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16-05-2025 Vol 19

Festival du nouveau cinéma 2016 – Partie 1

L’édition 2016 du Festival du nouveau cinéma est déjà bien entamée. L’équipe de l’Artichaut vous livre ici ses impressions sur quelques films de la programmation, dans cette première partie de notre couverture du festival.

Ciné-Concert: L’Aurore, F. W. Murnau
Je me tue à le dire, Xavier Seron
Death in Sarajevo, Danis Tanovic
Late Shift, Tobias Weber
Merci patron!, François Ruffin

Ciné-Concert : L’Aurore  –   F. W. Murnau

C’était soirée musicale à la cinémathèque le 6 octobre avec le ciné-concert L’Aurore (connu sous le titre anglais de Sunrise : A Song of Two Humans) de F. W. Murnau (1888-1931). La musique y était assurée par Olivier Mellano, auteur-compositeur français, qui livrait ce qui était annoncé comme son dernier ciné-concert pour le Festival du nouveau cinéma (FNC). Armé de sa guitare et de quelques pédales d’effets, Mellano a offert un accompagnement solide et envoutant au classique du cinéma muet, tantôt éthéré, tantôt agressif, tantôt dansant. Malgré son équipement limité, le musicien a su habilement exploiter toutes les possibilités de son instrument, relevant agréablement un film aux ambiances et tableaux variés. C’est ainsi qu’un riff décalé est venu ajouter une touche d’humour à une scène à la limite du slapstick, tandis qu’un morceau plus nerveux est venu accompagner une angoissante scène d’orage. Sans temps mort et en parfaite synchronisation avec les images, Olivier Mellano s’est admirablement acquitté de sa tâche, recevant une chaude ovation de l’audience.

Éternellement associé au superbe Nosferatu, F. W. Murnau était un réalisateur au talent immense, passant avec habileté d’un genre à l’autre, parfois au sein d’un même film ; un véritable avant-gardiste, disparu trop tôt. L’Aurore, sorti en 1927, récit d’amour hanté par le spectre de la tentation et de la violence, est un digne testament à l’inventivité de Murnau, qui réalisait ici son premier film hollywoodien.

Sur une base pour le moins sinistre (une femme de la ville tente de convaincre un homme de la campagne, bien intentionné, mais un peu pataud, d’assassiner sa femme), Murnau mène d’une main de maître un récit passant du pathos à la tendresse. Flashback, effets de transparence, projection, superposition des images ; autant d’effets, révolutionnaires à l’époque, que Murnau utilise adroitement, sans jamais tomber dans la surenchère. Par exemple, cette scène, sur le bord d’un lac, où la femme de la ville (à noter que les personnages ne reçoivent jamais de noms) tente de pousser l’homme au meurtre par les promesses d’une vie de plaisir en ville. Pour accompagner visuellement ces promesses, Murnau superpose au-dessus des personnages des images de la vie effrénée de la ville, que l’homme regarde comme s’il y était déjà, tandis que sa maîtresse exécute une danse sensuelle et effrénée, qui, dans les circonstances, a tout d’une danse macabre. Le mari se révèle toutefois incapable de tuer son épouse, et va chercher le pardon pour ses crimes. Le couple passe alors une journée en ville, où ils passent à travers plusieurs tableaux (un salon de coiffure, une fête foraine, le studio d’un photographe) qui verront leur amour renouvelé, amenant une légèreté inattendue à un film qui s’ouvrait comme une adaptation de Thérèse Raquin.

Il est à noter que L’Aurore fut récompensé aux tout premiers Oscars (connus sous le simple nom d’Academy Award à l’époque), se méritant le titre du film à la plus grande valeur artistique (titre qui ne fut attribué qu’une seule fois!). Une récompense amplement méritée pour un film qu’on prend plaisir à découvrir ou redécouvrir, surtout avec un accompagnement musical aussi soigné.

– Julien Bouthillier

L'Aurore, F.W. Murnau.
L’Aurore, F.W. Murnau.

Je me tue à le dire   –  Xavier Seron

Vivre, ça peut être dur. Mais mourir, ça peut l’être tout autant. Michel Peneud en sait quelque chose. Alors que son opiniâtre mère, malgré la disparition mystérieuse de son cancer du sein, dépérit lentement, Michel, pathétique quoi qu’attachant adulescent, se sent désemparé et à court d’options. Sa propre existence n’est guère reluisante:  coincé dans un emploi minable, sans grande perspective d’avenir et terrassé par l’angoisse et la névrose, Michel aurait été un cas rêvé pour Freud. Comme un châtiment divin pour le  sourd ressentiment qu’il voue à une mère dont il est pourtant incapable de se détacher, une masse mystérieuse apparaît soudainement dans son sein. Rapidement, Michel commence à se croire condamné par le même mal que sa génitrice. Voilà bien le comble de l’ironie pour ce fiston encore collé au (métaphorique) sein de sa mère, qui ne manque d’ailleurs pas une occasion de rappeler à tout le monde qu’elle a allaité son «chaton» un an plutôt que six mois (pour être sûre qu’il ait toutes ses vitamines, justifie-t-elle). Nous assistons dès lors à un véritable compte à rebours vers ce qui semble une mort imminente, le film étant divisé en sections numérotées allant en ordre décroissant jusqu’à 0.

On rit beaucoup dans ce film de Xavier Seron, malgré la noirceur du sujet choisi. Échevelé, bedonnant, l’œil éteint, Jean-Jacques Rausin est hilarant et touchant dans son rôle plutôt ingrat d’adolescent trentenaire et porte avec assurance le film sur ses épaules ; quant à Myriam Boyer, qui campe sa mère, elle livre une magnifique prestance pour ce rôle tout à fait hors-norme de vieille excentrique obstinée, limite alcoolique et obsédée par ses chats, un rôle néanmoins humanisé par l’amour sincère, bien qu’envahissant, qu’elle voue à son fils.

Seron, dont c’est le premier long-métrage, campe ses personnages dans une ambiance tout à fait disjonctée, à la limite de la fantaisie. Le réalisateur belge révèle un talent certain pour la composition à travers plusieurs tableaux hautement symboliques parsemant le film, allant de l’absurde à la fable chrétienne. On pensera entre autres à ce plan de Michel, étendu sur son lit tel Jésus sur la croix, coincé entre sa mère et sa petite amie, ou encore au plan final, véritable apparition biblique dont on vous réserve la surprise. Dans ce contexte, le choix du noir et blanc se révèle approprié, accentuant le décalage et l’absurde des diverses situations du film ; un examen au CT-scan prend des allures de science-fiction, une visite à la plage passe pour un voyage sur la Lune. On soulignera aussi la qualité du montage, qui, à l’aide de match-cuts habiles, met de l’avant le motif du cercle, symbole récurent du film (la roue d’un rat, les seins, les fenêtres d’un bloc appartement, les œufs, sans oublier la connotation évidente du nom du personnage, Peneud), qui suggère un côté cyclique à la mort, mais aussi à la vie.

Avec Je me tue à le dire, Xavier Seron signe un long-métrage dans la grande tradition de la comédie noire belge, et parvient non sans humour à traiter de front d’un sujet pour le moins sombre. Malgré quelques temps morts dans le 3e acte, Seron parvient, en une petite heure et demie, à nous faire apprivoiser notre inévitable déchéance, et même à en rigoler un peu.

– Julien Bouthillier

Je me tue à le dire, Xavier Seron.
Je me tue à le dire, Xavier Seron.

Death in Sarajevo  –  Danis Tanovic

Après le Toronto International Film Festival (TIFF), c’est au tour du FNC de recevoir le renommé Death in Sarajevo (2016), dernier film du cinéaste Danis Tanovic. Couronnée de l’ours d’argent au dernier Festival des films de Berlin et du prestigieux prix FIPRESCI, l’œuvre du cinéaste bosnien frappe par sa complexité, qui mêle humour noir, critique sociale, intellectualisme déclamatoire et cinéma-artifice de manière à proposer un portrait complexe de la Bosnie-Herzégovine d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Librement inspirée de la pièce de théâtre, Hôtel Europe, écrite par l’auteur et intellectuel français Bernard-Henri Lévy, Death in Sarajevo relate, dans le huis clos de l’hôtel Europa, la journée  mémorable de l’anniversaire du centenaire des événements ayant mené au déclenchement de la Première Guerre mondiale. L’assassinat, en 1914, de l’archiduc Franz Ferdinand par le révolutionnaire Gavrilo Princip, assassinat qui aurait donné le coup d’envoi à la Première Guerre, se pose aujourd’hui comme la raison d’être de tout le brouhaha singulier de cet hôtel, habituellement en ruine. C’est seulement grâce à sa veine géographique (l’hôtel est situé à à peine 100 mètres du lieu historique de l’assassinat) que le bâtiment se trouve soudainement envahi par des invités de renom, tous prêts à souligner l’anniversaire controversé, et se trouve, du même fait, accablé de problèmes majeurs. Le vieil hôtel de la capitale devient alors le théâtre de nombre d’histoires, de bouleversements et de péripéties, qui oscillent sans cesse entre le politique et le comique. L’apparence chic et réputée de l’hôtel n’est alors rien de plus qu’une apparence, et c’est dans les multiples recoins, secrets et lieux déserts du lieu qu’un portrait plus sombre se dessine, symbole d’une Bosnie-Herzégovine meurtrie dans son peuple comme son histoire.

Dans l’hôtel Europa, c’est donc aujourd’hui la fête et tout le monde fête à sa façon. Le nom Gavrilo Princip est au bout de toutes les lèvres, mais personne n’arrive à s’entendre sur la signification de celui-ci et sur la valeur de cet anniversaire. Dans les profondeurs de la tour, des gens peu recommandables gèrent un club de danseuses, accoutrées, pour l’occasion, de costumes d’époque pour émoustiller les invités. Quelques étages au-dessus, les employés des salles de lavage et des cuisines, révoltés de ne pas avoir été payés depuis deux mois à cause des problèmes d’argent du patron, s’affairent à organiser une grève qui ruinerait le souper de la délégation de l’Union européenne, attendue de manière imminente pour souligner la journée. À la réception de l’hôtel, tout le monde essaye de faire bonne figure et s’affaire à tout garder sous contrôle. Dans la suite présidentielle (appelée l’appartement olympique), un invité de marque de la délégation de l’Union européenne répète son discours pour la soirée, sans savoir que des caméras de surveillance et de nombreux policiers l’espionnent dans le but de veiller à sa sécurité. Sur le toit de la tour, révélant l’horizon de la ville, une journaliste de la télévision locale enchaine les entrevues, multipliant les opinions, critiques, croyances et peurs de la Bosnie de Princip et Ferdinand comme de la Bosnie d’aujourd’hui.

Hors d’haleine, le film oscille sans cesse entre ces différents tableaux, personnages et événements, construisant à la fois un portrait complexe de l’hôtel, de la situation sociale du monde balkanique et du potentiel narratif du médium cinématographique. La caméra participe alors à cette course contre la montre narrative et intellectuelle. Toujours en retard, comme un témoin qui cherche à tout voir et tout comprendre, la caméra personnifie presque en elle-même la position du spectateur, courant toujours un peu après son souffle et ses conclusions. C’est avec son humour, ô combien charmant, que l’œuvre arrive à garder les spectateur accrochés et à diluer la lourdeur du discours plus intellectuel, critique et engagé (discours parfois bombardé sur le public, sous la forme de débats virulents et occasionnellement reconstruit à travers des métaphores longuement réfléchies).

Dans son ensemble, la dernière œuvre de Danis Tanovic offre une expérience riche aux spectateurs attentifs. Et c’est en jouant avec les artifices de l’art cinématographique que l’artiste arrive à produire un film aussi divertissant qu’intellectuel. La force et l’originalité de l’œuvre se déploient avant tout dans la structure, qui ne reste, heureusement, pas entièrement gratuite. Les multiples vignettes, se recoupant et se rejoignant dans le but de trainer le film dans son dénouement, finissent par offrir un portrait divertissant, tout en étant quelque peu artificiel. Car il est clair qu’un film, cherchant, du même coup, à jouer avec la structure narrative, à démarrer au quart de tour et à poser un regard critique sur l’histoire complexe d’un pays, risque de lésiner sur le réalisme, de créer des personnages quelque peu simplistes et de laisser trainer quelques clichés rapides. Même si ce film se veut intellectuel, la force de sa comédie et l’utilitarisme de sa structure finissent par offrir une œuvre avant tout divertissante, pour le cœur comme pour l’esprit.

– Catherine Bergeron.

Death in Sarajevo, Danis Tanovic.
Death in Sarajevo, Danis Tanovic.

Late Shift   –  Tobias Weber

La section FNC eXPlore (axée sur les nouvelles tendances technologiques) présente le film interactif Late Shift, de Tobias Weber. À l’aide d’une application téléchargée au préalable sur son téléphone, le spectateur vote et influence le déroulement de l’action. En d’autres mots, Late Shift est un film dont vous êtes le héros.

À 180 reprises, le spectateur – téléphone en main! – prend des décisions à la place du protagoniste qui foncera tête première vers le danger ou naviguera avec prudence entre les écueils du crime, selon le bon (ou le mauvais) vouloir de l’audience.

L’action se déroule à Londres. Un jeune gardien de stationnement souterrain devient malgré lui impliqué dans une histoire de braquage qui a mal tourné. Le spectateur peut choisir d’embrasser la carrière criminelle ou attendre le moment opportun et avertir la police.

Le film remue le sempiternel débat, jamais résolu, toujours renouvelé, de la place des nouvelles technologies au cinéma. Le son, la couleur, les images 3D, les sièges D-BOX et l’odorama, bien entendu, font partie de ces technologies qui parfois survivent et qui parfois s’éteignent avant même d’avoir vu le jour.

Il convient ainsi de se demander ce qui fait l’intérêt de Late Shift et du cinéma dit technologique en général. Si on lui enlève sa nouveauté, si on lui retire ses revêtements technologiques, peut-il toujours attirer les foules? Garde-t-il encore sa force vitale? Ou bien devient-il un énième avorton cinématographique, un objet étrange qui va passer sous le radar?

Le problème avec le procédé, c’est qu’on exclut tous ceux qui ne sont pas à jour. Le cinéma n’est alors plus très rassembleur. Certes, la majorité de la population possède un téléphone intelligent, mais ce n’est pas tout le monde qui veut jouer avec son appareil, particulièrement pendant un film. Il y a toujours ce risque de distraction.

La démarche de Tobias Weber s’avère finalement plus intéressante que le film même, qui manque d’éclat et qui s’empêtre dans ses nombreux ressorts dramatiques. On pourrait avancer que ce sont les spectateurs qui sont confus. Après tout, ils ne voient jamais deux fois le même film!

– Francis Lamarre

Late Shift, Tobias Weber
Late Shift, Tobias Weber.

Merci patron!   –  François Ruffin

Bernard Arnault est un des hommes les plus riches de France. PDG du groupe de luxe LVMH, sa fortune a été estimée à pas moins de 36 milliards de dollars américains. Une telle fortune ne s’est évidemment pas faite sans casser quelques œufs. D’abord, il a fallu délocaliser les usines et les manufactures de LVMH vers la Pologne, beaucoup moins coûteuse pour la main d’œuvre. Puis, vers la Bulgarie, encore moins chère que la Pologne. Finalement, c’est Bernard Arnault lui-même qui a tenté de se délocaliser vers la Belgique, où sa fortune serait à l’abri de l’impôt français.

Pendant 16 ans, François Ruffin, fondateur du journal Fakir, a suivi les délocalisations et fermetures d’usine de LVMH. Qu’à cela ne tienne, il est persuadé de la bonté d’âme de Bernard Arnault et lui voue une admiration sans bornes, comme le proclame fièrement son t-shirt (et sa voiture, et sa tasse de café, et ses caleçons…) « I ♥ Bernard Arnault ».  Se faisant l’avocat du diable, il visite les différents chômeurs victimes de LVMH et tente d’ouvrir un « dialogue » avec l’élusif Bernard Arnault. On s’attarde plus spécifiquement sur les Klurs, un couple du nord de la France, licenciés de l’usine LVMH et peinant à joindre les deux bouts, sur le point de voir leur maison saisie. Ruffin leur propose un plan pour attirer l’attention d’Arnault sur la situation du couple – mais la lutte sera rude contre le géant du produit de luxe, qui tentera par tous les moyens d’acheter le silence des Klurs quand ceux-ci menacent d’ébruiter leur situation.

Véritable tragi-comédie, Merci Patron! révèle toute l’hypocrisie des géants de l’économie mondiale, acclamés comme de grands hommes d’affaires alors même qu’ils réduisent à la misère leurs employés, au mieux considérés comme des pions dans la quête incessante du profit. François Ruffin aborde son sujet avec un sens inné de la facétie, pince-sans-rire dans son rôle de fan de Bernard Arnault, qui, par sa naïveté feinte, expose les travers d’une entreprise dépourvue d’humanité. On pensera évidemment à Roger and me de Michael Moore, où le célèbre documentariste américain tentait similairement de rencontrer le président de General Motors, Roger B. Smith, responsable de la fermeture et délocalisation des usines General Motors de Flint et du licenciement de milliers d’employés, alors même que son entreprise enregistrait des profits record. Comme Michael Moore, Ruffin utilise l’humour comme arme pour dénoncer des situations d’une injustice inouïe,  et va se mettre en scène, privilégiant un mode d’action guérilla, à grand renfort de caméras cachées et de mise en scène élaborées, exposant les rouages machiavéliques cachés derrière un PR obséquieux.

Si Merci Patron! est un film amusant, il n’en demeure pas moins un cri d’alarme sur l’injustice qui sévit non seulement en France, mais partout dans le monde. Ruffin lance un appel au rassemblement, à la résistance ; un appel qui a partiellement trouvé son écho dans le mouvement Nuit Debout, qui a suivi de près la sortie de ce film. Souhaitons un bon avenir à Ruffin et son film, qu’on espère porteur d’une résistance renouvelée.

– Julien Bouthillier

Merci Patron! de François Ruffin.
Merci Patron! de François Ruffin.

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Le FNC se poursuit jusqu’au 16 octobre. Pour consulter l’horaire et la programmation, c’est ici. Ne manquez pas la suite de notre couverture du Festival, à paraître dans les prochains jours!

Artichaut magazine

— LE MAGAZINE DES ÉTUDIANT·E·S EN ART DE L'UQAM