fait son charme.

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